La fille de Cervantès
164 pages
Français

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La fille de Cervantès , livre ebook

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Description

Théo n’existe plus. Il reste le journal de « son Histoire ». Passionnée, douloureuse, délirante, racontée parfois avec dérision. Il serait commode de croire qu’il était fou, qu’il a rêvé sa vie. Il n’empêche, son journal excite la curiosité, il dérange, il provoque le doute. Il réveille en nous un moulin à vent et l’envie de se battre pour une réalité plus juste.

Informations

Publié par
Date de parution 25 avril 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312010052
Langue Français

Extrait

La fille de Cervantès

ERIC MASSIANI
La fille de Cervantès
Journal d’un desperado











LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Edouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-01005-2
Chapitre I
Ce vice impuni, la lecture. Valérie Larbaud .


Théo ferma le livre sur Leif Erikson. Songeur, il le posa sur une pile de livres promis au pilon. Je l’observais du coin de l’œil, sans qu’il s’en doute. Grand, brun, sa silhouette sportive ne passait pas inaperçue. Il lisait souvent les dernières lignes avant de feuilleter le bouquin à rebours jusqu’à la première phrase. Cette fois là, il ressentit ce que Dante Gabriel Rossetti avait formulé : I’ve been here before, but when or how I cannot tell . Flâner à La Galerne le détendait. Certains fument, d’autres partent en thalasso, lui, il déambulait entre les rayons, passait ses doigts sur des couvertures, se perdait au hasard, à l’affût d’un titre insolite capable d’accrocher son regard. Personne n’aurait pu dire s’il cherchait ce qu’il ne trouvait pas, ou s’il ne trouvait pas ce qu’il cherchait. A quelques pas de l’entrée, des lecteurs séduits par la souplesse des canapés rouges de l’espace café, savouraient un déca en s’humectant l’index pour mieux tourner les pages. Les plus jeunes, au fond, dévoraient des B.D, avachis dans des fauteuils crapaud, les mandibules agitées par la mastication d’un chewing-gum.
Théo, lui, appréciait le contact feutré de ses semelles sur la moquette écrue. Cela lui rappelait les défilés sur les podiums, pendant sa courte période de mannequinat. Il en conservait une nonchalance féline. Séducteur invétéré, il savait plaire sans forcer son charme, les yeux plantés comme des banderilles sur celle qu’il voulait conquérir. Porter l’habit de lumière, l’excitait.
Elégant, il avançait, sans jeter son dévolu sur une proie désirable. Seul, il finit par sortir de la jungle littéraire, en poussant mollement la porte vitrée.
Dehors il pleuvait des cordes. Il remonta le col de son vieux pardessus râpé, sur sa chemise blanche. Un frisson parcourut son échine. Le bruit des pneus sur l’asphalte trempé, accompagnait le ronflement des moteurs. Il traversa la rue en courant, longea l’espace Niemeyer, puis attendit nerveusement que le feu passe au rouge. Une plaque d’égout avait sauté. Le policier qui régulait la circulation, s’échinait à se faire comprendre, l’eau jusqu’aux chevilles. Théo ne put s’empêcher de sourire en l’imaginant, emporté par l’inondation. A grands pas de conquistador, il arpenta la rue de Paris, protégé de la pluie sous les arcades. Le Mandarin , la façade baroque de la cathédrale, tout revenait à ma mémoire. Sur le front de mer, le dernier P&O passait devant la sculpture en forme d’os à moelle, en équilibre devant le musée Malraux. Le MSC Camille, chargé de conteneurs empilés comme des cubes, trainait dans son sillage, des coquillages, des sourires douceur - vanille, les parfums d’ylang, brûlés sous le soleil de l’océan indien, façon Guerlain. Loin des palmes des cocotiers, le navire rentrait au port sous le crachin, boudant la façade orange de l’Institut Supérieur d’Etudes Logistiques.
Egaré dans les ruelles du quartier Saint -Jacques, Théo fit brusquement demi-tour devant une crêperie. Il hésita à l’angle de la rue, se retourna, puis s’arrêta. Il se remit en route, en accélérant progressivement le pas et je craignis un instant qu’il eût repéré ma filature. Il croisa deux jeunes femmes en rollers, casquées, qui poussaient d’une cuisse ferme, leurs joues roses vers Saint- Adresse. Ces deux Chupa Chups, s’éloignaient, en zigzagant entre les flaques. Théo les observa, à la dérobée, sans trop se laisser distraire par leur petit monde colorié. Il remarqua un peu plus loin une famille surprise par la violence de l’orage. A l’abri devant la baraque des croustillons Victor , les parents en avaient acheté deux paquets à leurs diablotins qui les croquaient avec gourmandise en se brûlant les doigts.
Des amoureux buvaient une gorgée de leur capuccino, saveur jazz, entre les notes de Take Five , à la terrasse couverte d’un café face à la mer. Théo profita d’une accalmie pour longer la plage qui menait au Nice havrais. Parfois il ralentissait le pas, tourné vers le pâle soleil couchant, condamné à plonger dans la mer grise. Le saxo de Dave Brubeck, devait trotter dans sa tête, avec l’insolence d’une rengaine obsédante. Il prit la route qui montait vers le quartier de Sanvic, ponctuant sa marche de gestes saccadés dans le vide. Je le suivis, fébrile, jusqu’à sa résidence, les Jardins de Sanvic et je me postai devant son domicile, crasseux, mais digne. Tout revenait à ma mémoire. Le vieux du rez-de-chaussée, jeta un coup d’œil inquiet dans ma direction. Il épiait. C’est ce soir là que tout a commencé.

Chapitre II
Journal de Théo - 15 juin
Mon retour a été brutal. Le choc, traumatisant. Recroquevillé sur la moquette, en sueur, grelottant de froid, le réveil s’est transformé en torture. J’hurlais, en espérant que les voisins allaient défoncer ma porte. Les os du corps broyés, incapable de me trainer, je saignais, j’ai vu le trou noir de la mort avant de perdre connaissance.
Ce matin, c’est un néon blafard à donner le cafard qui m’a salué, clignotant entre mes paupières collées. La pluie. L’odeur de la pluie. La tête dans un étau. Les douleurs lancinantes défilaient entre deux sommeils zébrés. Cauchemar. Une porte. Un lit. Sueurs. Totalement paralysé, plâtré, j’ai appuyé à plusieurs reprises sur un bouton à porté de doigt. Je n’étais pas pressé d’entendre que j’étais là sans raison, peut-être, alors, j’ai pris le temps de cultiver ma patience. Sceptique. Je me suis préparé à l’absurde. Quand la porte s’est ouverte enfin, calé dans l’ennui de l’attente, j’appréhendais un peu le verdict.
Une infirmière boulotte, pète sec, est entrée comme au théâtre, mais elle pouvait s’accrocher pour que j’applaudisse !
« Ah vous êtes réveillé ? C’est bien ! Comment vous sentez-vous ? » m’a demandé la boule de neige et de nerfs, en parlant comme si j’étais sourd.
Je n’ai pas pu ouvrir la bouche qu’elle a enchaîné son texte, en vérifiant mes branchements.
« Vous avez eu beaucoup de chance, vous savez ! C’est un miracle que vous soyez toujours en vie. Vos côtes auraient dû perforer vos poumons.
– Je me sens fade, légume…
– Votre moelle épinière, a été sauvée in extremis ! Quelle chance ! Mais il va passer en fin de matinée, où vers 15 heures, le chirurgien, il vous expliquera mieux, lui. N’hésitez pas à appeler si ça ne va pas, hein ? On s’occupera des soins, de la toilette à 6 heures demain matin et…
– Depuis quand suis-je hospitalisé ici ?
– Une semaine. Mais vous étiez dans un coma profond jusqu’à hier soir.
– Quand est-ce que je pourrai me lever ?
– Oh la la ! Pas avant un mois. Il faudra être patient. D’abord le fauteuil roulant, la rééducation…Et puis, tous les examens.
– Un mois ! Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
– On pensait que vous nous le diriez peut-être à votre réveil, vous avez fait la une du journal, un fait divers dramatique, pensez donc ! Je ne devrais pas vous le dire elle parlait à mi-voix
– Une enquête est en cours… La police viendra sûrement vous interroger…Si ça se trouve on passera à la télé !
– Attendez, apportez-moi de quoi écrire, un cahier, n’importe quoi. Je peux tenir un stylo, non ? J’ai soif aussi.
– Bon, je vais voir, mais soyez sage, hein ? Pas de surmenage. C’est tout frais.
– Quel jour sommes nous ?
– Le 15 juin.
– De quelle année ? »
Elle a haussé les épaules et secoué la tête avant de sortir en riant.
J’en suis là, maintenant : attendre sans comprendre, douter, avoir peur de croire, chercher à savoir.
Condamné à l’hôpital. Il suffirait que je me mette à écrire les souvenirs qui m’inondent l’esprit. Je pense que je n’ai pas rêvé. Deviendrais-je fou ? En parler ? Je suis seul. Personne ne me croira de toute façon, non. Ecrire au courant de la plume. Ecrire d’une main tremblante a

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