La fille du fleuve
134 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
134 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Une jeune mère met au monde un enfant dans des conditions difficiles. Cet accouchement est l’événement qui va bouleverser sa vie car les anciens du village estiment qu’un tel enfant issu de ce type d’accouchement ne peut être accepté dans le clan. Cette jeune mère va s’enfuir pour tenter de sauver la vie de sa petite fille condamnée à être sacrifiée au fleuve.

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2014
Nombre de lectures 637
EAN13 9782916472782
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

SIAGBE DETOH CHARLES
LA FILLE DU FLEUVE
CIV 278
10 B.P. 1034 Abidjan 10
Info@classiquesivoiriens.com
DEDICACES
A la mémoire de Yves LAMBELIN,PCA du groupe SIFCA, infatigable agent de développement, épicurien, homme cultivé, passionné de philosophie et de littérature. Que le ciel te protège et que ton âme repose en paix !
A Miss SABANE SALIMATA, dite Princesse, principale destinataire de cet opuscule, celle qui m’a toujours soutenu et qui m’inspire.
A la famille SIAGBE, en particulier à mon père DEROTOH SIAGBE, ma mère LETI SIALOU, mes frères et sœurs, A tous mes amis,
A tous le groupe SIFCA,en particulier à tous mes supérieurs hiérarchiques et collaborateurs de la Société Africaine des Plantations d’hévéa.
1.LA NAISSANCE
Les batteurs étaient déjà en place et les danseurs avaient ni de s’installer. La cour royale était prise d’assaut par des spectateurs et les invités des villages voisins. Ceux qui n’ont pas eu accès à la cour s’étaient perchés sur les acacias qui entouraient l’impressionnant palais. Déjà de grands cris d’impatience lancés par les plus euphoriques des spectateurs se faisaient entendre. Les griots du palais chantaient les plus prestigieux exploits de la lignée royale. Le soleil était au zénith et bombardait le village de ses rayons diaboliques. C’est ce moment précis que choisit le roi pour faire son apparition sous les acclamations de la foule. Il était vêtu de parures en or avec une tête surplombée d’une couronne ornée de cauris et de ls d’or. Il tenait à la main gauche une canne qui décrivait un mouvement sinusoïdal ; elle avait des pouvoirs mystiques et seul le roi pouvait la toucher. Les mauvaises langues racontent que ceux qui avaient eu l’audace de la toucher, avaient disparus mystérieusement. Le roi étaitsuivi d’une forte délégation qui était richement habillée.  D’un signe majestueux le roi leva la main vers les cieux et un calme s’abattit sur l’assemblée. Avant de s’adresser à son peuple, il cona la cérémonie aux dieux : dieux de la terre, dieux du ciel, déesse des eaux, je vous salue. Vous avez toujours protégé vos enfants ; alors je vous demande une fois encore votre bénédiction pour cette cérémonie.  C’est sur ce propos qu’il entama son adresse à sa population : ls et lles de la tribu Ouan, je vous salue et je vous
la ille du Leuvre 1 remercie d’être venus nombreux à cette cérémonie.Comme vous le savez, je célèbre ma quarantième année de règne et je ne pouvais le faire sans vous, car vous êtes ma raison d’être. Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres, c’est un jour de joie. Alors pour une fois, oubliez vos problèmes et protez de l’occasion pour jouir de la vie. Il y’a à boire et à manger pour tout le monde. Que la fête commence. Ce petit discours fut immédiatement suivi d’acclamations et de sifements. Les tams-tamscommencèrent à crépiter puis les femmes entonnèrent leurs plus beaux chants. Déjà les danseurs exhibaient d’endiablants pas de danse. Tout le monde était heureux ; on poussait de grands cris de joie.  Le soleil venait de faire ses adieux au peuple en liesse et la nuit s’imposait majestueusement sur le village, quand le cri d’une jeune lle foudroya la foule. La panique s’empara de tout le monde et ce fut une débandade générale. Mais la garde royale, avec une habileté sans pareille, réussit à calmer la situation. Elle rassura tout le monde, tout en signiant qu’il ne s’agissait que d’un incident mineur. Toutefois, on entendait toujours le cri qui, cette fois semblait s’enfoncer au cœur du gigantesque palais royal. Quelques instants plus tard, on n’entendit plus rien et la fête continua toute la nuit. Vers l’aube, la place commença à se vider peu à peu, puis les invités rentrèrent chez eux.  Le soleil était sur le point de prendre son envol pour son voyage quotidien, lorsque Lepou arriva chez son père en sanglots. Elle s’enferma dans sa case et n’ouvrit à personne, même pas à son père qu’elle respectait énormément. Personne ne sut ce qui s’était passé ce jour-là et elle ne revint jamais sur cet instant sans doute sombre de sa vie.  La saison sèche avait fait place à la saison pluvieuse, et les travaux champêtres avaient repris rendez-
4
la ille du Leuvre 1 vous avec les populations. La vie continuait son cours normal à Banu, quand un soir cette tranquillité allait être bouleversée par un événement. En effet, Lepou, la lle de Soti allait mettre un terme au long voyage qu’elle avait entrepris depuis douze mois, jour pour jour. Elle venait à peine d’arriver du champ qu’elle commença à se plaindre de douleurs au ventre. Elle allait mettre au monde son enfant. Vite, on t appel aux matrones du village qui se retirèrent avec la jeune lle dans une case.  On était au cœur de la nuit et Lepou n’avait pas encore accouché. On entendait les gémissements de la jeune lle se transformer en pleurs. C’était un accouchement difcile et on n’en avait jamais vu dans l’histoire du village.  Un groupe de vieux, avec en tête le vieux Soti, se réuni alors derrière la case et commença à implorer les dieux pour qu’ils viennent en aide à la jeune lle.  Enn, les premiers cris du bébé se rent entendre et les vieux poussèrent aussitôt de grands cris de joie car leurs vœux avaient été exaucés par les ancêtres. Une matrone sortit aussitôt de la case, se dirigea vers la forêt sacrée et se mit à la recherche d’une plante qu’elle était sûrement la seule à connaître. Après quelques minutes de recherche, elle trouva la mystérieuse plante puis se dirigea avec empressement dans la case. Elle l’écrasa et l’appliqua sur le nouveau- né. Une voix se t alors entendre du fond de la case. C’était celle de la mère ; elle était très affaiblie par la rude épreuve. Qu’est-ce que c’est ? t-elle avec beaucoup de difcultés. Une lle, répondit calmement Yonsèrè, la patronne des matrones. Au lieu de se réjouir, la jeune mère se mit à pleurer calmement. Elle savait déjà qu’un mauvais sorts’annonçait à elle. La coutume ne disait-elle pas qu’à Banu on ne pouvait accepter dans la société un enfant de sexe
5
la ille du Leuvre 1 féminin issu d’un accouchement difcile ? On pensait que ces enfants étaient messagers de mauvais sort, c’est pourquoi ils étaient sacriés au euve « YITI » dès leur naissance. Les ancêtres ne disaient-ils pas que les femmes étaient les compagnons des diables ? La jeune mère avait compris cela et elle ne pouvait s’empêcher de pleurer. Molao, la plus jeune des matrones, prise de compassion pour elle, vint s’asseoir à côté d’elle pour la consoler. Lepou, ne pleure plus, tu sais bien que cela ne changera rien. Au contraire, pleurer ne fera que te fatiguer d’avantage. Sois réaliste, cet enfant doit mourir demain à l’heure où le soleil nira d’effectuer son parcours quotidien. Tu sais bien que c’est la coutume et nous nous devons de la respecter. Nos mères ont subi le même sort ainsi que les mères de nos mères. Cela continuera jusqu’au jour où Malet, notre créateur viendra reprendre son monde. Penses plutôt à te reposer an de reprendre les forces perdues durant cettepénible épreuve.  Lepou xa longuement Molao, puis dit en éclatant en sanglots : Pourquoi cela arrive-t-il à moi ? Hein ! Pourquoi notre peuple est-il si cruel ? N’a-t-il pas de pitié pour ces petits êtres ? Cette lle représente maintenant pour moi tout ce que j’ai de plus cher au monde ; oui c’est le fruit d’un amour très tôt disparu, je ne peux me plier à cette idiote coutume. D’ailleurs, j’ai promis à son défunt père de protéger cet enfant contre les forces du mal et de toutes injustices dont il serait l’objet ; « une promesse est une dette, je la payerai même si je dois y laisser ma vie.». Personne ne touchera à ma lle... Vous m’entendez ? Personne.  Aces paroles, toutes les matrones se regardèrent avec des airs interrogateurs. Elles étaient étonnées d’entendre de tels propos. Jusque là, nul n’avait osé affronter la coutume.
6
la ille du Leuvre 1 Lepou allait donc être la première personne à ne pas vouloir se plier à elle. Après un long silence de mort, Yonsèrè qui était aussi chef coutumière, se mit dans une grande colère et dit sur un ton grave : « il ne faudra plus répéter ce genre de parole tant que tu vivras dans ce clan. Suis-je assez clair ? Tu dois faire comme les autres ; oui, tu dois respecter cette coutume que nous ont léguée nos mères et nos pères. Demain, dès que le soleil se couchera, cet enfant subira le même sort que ses prédécesseurs au Yiti ».  Sur ce, elle sortit de la case en la refermant violemment derrière elle. Elle fut suivie par les autres matrones. Ainsi parla Yonsèrè, et personne ne pouvait s’opposer à sa décision. Elle était non seulement, à la tête des fétiches du village, mais elle avait aussi des pouvoirs redoutés par tous. Une fois seule, Lepou se mit à observer son bébé ; celui-ci dormait profondément, ignorant que l’épée de Damoclès était venue à sa rencontre et planait désormais sur sa petite tête encore fragile. Elle remarqua le teint argenté et un beau visage où était logé un nez aquilin. Tout à coup, le retentissement de la trompette de la mort la t sursauter. Il provenait de la forêt sacrée et faisait appel aux anciens pour prendre d’ultimes décisions relatives à la vie du village. La jeune mère venait de réaliser que le conseil se réunissait pour proclamer ofciellement la condamnation à mort de son bébé.  Quelques temps après le retentissement de la trompette de la mort, Soti vient voir sa lle. Celle-ci s’était endormie en prenant soin de mettre son bras autour de son enfant, comme pour le protéger. Il s’approcha de plus près pour mieux observer la belle créature qui venait d’apparaître sur la terre des hommes et qui allait se volatiliser comme si elle n’avait jamais existé. Cet enfant n’allait pas bénécier de l’hospitalité des humains et devrait retourner dans l’au-delà. Pour la première fois de sa vie il versa des larmes.
7
la ille du Leuvre 1  Brusquement, Lepou se réveilla et se mit à crier : Non... laissez-moi ma lle, vous n’avez pas le droit de me la prendre. Je vous en supplie, ne la tuez pas.  Soti la calma tout en la rassurant : Du calme ma lle, c’est moi, personne ne veut te prendre ta lle. Je veux juste savoir comment tu te portes. Si tu veux, je peux m’en aller et revenir plus tard.  Rassurée, elle se calma puis se laissa tomber, toute tremblante de peur. Elle regarda silencieusement son père. Tes yeux sont pleins de larmes, es-tu déjà au courant ?  Il baissa les yeux et passa la main sur son visage pour essuyer ses larmes. Il resta à son tour silencieux, se leva puis se mit à faire d’intermittents va-et-vient. Il poussa un grand soupir qui laissa présager de terribles moments, puis cessa de marcher : Oui, commença-t-il, je sais ce qui attend ma petite-lle. Je sais qu’elle n’est pas la bienvenue et je t’avoue que je suis écœuré. Je reconnais que j’ai toujours été pour ces pratiques, mais aujourd’hui, je me rends compte à quel point elles sont abominables. Je ressens la douleur que ces mères ont dû endurer lorsque nous sacrions leurs enfants. Je me demande comment notre peuple a pu vivre avec de telles pratiques. J’attendais avec impatience la venue de cet enfant. J’ai toujours rêvé d’avoir un petit-ls qui me tiendrait compagnie et à qui je conterais des histoires chaque soir autour du feu ; un petit-ls qui viendrait à ma rencontre, quand je rentrerai de la chasse et qui porterait ma bandoulière. Voilà qu’aujourd’hui, les cauris jouent contre moi et cette maudite coutume me tient à la gorge. Tu sais, continua-t-il, lorsque ta mère vivait encore, j’étais jalousé par tout le village. Les hommes et les femmes du village étaient jaloux de moi parce que je possédais une richesse que personne ne pouvait dérober. D’ailleurs, c’est cette richesse qui me donnait le courage et la force de vivre.
8
la ille du Leuvre 1  Le vieux parlait avec tellement de sérieux qu’il oublia le danger qui menaçait sa petite famille. Lepou, qui était perdue dans ces mystérieuses paroles ne tarda pas à l’interrompre : Mais père, de quoi parles-tu, j’avoue que je ne te suis pas. Voyons, je parle de ta mère évidemment. Aucunebeauté n’égalait celle de ta mère. Elle était convoitée par tous les hommes du village, tandis que les femmes du village la détestaient terriblement car sa beauté endiablait leurs maris. Un jour, elle tomba gravement malade et quand je s appel au guérisseur, celui-ci refusa de la soigner. Les gens du village avaient payé rien que pour voir ta mère mourir. Elle rendit l’âme un soir, à l’heure où le soleil s’endormait derrière le grand baobab. Je suis resté là, sans rien faire, face au plus invincible des ennemis : la mort. Tu venais à peine d’avoir cinq ans.  Il se pencha sur le bébé, l’observa attentivement puis continua. Cet enfant ressemble tellement à ta mère, c’est son sosie tout craché. Au fond de moi, je sais que c’est elle qui m’est revenue sous la forme de cet enfant, et tant que cet enfant vivra, je me sentirai encore plus proche d’elle. Dans la vie, il y’a un temps pour courir, et un temps pour s’arrêter. Je crois que le temps est venu pour moi de m’arrêter et de saisir cette seconde chance qui se présente à moi. Je la saisirai de toutes mes forces. Oui, je lutterai s’il le faut contre le village entier pour épargner la vie de ta lle.  Le vieux était décidé à en découdre avec les pratiques de la coutume qu’il trouvait dorénavant sauvages et dépassées. Il était prêt à mener une lutte sans merci et sans répit, au prix de sa vie pour sauver la vie de sa petite lle. Mais savait-il réellement à quel jeu il jouait ? Savait-il que le tunnel dans lequel il s’engageait était sans n ?
9
la ille du Leuvre 1 Comment saurait-il convaincre les anciens an que ceux-ci délaissent des pratiques adoptées depuis des décennies ? De toute façon, il était conscient de l’ampleur du combat qui l’attendait mais, il s’en moquait pas mal. Tout ce dont il était convaincu, c’est qu’il allait affronter le village entier pour changer le cours de l’histoire. Même s’il échouait, l’histoire retiendrait qu’il fut un temps où un homme s’était levé et s’était dressé comme un arbre géant et avait dit« non » aux pratiques perverses de la coutume.  Lepou observa son père avec assez d’admiration mais en même tant elle avait une grande crainte en elle. Son père n’avait pas les pouvoirs mystiques qu’avait Yonsèrè et la plupart des grands sorciers du village. Père, comment comptes-tu lutter, toi qui ne possède aucun pouvoir ? Tu sais aussi que Yonsèrè est protégée par le génie du euve. N’oublie pas aussi que tu es membre du grand conseil et ton refus de te plier à la coutume va te coûter cher. Mon enfant, cela m’est bien égal. On nit bien par mourir de quelque chose ; sache que la mort n’est que le revers de la vie car on y trouve une vie paisible maisaussiceux qu’on a perdu. Ma lle, si nous devons mourir un jour, si un jour nous sentons notre dernière heure arrivée, ne pleurons pas, mais réjouissons nous.  La jeune mère fut touchée par ces paroles ; elleregardait son père avec plein d’amour et d’admiration. Elle garda le silence un moment comme pour rééchir puis s’écria : Père, je crois que j’ai une idée et je sais qu’elle t’évitera les ennuis. Que mijotes-tu ma lle ? La fuite, père. Oui père, je vais m’enfuir aujourd’hui même. J’épargnerai la vie de ma lle et tu n’auras pas à lutter contre tout un système pour sauver la vie de ta petite
10
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents