Le Dagobert optique
249 pages
Français

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Description

À première vue, le Dagobert ne paye pas de mine. Ce n’est qu’une plaque de verre anodine, transparente. Mais à y regarder de plus près, et en faisant jouer la lumière, on voit apparaître une image, dont les couleurs sont incroyablement réelles : un homme au visage asiatique et sa compagne européenne sortent tout droit du 19e siècle.


Hoanh vient du Vietnam, où il a récemment reçu cet étrange objet posté à Strasbourg, avec un testament, quarante ans plus tôt. En quoi ce couple est-il lié à sa famille ? C’est ce qu’il est venu découvrir, sans autre forme de bagage.


À ses côtés, se mobilise une équipe hétéroclite : un frère et une sœur en quête d’enfance, un (vrai) détective déboussolé, une adolescente escaladeuse, et un aveugle amoureux. Tous sont lancés sur la piste du Dagobert optique, qui passe par un prix Nobel oublié, et butent sur l’énigme des couleurs, que la photographie tente encore aujourd’hui de capturer sans y parvenir vraiment.



Isabelle Bergoënd est née en 1981, à Thonon-les-Bains. Physicienne, spécialisée en photonique et image. A dix-sept ans, elle a obtenu le prix de la meilleure nouvelle junior du Salon du livre de montagne de Passy, en Haute Savoie. Elle a fait partie du jury du Livre Inter et est une fidèle du « Marathon des Mots », le festival littéraire de Toulouse.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782362800610
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ISABELLE BERGOËND
LE DAGOBERT OPTIQUE
ROMAN






 
© 2015 Éditions Thierry Marchaisse

Conception visuelle : Denis Couchaux
Mise en page intérieure : Anne Fragonard-Le Guen

Couverture d’après une gravure de Louis Poyet, revue La Nature , 1894 : « Appareil de M. Lippmann pour voir les clichés photographiques en couleurs ».

Éditions Thierry Marchaisse
221 rue Diderot
94300 Vincennes
http://www.editions-marchaisse.fr
Marchaisse
Éditions TM

Diffusion-Distribution : Harmonia Mundi

ISBN (ePub) : 978-2-36280-061-0
ISBN (papier) : 978-2-36280-060-3



La lumière est le verbe suprême qui nous enveloppe, nous brûle, nous transcende.
J.M.G. Le Clézio



Un morceau de verre dans le Jeu



1
Elle était tout entière dans le Jeu et s’efforçait de rester bien concentrée, de ne penser à rien d’autre. Son objectif depuis le début de la journée était de résoudre l’énigme au plus vite, pour rentrer avant son frère : elle voulait gagner et se délectait de ces retours virtuels à une enfance idéale, de cette opportunité rare de tenir à l’écart toute préoccupation. On pouvait réaliser alors des choses inhabituelles ou même dangereuses, osées ou intimidantes, en désaccord avec ses habitudes, car ce jour-là était le jour du Jeu, le jour où l’on devait abandonner le conformisme et la froideur des conventions sociales. La vie elle-même devenait un jeu où tout pouvait être tenté, ensuite le monde réel reprendrait sa place et tout cela serait sans conséquences.
Sac au dos et une photo à la main, Éléonore marchait donc à bonne allure dans les rues bordées de maisons à colombages. Une ride plissait son front, son regard balayait sans cesse les alentours. De temps à autre, elle jetait un coup d’œil à l’image déjà froissée qu’elle tenait entre ses doigts. « Ça fait penser à une église », se disait-elle, bien qu’elle n’y reconnût pas à proprement parler de symbole religieux.
Elle observait de son mieux les façades sans trop s’y absorber, car il était impossible d’avancer en gardant les yeux en l’air sans risquer de percuter un passant ou l’un des nombreux cyclistes qui filaient dans les rues piétonnes. Le printemps était déjà là, mais la plupart des promeneurs étaient encore emmitouflés dans leurs manteaux. Il y avait aussi beaucoup de monde dans les cafés, à l’intérieur ou en terrasse, parce qu’on était dimanche et que les magasins étaient fermés. La ville de Strasbourg avait quelque chose d’hivernal et de festif, et il y restait comme un brin d’esprit de Noël accroché aux poutres de bois, aux façades peintes et à la pierre rouge.
Éléonore progressait du centre historique vers les quartiers populaires du sud. Les bâtiments devenaient plus hauts, plus gris, moins bien entretenus, les commerces se raréfiaient. Elle restait légère et tendue à la fois, tournée vers ce but unique : élucider l’énigme qu’elle tenait dans la main. Selon Romuald, le Jeu nécessitait que l’on y adhère sans réserve ; il ne devait jamais être remis en cause par une affaire prétendument plus sérieuse. Et Éléonore, qui n’avait pas encore trente ans, acceptait volontiers de partager sa foi dans le Jeu, elle avait besoin de maintenir un lien fort avec son frère cadet, de prolonger l’existence de ce cocon au fond duquel ils s’abritaient tous deux.
Il faut reconnaître que Romuald avait bien fait les choses : l’office de tourisme aurait probablement pu la renseigner sur cette photo, mais il était fermé, et les passants qu’elle avait interrogés ne savaient pas. Elle avait visité toutes les églises, tous les temples qu’elle avait pu trouver. Mais la plupart étaient rouge-brun pour les anciens, sobrement décorés pour les plus récents, or la photo représentait un entrelacs de pommes et de feuilles sculpté dans une pierre gris clair. L’éclairage semblait indiquer qu’il se trouvait en milieu extérieur. La jeune femme avait gravi les trois cent trente-deux marches de la cathédrale, espérant profiter du point de vue pour apercevoir un bâtiment dont la façade correspondrait à l’image, mais il aurait fallu disposer d’une paire de jumelles. Au sommet, elle était restée un moment silencieuse et pensive, ses yeux avaient cherché malgré elle un point qu’ils ne pouvaient atteindre : un village distant de plusieurs dizaines de kilomètres. Elle n’y avait passé que quelques mois, dans son enfance, mais il demeurait gravé dans sa mémoire comme la première étape de sa nouvelle vie sans sa mère. La ville de Strasbourg elle-même lui rappelait cette époque. Elle était finalement redescendue, le cœur serré, en se demandant si Romuald avait voulu lui dire quelque chose en l’envoyant tout près de ce village si marquant pour eux.
L’heure tournait et elle n’avançait pas. Il lui fallut chasser sa mélancolie et revenir aux pommes de pierre représentées. Elle arpenta les abords de l’école d’architecture, pensant y croiser quelque étudiant qui aurait pu avoir connaissance de ce détail sculptural. Mais elle y rencontra seulement un petit groupe d’élèves ingénieurs peignant des banderoles pour une manifestation sportive. La fin de l’après-midi approchait et Éléonore ne savait plus comment s’y prendre.
Elle aperçut encore une église au bout de la rue. Pierres brunes encadrant des façades crème… rien ne semblait indiquer que ce qu’elle cherchait se trouvât sur ce bâtiment, cependant elle s’y dirigea. Ayant constaté que le côté nord ne possédait aucun attribut qui pût la satisfaire, elle entreprit de contourner l’édifice pour accéder à la façade principale. La photo toujours à la main, elle fouillait les éléments architecturaux du regard.
Un homme d’origine asiatique sortit par la grande porte et s’arrêta sur le parvis, droit et digne, pour profiter de la fin du jour, comme s’il se trouvait sur le seuil de sa propre maison. Elle remarqua son port de tête altier, sa manière d’observer franchement ce qui l’entourait, les mèches sombres qui lui tombaient sur le front, et elle décréta pour elle-même, dans la fantaisie de son jeu, que c’était un Iroquois. Elle n’avait pas d’idée très précise sur les Iroquois, elle imaginait simplement des hommes à la peau lisse et mate, aux cheveux raides, épais et très noirs, aux yeux bridés dans lesquels se lisaient la fierté, l’intransigeance et le mystère. Celui-ci, bien que très correctement vêtu, inspirait des sentiments contrastés. Ses vêtements, une chemise de qualité et un jean neuf, étaient froissés et d’une propreté douteuse. Il portait des sandales de cuir. Éléonore lui donnait au moins vingt ans de plus qu’elle, mais elle n’aurait su dire au juste son âge.
L’Iroquois l’aperçut à son tour et, sans doute intrigué par son attitude fouineuse qui tranchait sur les autres passants, s’approcha d’elle avec curiosité, puis s’arrêta à quelques mètres, trop loin pour identifier le sujet de la photo. Il attendait de voir ce que la jeune femme allait faire. Leurs regards se croisèrent et chacun identifia en l’autre un personnage légèrement atypique, non conforme aux règles implicites du monde alentour. Pendant une seconde, aucun d’eux ne sut s’il fallait parler ou détourner les yeux. Puis les hésitations de l’homme cédèrent et il s’avança.
« Cette personne-là est bien la dernière qui pourrait faire quelque chose pour moi ! » songea Éléonore. Pourtant, désireuse d’explorer toutes les voies qui se présentaient, elle s’adressa la première à l’inconnu :
–Bonjour, vous connaissez le quartier ?
Il lui répondit, avec un fort accent, qu’il n’était pas d’ici mais qu’il visitait la ville depuis un moment. Brandissant l’image des pommes sculptées, elle lui demanda s’il avait remarqué ce motif quelque part. Il plissa les yeux, se concentra quelques secondes avant de se mettre à sourire. Oui, il savait.
–Ça alors, quelle chance ! Pourriez-vous m’expliquer où ça se trouve ?
Il lui répondit qu’il pouvait même l’y conduire et lui fit signe d’attendre. Il rentra dans l’église. De plus en plus surprise, elle entra également.
Il s’agissait d’une église du XX e siècle mais respectant une disposition classique et assez sobrement garnie. L’homme avait gagné sans hésiter le côté gauche de la nef. Dans l’espace étroit existant entre le pied d’un banc et l’un des piliers, il avait réussi à introduire un sac à dos, pourtant volumineux, qui était invisible aux yeux des visiteurs. Il l’en extirpa avec précaution et rejoignit Éléonore qui l’observait, perplexe. Elle le vit encore ramasser un petit coussin et le ranger dans son sac. Soudain, une idée lui vint, évidente et gênante : « Il a dû dormir ici. »
Malgré la présence de quelques personnes sur les bancs, l’intérieur était silencieux, hormis les bruits des pas de la jeune femme. Pourtant, elle ressentit l’édifice comme animé d’un bouillonnement invisible. Une formule de son enfance revint à sa mémoire : « Prier, c’est d’abord remercier. » Remercier, mais pour quoi ? Pour la rencontre de cet homme ? Elle regarda encore les vitraux qui égayaient les murs de pierre et dont la clarté s’évanouissait déjà avec le jour déclinant. Non, elle était simplement émue d’être là par hasard et d’avoir cela à contempler. Elle aimait que le bâtiment ouvert et silencieux l’enveloppe de son atmosphère, que l’art de la pierre et celui du verre s’y conjuguent si bien.
Près d’elle, l’homme à qui elle venait de montrer la photo s’était aussi tourné vers les vitraux, qui constituaient sans conteste l’élément le plus remarquable de la décoration. Il déclara : « Le matin, la lumière est très belle ici ! » en tendant ses deux bras vers l’un des bas-côtés. Elle y vit un indice supplémentaire en faveur de sa supposition. À présent, c’était sur la façade opposée que les fenêtres de verre coloré recevaient les derniers rayons du soleil. Ils contemplèrent quelques secondes les images complexes rendues intelligibles par la lu

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