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Description
Sujets
Informations
Publié par | Québec Amérique |
Date de parution | 05 février 2013 |
Nombre de lectures | 2 |
EAN13 | 9782764419441 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Littérature d’Amérique
Données de catalogage avant publication (Canada)
Ménar, Fabien
Le Grand Roman de Flemmar
(Collection Littérature d’Amérique)
9782764419441
I. Titre.
PS8576.E498G72 2001 C843’.6 C2001-940914-1 PS9576.E498G72 2001 PQ3919.2.M46G72 2001
Les Éditions Québec Amérique bénéficient du programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada. Elles tiennent également à remercier la SODEC pour son appui financier.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
Il est strictement interdit de reproduire aucune partie de ce livre, sans la permission écrite de l’éditeur.
©2001 ÉDITIONS QUÉBEC AMÉRIQUE INC.
www.quebec-amerique.com
Dépôt légal : 3 e trimestre 2001 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada
Révision linguistique : Catherine Beaudin et Diane Martin Mise en pages : Andréa Joseph [PAGEXPRESS]
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Dedicace CHAPITRE 1 CHAPITRE 2 CHAPITRE 3 CHAPITRE 4 CHAPITRE 5 CHAPITRE 6 CHAPITRE 7 CHAPITRE 8 CHAPITRE 9 CHAPITRE 10 CHAPITRE 11 CHAPITRE 12 ÉPILOGUE Le grand Roman de Flemmar Fabien Ménar
Pour Brigitte
À la mémoire de ma grand-mère qui, par-delà la mort, demeure ma lectrice fidèle
Prière pour Flemmar :
Mon Dieu, faites qu’il voie les choses en face, mais n’en faites pas trop, car il pourrait être déçu.
CHAPITRE 1
Le monde entreprit de disparaître, un matin d’été. Cela se produisit très graduellement, très simplement aussi, avec un air de ne pas y toucher, comme si cela ne méritait pas la moindre considération.
Un détail, quoi.
Flemmar n’était pas homme à goûter ces détails-là.
Il s’était traîné hors du lit et dirigé en somnambule vers la cuisine, le pied lourd, les cheveux en bataille, et toutes ces tondeuses à gazon qui lui vrillaient les tympans. Depuis qu’il était un autre homme, Flemmar en avait fini avec sa pelouse. Elle pouvait pousser autant que cela lui chantait, dans tous les sens et jusqu’à hauteur de tête, il s’en moquait. « Un homme se trouve en perdant sa tondeuse », tel était le dernier aphorisme de son invention.
Ce matin-là, il avait saisi sa cafetière à pression, déversé le marc dans l’évier et jeté, par réflexe, un œil oblique sur le comptoir.
C’est alors qu’il nota le détail .
Elle ne s’y trouvait pas.
Flemmar conserva son calme en sondant d’abord le lave-vaisselle, puis les placards un par un. Il revint au lave-vaisselle (le calme en moins et quelques sueurs en plus) pour une seconde inspection. Mais en vain : elle demeurait introuvable. Qu’ elle ne trônât pas au milieu du comptoir, là où il l’avait déposée la veille, selon une habitude fixée depuis un an et respectée avec une régularité militaire, voilà qui sortait des lois convenues entre lui et sa mission.
Vu de l’extérieur, bien sûr, il n’y avait pas de quoi s’en faire une montagne, mais pour Flemmar, cela prenait des allures de chaînes et de massifs, comme si cette entorse événementielle de rien du tout brisait les jambes de sa destinée.
« Voyons, voyons… reprends-toi, Flemmar. » Il entreprit immédiatement une fouille en règle de la maison qui dormait encore. Il passa au peigne fin chacune des pièces d’un pas feutré, ne soulevant qu’après maintes précautions les collines de jouets, ouvrant sacoches et porte-documents, fourrageant dans le panier à linge sale et les tiroirs des bureaux et des commodes, déplaçant meubles et sofas derrière lesquels il s’accroupissait, le nez au ras du sol. Bref, Flemmar explora les moindres recoins avec la minutie d’un entomologiste, complètement sourd au lever graduel de sa petite famille. C’est la tête plongée dans le sac-poubelle, maugréant et répétant « Nom de Dieu, où est-elle passée ?», qu’il fut surpris par sa femme, Josette, et ses trois enfants, Agrippa, deux ans, Louise, six ans, et Joachim, neuf ans.
— Flimou ?
À la voix endormie de sa femme, il souleva une tête enguirlandée des pâtes au pesto de la veille.
— Ah, vous voilà !
Quatre paires d’yeux le considérèrent sans réelle inquiétude.
— Tu as des spaghettis dans les cheveux, papa, informa Joachim qui avait déjà enfilé son costume de chauve-souris.
— Que fais-tu là, mon amour ? demanda Josette en étouffant mal un bâillement.
— Je cherche ma tasse à café, nom de Dieu !
— Tu as bien regardé sur le comptoir ?
— Mon amour, tu crois que ça m’amuse de me foutre la tête dans les ordures ? Bien sûr que j’ai regardé. Elle est nulle part ! C’est tout de même incroyable !
— Bon, bon. Qui mange des gaufres ce matin ?
Et la troupe familiale de passer bruyamment son chemin.
— Mais, ma chérie, ne vois-tu donc pas la gravité de…
Josette déposa toute la maternité de son regard sur son époux.
— Qu’est-ce qu’il y a, mon petit Flimou ?
— Mais, sans ma tasse à café, je ne peux pas écrire !
— Prends une autre tasse, mon cœur.
— Mais tu ne comprends pas !
Josette laissa échapper un léger soupir avant de se pencher sur son mari (qu’elle dominait d’un bon pied, en longueur comme en largeur) et, ne feignant pas la moindre compassion, elle dit :
— Mon petit chéri adoré, as-tu seulement écrit une ligne depuis un an ?
Voilà qui clôturait net le débat. Josette reprit le chemin des gaufres, la marmaille accrochée à ses flancs, laissant en plan un Flemmar foudroyé par la Vérité.
Et ces tondeuses qui n’en finissaient pas de hurler dans sa tête.
Flemmar était un homme qu’aucune raison ne poussait à détester, même si les raisons de l’aimer ne se bousculaient pas davantage au portillon. Il inspirait une sorte d’indifférence bienveillante que n’effaçaient ni ses curieuses manies ni même son érudition. Insociable, d’âge moyen mais au physique d’adolescent, affecté d’une féroce myopie, Flemmar négligeait un peu plus chaque jour son métier d’enseignant (y avait-il jamais accordé la moindre attention ?) au seul profit d’une ambition qu’il avait conçue un an plus tôt : écrire un roman.
Cette résolution plongeait tout droit ses racines dans cette fameuse tasse à café. Elle lui était tombée du ciel, comme glissée des mains de Dieu (à supposer, bien sûr, qu’Il en eût, des mains, et qu’Il bût du café), alors que Flemmar se livrait à l’une de ses flâneries dominicales, sur le coup de trois heures, selon un rituel qui prenait des allures sacrées : « la promenade solitaire est un pont entre l’homme et son destin,» proverbe qu’il avait forgé pour signifier à sa Josette, tout en hochant l’index de droite à gauche, qu’elle ne pouvait pas l’accompagner, inutile d’insister. Donc, cet après-midi-là, il avait surpris une violente querelle de ménage à l’étage supérieur d’un triplex. Inquiet, il s’était immobilisé et pouvait très nettement distinguer le répertoire des invectives en lesquelles se répandait la femme. Il se l’était représentée écumante de rage, les bigoudis virevoltant au bout des mèches. Son pauvre mari passait au broyeur : accusé de lâcheté, il n’était qu’un fainéant qui croupissait devant les jeux vidéos. Non seulement la vie passait-elle à côté de lui, mais sa femme le menaçait d’en faire autant. Un fracas de vaisselle projetée contre le mur avait achevé de terrifier Flemmar. C’est alors qu’une pièce du service soumis à l’hécatombe s’était échappée par la fenêtre, catapultée depuis l’intérieur, et avait dessiné une courbe dans le ciel. À l’autre extrémité s’était dressé notre Flemmar qui, dans un mouvement instinctif, avait bondi et capté la chose à hauteur d’épaules. L’objet volant s’était identifié entre les mains qui le palpaient : une tasse. Elle arborait une petite aquarelle. Il avait reconnu sans peine le château de Vincennes à son puissant donjon intérieur dont les murs avaient accueilli plusieurs prisonniers célèbres. Le littéraire en Flemmar avait aussitôt remué ses connaissances pour se retrouver au cœur du XVIII e siècle avec l’incarcération de Denis Diderot en 1749. Le Parlement de Paris, qui n’avait guère goûté l’athéisme professé par sa Lettre sur les Aveugles , estima qu’un séjour à Vincennes ramènerait le philosophe à la règle