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Description
Sujets
Informations
Publié par | Éditions L'Interligne |
Date de parution | 29 juin 2016 |
Nombre de lectures | 0 |
EAN13 | 9782896993734 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Table des matières
Du même auteur
Catalogage
Le saboteur d’avenir
Le festin
Gloria
La méprise
Le pianiste
La journée
Jean Debout
Gunzo
L’effet coccinelle
Le talent
Crapaud
Lettre à l’éditeur
Le saboteur d’avenir
Du même auteur
Chez d’autres éditeurs
Le festin , revue Virages (Toronto), n o 52, été 2010 – dans ce spicilège-ci, la nouvelle des p. 17-30.
L’excusable erreur de M. X , revue l’Inconvénient (Saint-Laurent, Montréal), n o 27 : « Originaux et détraqués », novembre 2006 – dans ce spicilège-ci, La méprise , p. 43-54.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Goyette, Jonathan
Le saboteur d’avenir [ressource électronique] / Jonathan Goyette.
(collection « Vertiges »)
Nouvelles.
Monographie électronique.
Publ. aussi en format imprimé.
ISBN 978-2-89699-372-7 (PDF).--ISBN 978-2-89699-373-4 (EPUB)
I. Titre. II. Collection: Collection « Vertiges » (En ligne)
PS8613.O983S33 2013 C843’.6 C2012-907564-7
Les Éditions L’Interligne
261, chemin de Montréal, bureau 310
Ottawa (Ontario) K1L 8C7
Tél. : 613 748-0850 / Téléc. : 613 748-0852
Adresse courriel : communication@interligne.ca
www.interligne.ca
Distribution : Diffusion Prologue inc.
ISBN : 978-2-89699-373-4
© Jonathan Goyette et Les Éditions L’Interligne
Dépôt légal : premier trimestre 2013
Bibliothèque nationale du Canada
Tous droits réservés pour tous pays
À tous ceux qui m’ont appuyé dans cette entreprise,
plus particulièrement mes parents, mon frère et Estelle Kamau
Le saboteur d’avenir
C’est comme […] si l’âme personnelle représentait
l’âme de l’humanité tout entière […]
Carl Gustav Jung
U n client m’a fixé un rendez-vous au Petit Éléate, un bar miteux que j’ai déjà eu l’habitude de fréquenter. Roger, le barman, m’y a fait crédit auparavant. Il se rappelait de moi puisqu’il a mentionné mon nom lorsque je suis entré. Je l’ai salué et j’ai rejoint mon client.
Dès les premiers instants de l’entretien, j’ai ressenti une impression étrange. Une proximité inexplicable avec l’homme qui était assis près de moi. Pourtant, nous discutions pour la première fois. J’ai cru qu’il s’agissait d’une déformation professionnelle. À force de côtoyer une clientèle homogène, j’ai développé une conception de l’âme humaine à laquelle mon vis-à-vis correspondait trait pour trait. Il se pouvait donc que cette familiarité ne fût qu’un effet de ma routine et d’un léger surmenage. Un déjà-vu, en quelque sorte.
Il était tendu et il essayait de se justifier.
— Il croit que l’avenir lui appartient, a-t-il affirmé comme si son cas était particulier.
La vanité d’un autre et les exigences qu’elle imposait à mon client, le poussaient à solliciter mes services. Mais je ne demande jamais qu’on me fournisse les raisons pour lesquelles on requiert mon expertise. Cela évite d’entraver ma réussite avec des remords inutiles. Après tout, on ne me contacte jamais pour des motifs avouables – l’ambition est l’obsession de ma clientèle.
Je suis saboteur d’avenir.
Il s’agit d’un métier semblable à celui du tueur à gages. Les cadavres en moins, toutefois. Les deux « cursus » comprennent un tronc commun de cours en philosophie et en psychologie pour sonder l’âme humaine, car ces métiers ont des fondements métaphysiques, quoi qu’on en pense. Ce sont les cours à option qui diffèrent ensuite. Les tueurs à gages apprennent à se débarrasser des corps morts alors que nous laissons à nos victimes le soin de se débarrasser d’elles-mêmes. Comme elles ne peuvent remonter à la source de leur ratage existentiel, elles s’accordent le bénéfice du doute – mais maléfice du doute serait probablement plus approprié pour décrire les circonstances dans lesquelles je plonge mes victimes.
Mon client était nerveux. En partie parce que j’étais distrait. « Vous l’empêcherez de faire ceci, précisaient-ils tous. De faire cela. » Or, je ne me souciais guère de ce genre de recommandations pour les avoir entendues trop souvent. Tout ce dont j’avais besoin pour mener à bien ma tâche, c’était le qui, le où et le quand. Pour le comment, j’improvise et c’est pour cela qu’on me paie. Et le pourquoi, je l’ai déjà dit, ne me concerne pas. J’étais absorbé par les réminiscences que le visage de l’inconnu suscitait chez moi. Où donc avais-je rencontré cet homme ? J’aurais pu le lui demander, mais j’avais peur de le vexer en avouant mon oubli.
Il a pris ombrage de mon inattention. Rien de plus normal ; j’aurais été moi-même offensé par beaucoup moins. Il a frappé, plus qu’il ne l’a déposée, une main sur la table. Nos verres de bière ont tinté.
— Je veux m’assurer que nous sommes d’accord sur la démarche à suivre, a-t-il dit en me jetant un regard sévère. Vous attendrez son réveil, demain matin. Pas un geste avant ! Seulement à ce moment-là, vous entrerez en action pour le saboter. Voici l’adresse et une photo.
Habituellement, je dois extraire de mes clients, une à une, les bribes d’information nécessaires à la réussite d’un contrat. L’inverse se produisait cette fois-ci. C’était comme s’il connaissait la procédure mieux que moi. Il m’a tendu deux bouts de papier que j’ai aussitôt mis dans la poche extérieure de mon manteau. Il a fait glisser, sur la banquette, une enveloppe qui contenait la première moitié de mon cachet, et il est parti.
En attendant qu’il soit assez loin pour éviter les associations scandaleuses, et aussi parce qu’il pleuvait à verse, j’ai siroté ma bière en comptant l’argent qu’il m’avait donné. Roger s’est approché. Il a dit, en observant un client qui sortait de l’endroit :
— Des fois je pense que si on s’efforçait de faire ce qu’on a à faire, juste ce qu’il faut pour gagner son pain, il n’y aurait plus de problèmes d’ego. On serait tous égaux.
— T’es drôle, ai-je répondu tout à mes pensées, mais ne répète pas tes idées subversives : tu risques de m’envoyer au chômage. C’est l’envie et l’orgueil qui me permettent de gagner mon pain.
— T’as l’air de faire un sale boulot, mon gars.
— On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a.
— C’est une façon comme une autre de se déculpabiliser.
— Roger, y a-t-il quelqu’un qui ne soit pas compromis sur cette planète ?
Mes réflexions l’ont peut-être vexé parce qu’il est retourné à ses affaires sans dire un mot.
J’ai couru jusque chez moi, mais l’ondée m’a trempé. En rentrant, je me suis séché, puis je me suis mis au lit. Sans parvenir à m’endormir, toutefois.
La commande qu’on m’avait passée était assez simple et me rappelait un cas auquel j’avais déjà été confronté. La victime de ce coup-là était sur le point de se faire renvoyer. Je m’étais introduit dans sa chambre la veille d’une réunion importante. L’homme dormait et je n’avais eu qu’à pousser le bouton de son réveille-matin à off pour foutre sa vie en l’air. Une mission grassement payée pour ce que j’avais eu à faire. Un peu comme celle que j’effectuerais le lendemain. Mais cette fois-ci, bien plus que la victime, c’était le client qui m’intriguait et m’empêchait de trouver le sommeil.
Je me suis levé et me suis servi un whisky. Puis, j’ai fouillé dans ma bibliothèque pour retrouver les livres du temps de ma formation. Peut-être qu’un psychologue ou un philosophe m’aiderait à cerner mon énigmatique client ? J’ai feuilleté quelques pages d’un discours de Socrate selon Parménide d’Élée. Puis les vapeurs de l’alcool, mêlées à la langueur de la lecture, ont eu raison de ma vaillance. J’ai sombré dans le sommeil sans donner une forme précise aux pensées qui me préoccupaient.
Je me suis levé à l’aube pour être d’attaque dès que ma victime se réveillerait. Je n’avais pas de plan ; j’improviserais comme d’habitude. En m’apprêtant à sortir de la maison, j’ai enfilé mon manteau.
C’est alors que tout a basculé.
Dans l’état d’inattention qui m’avait abruti la veille, j’avais oublié de retirer la photo et l’adresse de mon pardessus. La pluie avait imbibé les papiers et leur surface était indéchiffrable. Cependant, en y regardant bien, j’ai fait une découverte qui m’a stupéfait. Si je ne distinguais pas de visage sur la photo, et si l’adresse était illisible sur l’autre papier, c’était parc