On n échappe pas à l amour
196 pages
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On n'échappe pas à l'amour , livre ebook

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Description

C'est avec un art consommé que l'auteur révèle ligne après ligne, au fil des pages au lecteur, mais aussi aux personnages principaux eux-mêmes, que l'on n'échappe pas à l'amour...On n'échappe pas à l'amour est une oeuvre palpitante conçue avec un savant dosage d'humour, de peine et de gaité dans une écriture sous-tendue d'un réel élan poétique qui tient le lecteur en haleine jusqu'à l'ultime page.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2013
Nombre de lectures 220
EAN13 9791090625211
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Luisiano n’DoHou
On n’échappe pas à l’amour
CIV 521
10 bp 1034 Abidjan 10 - Côte d’Ivoire • Tél : (225) 21 56 50 63 • Fax : (225) 21 36 56 57 info@classiquesivoiriens.com • www.classiquesivoiriens.com
DU même àUteUr
Romans • Jusqu’au Mariage (Adoras-NEI) • Rendez-vous du bonheur (Adoras-NEI) • Je l’aime… Pas nous ! (Adoras – NEI) • Le masque de la Sifeuse (Cercle Editions) • Comme une nuit de noces (Cercle Editions) • Parenthèse dangereuse (Editions Balafons)
Nouvelles • La dernière dose de viagra (Cercle Editions)
Nouvelles (Publications collectives) • Une histoire pour l’an 2000 (CEDA) • Tournons la page (CEDA) • Intimes condences N°1 (Adoras – NEI) • Intimes condences N°2 (Adoras – NEI) • Juste pour goûter (John Hopkins)
À paraître • Une vie de bonnes fortunes (roman) • Ravissements amers (roman) • Un oiseau rare bien étrange (nouvelles) • L’empreinte du passé (roman) • Charles en ville (roman) • Drôle de village (roman)
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On n’échappe pas à l’amour
amus Évrard raccrocha le téléphone et un doux sourire d’encou-R ragement personnel otta sur ses lèvres. Il obtenait son premier rendez-vous pour une véritable séance de travail. Et pas avec n’importe quel auteur. Aurélie Guychards était l’un des grands noms de la littéra-ture ivoirienne. Et aux dires de certains, elle n’était pas facile. La célèbre romancière avait, disait-on, pour habitude de refuser catégoriquement que l’on déplace une seule virgule dans son texte, elle ne voulait pas qu’on n’y changeât un iota. Cependant, quand à la parution, les critiques littéraires relevaient des incorrections ou des écarts de langue dans le roman, elle s’emportait et accusait vertement son éditeur. « Enn, j’aurais maille à partir avec le monstre et je pourrais me forger ma propre opinion sur son compte… », pensa-t-il. Il l’attendait de pied ferme. Lui-même était une forte tête qui avait souvent le dernier mot dans ses transactions. Il embrassait fraîchement cette carrière de responsable de pro-duction à EDIPI (éditions populaires ivoiriennes) et avait des preuves à faire. Si la parution d’un roman était décriée, il en porterait seul le cha-peau. Il ne comptait donc pas laisser quiconque lui mettre des bâtons dans les roues. S’il disait amen à tous les caprices de la jeune femme, leur relation serait faussée d’avance et il aurait du mal à l’équilibrer par la suite. Mais il ne devait pas être trop brusque. Aurélie Guychards était un écrivain fécond qu’il côtoierait fréquemment. Surtout que ses parutions connaissaient un réel succès de librairie. Son talent attirait la sympathie de Mme Djama, présidente directrice générale d’EDIPI, qui l’appelait affectueusement « mon auteur préféré ». A 29 ans, Ramus Évrard était, comme disait son entourage, un beau gosse. Bâti à chaux et à sable, le torse large, les épaules muscu-leuses, les reins solidement cambrés, il trônait avec majesté du haut de ses 187 cm. Il devait son teint très clair à son ascendance peuhl. Ses grands yeux aux prunelles d’un noir de jais s’étiraient vers ses tempes et son nez grec était remarquable pour un Noir. Ses lèvres charnues et vermillonnes avaient un pli sensuel. Plus jeune, il n’était pas rare que des inconnues lui fassent des signes de la main pendant qu’il cheminait dans la rue. Et quand de sa démarche à la fois sûre et désinvolte, il partait vers le groupe, l’une d’entre elles disait en pouffant : « Mes amies disent que tu es trop
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On n’échappe pas à l’amour
mignon ! ». Et il répondait simplement « merci » d’un ton indifférent, mais er au fond de s’entendre continuellement faire ce compliment, en supputant dans le lot, celle sur qui il jetterait son dévolu en premier. Hans Anderson, son cousin et meilleur ami refusait qu’ils sortent ensemble draguer. « Tu crois que ça m’amuse de te voir toujours pré-féré par les lles ? », lui reprochait-il. D’ailleurs une fois, Hans Anderson ayant délégué Ramus auprès d’une charmante créature pour arranger son affaire, cette dernière avait spontanément marqué sa préférence pour l’envoyé. Et ce dernier avait beau lui expliquer qu’il venait au nom de son cousin, elle ne voulut rien entendre et s’accrocha à lui. Titulaire d’une maîtrise en Lettres Modernes, Ramus Évrard avait enseigné le français dans un lycée privé de la place pendant cinq ans. Au début, il s’était donné à cœur joie à la profession, sentant que là était sa vocation, sa vie. Puis la passion de l’enseignement était subitement morte. Entre l’inconfort du salaire et l’insolence des ls à papa dont certains parmi eux arrivaient à l’école au volant de grosses cylindrées, il y eut de quoi le désabuser, calmer ses ardeurs et le moti-ver à réorienter sa vie. Il s’était donc inscrit à des du soir pour étudier le marketing et deux ans après il obtint son master. Cette même année, Ramus éprouva le besoin de consigner quelques extraits de sa vie sur papier et il prit la plume. Il écrivit son autobiographie retraçant les moments douloureux de son existence. Il parla de son père qu’il n’avait jamais connu, de sa mère morte d’amour et de chagrin, quelque temps après sa naissance, le laissant orphe-lin sans rempart, ni affection… Il évoqua son arrivée à Abidjan pour poursuivre ses études secondaires, recueilli par un oncle chez qui il avait mené une vie de forçat… Il mit à nu ses innombrables conquêtes galantes, qui étaient pour lui un exutoire à sa peine, une preuve d’exis-tence, de pouvoir… Et il avait donné vie à son texte en y mettant des accents si touchants, si pathétiquement réels que le roman avait remporté le premier prix à un concours littéraire lancé en partenariat par EDLCI (ensemble développons la lecture en Côte d’Ivoire) et le CEI (club des écrivains ivoiriens). Mme Djama, membre de la première association, était chargée d’éditer les œuvres primées. Mais une année passa sans que Ramus n’ait eu la moindre information relative à son roman. Puis un matin, le PDG d’EDIPI l’avait appelé pour s’excuser du retard que mettait la parution de son œuvre et celles des deux autres lauréats.
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On n’échappe pas à l’amour
- Nous sommes en pleine restructuration interne, vous allez de-voir patienter quelque temps encore. Mais la saisie et la mise en page ont été faites ; vous pouvez passer prendre un tirage pour lecture et correction, l’avait-elle informé. C’était les grandes vacances et Ramus Évrard disposait de son temps. Il se t indiquer l’emplacement de la maison d’édition et dès le lendemain, s’y rendit. Il rencontra Mme Djama qui le reçut avec affabi-lité. Ils discutèrent longuement de littérature, leur passion commune avant d’en arriver au manuscrit du jeune homme. - Ma directrice de production m’a lâchée et je n’ai pas encore mis la main sur quelqu’un qui ferait mon affaire, avait-elle encore ajou-té, d’un air de regret. Elle se tourna d’un quart et désigna à son interlocuteur une pile de manuscrits sur une étagère. - Tous ces textes de littérature générale sont agréés par des lec-teurs ; il ne reste plus qu’à statuer pour en démarrer l’édition… Je n’ai pas le temps de gérer tout cela car je m’occupe personnellement de tout ce qui est scolaire et parascolaire… Sans compter que je dois frapper à de nombreuses portes pour trouver subventions et parte-naires… - Quel prol de carrière recherchez-vous pour ce poste de res-ponsable de la production? s’était enquis Ramus Evrard. - La récession me met dans l’obligation de réduire les charges de la maison ; il me faut donc quelqu’un qui ait plus d’une corde à son arc… - En clair ? - Une femme qui ait… Ou un homme, enn peu importe le sexe… Donc quelqu’un qui non seulement maîtrise les lettres pour la production avec tout ce que cela comporte : gestion du comité de lecture, recrutement des lecteurs, rencontre avec les auteurs, rédac-tion des comptes rendus de lecture critique adressés aux écrivains, corrections en cas d’édition… Et qui puisse suivre le produit, donc qui s’y connaît en commerce et promotion… - J’ai quelqu’un en vue… - Ah, bon ? Et pourriez-vous me faire rencontrer cette personne ? - Vous l’avez devant vous ! - Vous ? - Oui ! J’ai une maîtrise en Lettres Modernes et j’enseigne le français depuis cinq ans dans un lycée de la place ; j’ai aussi un master en marketing et je suis surtout un passionné du livre. - C’est intéressant, je suis moi-même une transfuge de l’ensei-
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On n’échappe pas à l’amour gnement et j’adorais l’imprimé ! Mais vous, vous avez un atout majeur de plus, vous écrivez… - Oh ! disons que j’essaie d’écrire… - Ne soyez pas si modeste, j’étais juré du concours dont votre œuvre a royalement remporté le premier prix ; vous avez une plume déjà sûre… Mais pour en revenir au travail de production, je voudrais quelqu’un à plein temps ; comme je vous le disais, il y a beaucoup à faire… - Si je fais votre affaire, je m’arrangerais pour être entièrement disponible. Son interlocutrice l’avait considéré quelque temps avant de ré-pondre : - Vous avez de l’allant, je vous donne votre chance ! s’était-elle exclamée en se levant. Elle prit une pile de manuscrits sur l’étagère ; y retira les ches de lecture remplies par les lecteurs, en sortit des vierges d’un tiroir de son bureau, les posa sur la pile des manuscrits et remit le tout au jeune homme. - Lisez-les, remplissez les ches de lecture critique. Puis dans le lot, choisissez le meilleur -vous me donnerez les raisons de votre choix-Commencez à le corriger à fond ( langue, syntaxe, orthographe…)comme si nous avions décidé de son édition ; puis faites des proposi-tions qui permettraient à l’auteur de parfaire son œuvre ! Vous avez une semaine ! C’est limite, je le sais, mais cela fait partie du test ! Ramus avait fait un travail impeccable sur les manuscrits puis avait choisiLa mort du nainmeilleur texte et l’avait travaillé comme à fond. C’était un roman à la contexture très savante et au suspense palpitant, probablement l’œuvre d’un écrivain conrmé. Le PDG avait été convaincue par la prestation du jeune homme. Elle lui t faire un stage plus approfondi en lui remettant sa vaste docu-mentation et il fut installé au poste de responsable de production. « Le reste viendra avec les différentes formations », avait-elle encouragé. Ramus avait donc démissionné de son poste d’enseignant.  Ramus posa le manuscrit sur son bureau et sortit sur la terrasse. Cette ultime lecture lui avait permis de s’imprégner de l’âme du roman et il était n prêt pour affronter Aurélie Guychards. Il regarda sa montre, elle arriverait incessamment… Il lui tardait de rencontrer cette femme qui avait une si belle plume. Ses personnages étaient étoffés, ses des-criptions d’un réalisme saisissant et le récit était émaillé de trouvailles. Surtout le style d’une richesse foisonnante avait séduit le jeune homme. Le suspense était à chaque page et savamment entretenu jusqu’à l’ul-
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On n’échappe pas à l’amour time chapitre… L’auteur exhumait par bribes, les antécédents des trois personnages centraux qui justiaient le drame que vivait leur famille… Mais Ramus Évrard avait refermé le manuscrit avec une impres-sion de malaise. L’ambiance générale du texte était lugubre, macabre, un univers obscur dans lequel le lecteur pénétrait avec des frissons dans le dos… Un monde ténébreux où passion et crimes rituels se succédaient à un rythme effarant. « Comment une femme peut-elle écrire de telles monstruosités ? » s’était-il demandé. Cette Aurélie Guychards ne pouvait être qu’une apprentie sor-cière ou une touriste en mal de sensations fortes… Vu l’accent qu’il avait entendu au téléphone, c’était une Blanche ou une métisse en quête d’exotisme qui s’amusait à se donner des frissons de frayeurs. D’ailleurs, son vocabulaire et la tournure de ses phrases n’étaient pas ceux d’ici. Le regard du jeune homme embrassa la cour eurie des Editions Populaires Ivoiriennes, sise à Marcory résidentiel. Le PDG était une fé-rue de eurs. Des roses et des jasmins foisonnaient dans le jardin, har-monisaient subtilement leurs senteurs et embaumaient l’air ambiant. A l’extrémité droite, au fond du jardin, du côté opposé à l’entrée principale, il y avait une fontaine d’agrément aménagée en aquarium. Sur le fond de sable marin, poussaient des algues vertes ; des poissons rouges nageaient gracieusement dans cette séduisante ore. Le bureau de Ramus Évrard disposait d’une porte-fenêtre par la-quelle il s’échappait souvent, irrésistiblement attiré par la fontaine.Il y avait à côté, un apatam sous lequel étaient disposées une table et des chaises. Il s’y installait avec des manuscrits et était tellement inspiré qu’aucune incorrection ne lui échappait.  Un éclat de rire général attira l’attention du jeune homme et le t réintégrer son bureau et sortir par l’autre porte donnant sur le couloir. Les rires provenant de la salle des machines s’étaient ampliés, signe évident de l’absence de la patronne. Ramus pénétra dans le local, seul endroit de la maison rafraîchi en permanence pour garantir le bon fonctionnement des appareils. Il y était réunis mesdemoiselles Makoura Geneviève et Dago Judith, nièce de Madame Djama, respectivement opératrice de saisie et secrétaire standardiste ; Koné Makan, étudiant en informatique, jouis-sant d’un réel don créatif, il faisait toutes les illustrations et avait égale-ment en charge la PAO ; Digbeu Jérémie, cousin du PDG qui s’occupait des expositions ventes et aidait à l’occasion aux petits travaux inté-rieurs ; puis Kof Rodrigue, le comptable et boute-en-train. C’était d’ailleurs une de ses rocambolesques histoires qui avait déclen-ché les rires.
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On n’échappe pas à l’amour Ramus s’installa parmi ses collègues et se t répéter la mésaven-ture du voisin de Rodrigue, un coureur de jupons notoire qui, une nuit, avait embarqué une inconnue, comme à son habitude. Mais quand dans sa chambre, il s’était attelé à la déshabiller, il fut stupéfait de constater qu’elle portait un nombre incroyable de vêtements. Chaque fois qu’il en ôtait un, il y avait un autre en dessous, sans n. Comprenant qu’il 1 avait affaire àune atôtôdétalant toutavait pris ses jambes à son cou, , il nu dans la nuit comme un dératé en abandonnant sa chambre à sa peu orthodoxe conquête. Ils riaient tous franchement de cette histoire quand une dame pénétra dans la salle. C’était une jeune femme d’une trentaine d’années, admirablement faite. Elle était grande, plus du mètre soixante-dix avec des hanches s’évasant en amphore sous une taille de guêpe. Sa bouche aux lèvres pulpeuses était noircie par un pinceau à lèvres, avec un nez n et retroussé ; et l’arc impeccable de ses sourcils fournis agrandissait son regard en lui donnant une expression de profondeur saisissante. Les rires avaient brusquement cessé, suspendus par l’apparition. - Bonjour, t la nouvelle venue en tirant sur la seconde syllabe. Sa voix grasseyante et très occidentalisée contrastait avec son habillement typiquement africain. Elle portait en effet un ensemble maxi dont un morceau du pagne aux motifs rouge et noir lui ceignait la tête. L’accent de la jeune femme t dans l’oreille de Ramus Évrardune impression de déjà entendu, mais il ne sut pas où. - Bonjour, répondit-il cependant en se levant ; puis-je vous être utile ? En l’absence de Mme Djama, il était le responsable de la maison et recevait les visiteurs de marque. Tout dans le maintien de celle-ci proclamait qu’elle appartenait à la haute société. - Ah, c’est vous que j’ai eu au téléphone ! s’exclama-t-elle d’un air enthousiaste en reconnaissant la voix de Ramus. Ce dernier, en charmeur invétéré, faisait vibrer dans sa gorge son timbre déjà riche et chaud quand il s’adressait à une femme. Cependant l’exclamation de la jeune femme avait davantage ac-centué son étonnement. Ses yeux rétrécis attestant des efforts qu’il faisait pour se souvenir, n’échappèrent pas à son vis-à-vis. - Aurélie Guychards ! Je suis ici pour la séance de travail portant surLa mort du nainvous êtes un peu mieux situé ? t-elle avec! Ça va, le sourire pour éclairer sa lanterne. Mais la précision avait jeté Ramus dans un autre trouble en accentuant plus encore sa stupéfaction. La voix lui manqua quelques
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On n’échappe pas à l’amour minutes pendant lesquelles il s’imprégna des propos de la jeune femme. Cette fraîche beauté qui se tenait en face de lui était-elle réelle-ment l’auteur du roman noir ? - Je suis… t-il en sortant enn de sa torpeur. Mais elle ne lui laissa pas le temps d’achever sa phrase. -Monsieur Ramus Évrard Béda, le nouveau responsable de la pro-duction ! Vous me l’avez dit au téléphone et Mme Djama m’en avait déjà informée ! t-elle d’un ton moqueur. - Je disais plutôt que j’étais honoré de rencontrer l’un des grands noms de la littérature ivoirienne ! reprit le jeune homme, mi-souriant. Passé le moment de surprise, il avait recouvré son sens particu-lier de la répartie. - Alors, elle est pour quand cette séance de travail ? - Maintenant ! Venez dans mon bureau, je vous prie, ajouta-t-il en la précédant dans le couloir. - Je préfère que nous travaillions dans le jardin, je m’y suis tou-jours mieux sentie, l’esprit ravivé par les senteurs des roses et la vue de la fontaine ! Vous n’y voyez pas d’inconvénients, j’espère, ça a tou-jours été ainsi du temps de votre prédécesseur, Suze Adélaïde ! - Comme vous voudrez ! t le jeune homme en réprimant son envie de lui lancer à la gure que les habitudes de Madame Binzème étaient mortes avec son départ. Quand ils arrivèrent sous l’apatam, Ramus lui désigna une chaise et s’assit le premier sans attendre qu’elle s’installât. Il était irrité et n’avait pas envie de le lui cacher, de jouer la comédie. Telle que les choses se présentaient, ils se heurteraient à la première critique qu’il lui adresserait à propos de son texte. Mais contre toute attente, la rencontre commença, se poursuivit puis se termina sans la moindre dissension. Ramus Évrard qui s’atten-dait à des refus butés, sans la moindre concession fut agréablement surpris par la courtoisie et le sens de la mesure dont t montre la romancière que l’on taxait d’intraitable. Il avait relevé des anachronismes qui la rent sourire ; telles que la bouteille d’Evian qui coûterait 500f CFA à l’époque coloniale et la Peugeot 406 qui manifestement n’était pas encore dans les annales du constructeur automobile français. Dans le texte, Julienne, l’épouse d’Akindrin, l’un des personnages centraux avait une attitude équivoque.Vers la n du roman, elle s’était éloignée de sa dernière lle, Lucette, la repoussant sans raison, refu-sant de la prendre dans ses bras. L’auteur voulait en fait montrer que la llette n’était pas la vraie lle de Julienne mais plutôt celle de Marie,
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On n’échappe pas à l’amour la maîtresse d’Akindrin. Pourtant celle-ci avait recueilli et élevé Lucette avec amour et sollicitude dès sa naissance. « Cette nouvelle attitude de Julienne est en contradiction avec sa nature tout au long du roman ; d’autant plus que vous la décrivez comme un personnage doux, aimant, attentionné, plein d’élan maternel et surtout très attaché à la llette » avait fait remarquer Ramus. Et Aurélie Guychards avait accepté toutes les autres remarques. Elle dut convenir qu’elles étaient pertinentes. La séance de travail se termina sur une note de bonne humeur. - Merci pour votre bonne disposition ; cette première rencontre fut un réel plaisir… Je ne m’attendais… - Vous ne vous y attendiez pas, je le sais ! J’ai une idée on ne peut plus précise du monstre rebelle, furieux, rouspétant qu’on a dû vous décrire ! s’exclama la jeune femme en éclatant de rire. Son sourire éblouissant exhiba une superbe dentition et des gen-cives d’un rose vif, contrastant avec les lèvres noires. - Souffrez que je vous épargne un pieux mensonge en ne vous contredisant pas ! t Ramus Évrard en partant également d’un rire, contaminé par le sien. Et il montra des dents tout aussi saines, solides qui rivalisèrent d’éclat avec les siennes. - Eh bien, pour être franc, vous l’êtes ! t-elle en agitant devant lui un doigt faussement menaçant. - Pour ça, vous pouvez compter sur moi ! répondit-il, en remuant également l’index vers elle. Ils rirent longuement, comme de vieux amis partageant de nom-breux souvenirs et complicités. - Ça tombe bien, il y a une question que j’ai toujours souhaité po-ser à un écrivain conrmé ; pourquoi certains d’entre vous ne tolèrent pas que l’on touche à une seule virgule de leur texte ? s’enquit-il. - Eh bien, ces écrivains-là dont je fais partie - je vous ai vu venir-sont des mères poules ! Parce qu’une œuvre, c’est le bébé de l’écrivain et que son enfantement est long et laborieux ! Personne n’aimerait voir son ls émasculé ; c’est ce que fait l’éditeur quand il retranche certains passages ! Vous en connaissez vous, des mères qui seraient contentes qu’on fasse un deuxième nez ou un troisième sein à leur lle ? Cher monsieur, c’est ce que vous faites quand vous ajoutez en douce de petites choses à nos textes ! - Ah, je vois ! Mais dites-moi, et si la lle en question était née avec une malformation congénitale, et qu’elle n’avait qu’un sein au lieu des deux habituels ?…
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