Sonder n est pas jouer
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Sonder n'est pas jouer , livre ebook

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Description

René, qui déteste les sondeurs, les sondages et ce qu’il juge comme une inquisition, une intrusion dans sa vie privée, décide d’accepter de répondre à un sondage-express, dans la rue. Pour voir, pour se conforter dans l’idée qu’il s’en fait et, le cas échéant, pour dire leurs 4 vérités à « ces gens ».

Informations

Publié par
Date de parution 24 octobre 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312052885
Langue Français

Extrait

Sonder n’est pas jouer
Alain Dumas - Noël
Sonder n’est pas jouer
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2017
ISBN : 978-2-312-05288-5
« Un sondeur sachant sonder doit savoir sonder sans son doigt mouillé »
(Proverbe)
Chapitre I
1. René Tardet , 42 ans, bon état général, humeur optimiste certains jours et en particulier aujourd’hui, marche dans une rue de la cité qui l’a vu naître. Ville que sans vouloir vexer personne qui y vive on qualifierait de moyenne, peut-être sous-préfecture, possédant tout de même deux cinémas et un théâtre municipal, une fontaine du XVIème siècle et le vague souvenir d’un général de Napoléon , enfant d’ailleurs passablement ingrat du pays, dont la statue orne la Place de l’Hôtel de Ville .
Aucune activité – industrielle ou artisanale – qui lui soit réellement spécifique, ni la moindre spécialité culinaire, ne la signale à l’attention des économistes ni des gourmands, nulle bataille ni fait historique marquant ne lui vaut la considération des érudits ni l’intérêt des touristes.
Son équipe de football n’a jamais gagné le championnat, ni même ne s’est hissée en première division, mais cela (tant est grande la force de l’habitude) n’empêche pas ses enfants de l’aimer.
Celui que nous suivons présentement vous le dirait. Surtout aujourd’hui. Il respire à pleins poumons l’atmosphère printanière qui baigne les alentours. Tout lui est une fête, tout lui semble léger…
2. Saisi peu à peu par la légèreté de l’air, la douceur de la lumière qui environne toutes choses et notamment chaque recoin de cette ville qu’il aime, et qui est la sienne, René commence à fredonner, sifflote et va jusqu’à parler tout seul – lui dont ce n’est pourtant pas le genre, mais… il paraît que cela arrive dans les meilleures familles :
– Aah ! Le printemps ! Le printemps… ! – Décidément, j’adore cette saison privilégiée, cette période incroyable – ce quasi-miracle – où toute la création rejette joyeusement le froid couvercle qui pesait sur elle depuis des mois !
Le soleil est doux (l’été, c’est trop : moi, je suis un modéré), les femmes sont belles, les oiseaux… – Oh ! Serais-je à court de lyrisme, déjà ? – les oiseaux volent !… On marche, on n’a même plus envie de prendre le bus. Le métro, encore moins, fi ! D’ailleurs, moi, je n’ai jamais envie d’utiliser cet odieux moyen de locomotion, ce suppositoire qui serpente dans les boyaux de la ville !
René se promène dans la rue, et salue au fur et à mesure les endroits qu’il connaît, et qu’il aime : la place de la Fontaine, le quartier piétonnier où il s’amuse à suivre l’animation des commerces et le va-et-vient des robes colorées des jolies femmes.
Lui qui habituellement n’est guère porté sur le lyrisme, tout cela et sans doute bien d’autres choses lui inspirent ce qu’il faut bien appeler une tirade. Si d’aventure il disposait d’un luth, illico il le tirerait de la poche de son veston, le calerait contre son cœur et, s’appuyant sur un genou posé contre une borne, ne se priverait pas (– Tiens ! je vais me gêner !) d’annoncer, solennel :
– Tirade… !
Faute, hélas ! Du moindre instrument de musique, il se contente de jeter sur un mode plus prosaïque mais avec non moins de ferveur, au vent de son imagination, les phrases suivantes :
– On regarde autour de soi, tout vous est une fête… – Enfin, presque tout, disons-le avec un long soupir : ça dépend des jours, évidemment !
… Parce qu’il y a toujours des fausses notes dans la musique ! Et, pour mon malheur, j’ai de l’oreille, et j’ai beau faire, je n’en loupe pas une !
Et non seulement illico, mais aussitôt – comme par un fait exprès, tenez ! – à croire que René avait inconsciemment tiré, là-haut ou ailleurs, quelque sonnette d’alarme, un aveugle lui agite sous le nez une sébile au fond de laquelle il fait s’entrechoquer fort bruyamment quelques pièces jaunes :
– Monsieur, s’il vous plaît : pour un pauvre aveugle civil… !
Sans interrompre sa marche, Tardet l’a éloigné d’un revers de main ponctué de quelques mots. Mais au bout d’un moment :
– Ha, ha ! (s’écrie-t-il) Comme c’est curieux, les phrases machinales qu’on prononce : celui-là, je lui ai répondu « Non, merci ! »… – comme s’il me proposait un prospectus, ou de l’argent !
Prenant de la hauteur par rapport à l’incident, il se laisse aller à songer : « Les quêteurs, il y en a toujours eu ! Cela fait partie du paysage, pour ainsi dire… »
Il s’apprête même, dans la foulée, à prophétiser à cette catégorie socio-professionnelle un avenir aussi long que brillant. Mais une voix, de femme cette fois, l’interrompt :
– Monsieur ! Vous avez un petit moment, s’il vous plaît, pour répondre à quelques questions… ?
Lui lançant un regard intrigué, il note qu’elle est assez mignonne, ce qui lui confère une assurance que ruinerait un goitre ou une simple verrue sur le bout du nez. Et elle insiste, la sirène tentatrice :
– Oh ! Oui, je sens que Monsieur n’est pas si pressé qu’il veut bien le faire croire, et qu’il a très envie de se soumettre à mon petit questionnaire. Non ?
Là, elle en fait juste un tout petit peu trop, et Tardet se détourne, déçu de la voir ainsi verser dans l’équivoque, et rebuté par le clin d’œil canaille dont elle accompagne ses propos qui ressemblent à des propositions.
3. Non, Madame, non – non, et non : je n’ai pas le moindre petit moment, pas le plus minuscule instant à vous consacrer !
C’est qu’en effet il a devant lui une tâche dont il ne saurait différer l’accomplissement : la poursuite de son monologue. Il s’en acquitte avec conscience :
– Voilà ! Voilà ce qui guette le promeneur, ce qui incessamment blesse son euphorie, ce qui l’anéantit ! Le mal du siècle : j’ai nommé l’interview, le questionnaire – le « Sondage-Express » ! L’interrogatoire, oui : incisif, impertinent – indiscret… Intolérable ! Inacceptable ! Tout le monde veut savoir ce que vous pensez, ce que vous ressentez, si vous croyez que, et si à votre avis, voire si selon vous… ! Selon vous ! – Ha ! Trois fois malheureux les pauvres d’esprit qui prendraient à la lettre cette expression : selon les gens de votre catégorie, plutôt, oui !
La sienne, de place – celle que lui assigneraient immanquablement les tenants de l’effroyable taxinomie des sondés de tous les pays, il en voit déjà d’ici l’impitoyable intitulé, le libellé sinistre : il pressent qu’il appartiendrait selon eux à un sous-groupe défini (croient-ils) par « Employés-trente-trois-trente-cinq-ans-sportifs-célibataires-catholiques-non-pratiquants-droitiers – citadins »… – Oh ! Oui, il les voit venir, ou plus exactement il sent derrière lui dans l’ombre approcher leur marche rampante, leurs frôlements visqueux, qu’est-ce qu’ils croient ? Ils peuvent toujours essayer de le flatter, tenter de lui faire croire que c’est lui en tant que lui, sa personnalité, son individualité qui les intéresse ! Tu parles, à d’autres !
Tardet n’a jamais trop aimé les sondeurs d’opinion (– Est-ce que je t’en pose, moi, des questions ?!). Mais ce matin, allez savoir pourquoi, il se met à leur vouer une détestation farouche. Peut-être parce qu’ils lui gâchent (par leur présence indiscrète) la beauté de ce matin. De « son » matin. Ou parce que le taux de certaines de ses hormones a inopinément grimpé dans son organisme, et le rend plus agaçable qu’à l’accoutumée ?
Quêteurs et enquêteurs lui paraissent poursuivre le même combat, qui attente insupportablement au bien-être, à la liberté, au bonheur même !
Les seconds sont en fait une autre variété, tout aussi détestable, de tapeurs : ils vous extorquent votre opinion, et ensuite la réutilisent à leurs propres fins, dans lesquelles vous n’avez aucune part, sur lesquelles vous ne pouvez exercer le moindre droit de regard. Alors qu’eux s’arrogent le droit de fouiller dans l’intimité de votre pensée et de vos modes de vie, qu’ils rebaptisent « modes de consommation&n

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