Tango
51 pages
Français

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Description

Souvent confrontés au malentendu, voire à l’opacité d’une société vouée à la rentabilité immédiate, les personnages de Tango prennent le chemin de l’exil. Un exil qui peut tout autant se faire par-delà les frontières géographiques qu’en traversant des limites intérieures.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 novembre 2020
Nombre de lectures 2
EAN13 9782896996551
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tango

Daniel Castillo Durante
 
 
 
 
 
 
 
 
Tango
 
Nouvelles
 
 
 
 
 
 
 
 
2020
Collection Vertiges
L’Interligne

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
 
Titre: Tango / Daniel Castillo Durante.
 
Noms: Castillo Durante, Daniel, auteur.
 
Collections: Collection Vertiges.
 
Description: Mention de collection: Vertiges
 
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20200172166 | Canadiana (livre numérique) 20200172190 |
 
ISBN 9782896996537 (couverture souple) | ISBN 9782896996544 (PDF) | ISBN 9782896996551 (EPUB)
 
Classification: LCC PS8555.A785588 T36 2020 | CDD C843/.54—dc23
 
 
 
 
 
 
 
L’Interligne
435, rue Donald, bureau 337
Ottawa (Ontario) K1K 4X5
613 748-0850
communication@interligne.ca
interligne.ca
 
Distribution : Diffusion Prologue inc.
 
ISBN 978-2-89699-655-1
© Daniel Castillo Durante 2020
© Les Éditions L’Interligne 2020 pour la publication
Dépôt légal : 2 e trimestre de 2020
Bibliothèque et Archives Canada
Tous droits réservés pour tous pays

I shall be gone and live, or stay and die.
Shakespeare
 
Papillon du Parnasse, et semblable aux abeilles
À qui le bon Platon compare nos merveilles.
Je suis chose légère, et vole à tout sujet ;
Je vais de fleur en fleur, et d’objet en objet.
La Fontaine



Un monde sans levure







Son grand-père, Augustin Vidal I, fut le premier à s’intéresser à la levure au Canada. Sans levure, la Terre serait comme une jolie femme privée de poitrine , aurait-il proclamé urbi et orbi le jour où il avait inauguré sa première usine sur l’île de Montréal. Une phrase que la chronique familiale réactivait de temps à autre afin de faire remonter à la surface des marchés du pain, de la bière et du vin la parole pionnière du fondateur de Levadura S. A., entreprise aujourd’hui mondialisée avec des usines et des laboratoires sur trois continents et dont le chiffre d’affaires dépasse allègrement le milliard de dollars. Son père, Augustin Vidal II, « Gustino » pour les intimes et le « Big Boss » pour les « extimes », ne parlait depuis une bonne vingtaine d’années que de « consolidation », de « convergence », de « synergie » et d’« économie d’échelle », quatre mots fétiches qu’il énonçait en français, en anglais, en espagnol, en portugais et en mandarin – oui, en mandarin également depuis la sortie de terre d’une dernière usine dans la proche banlieue de Shanghai.
C’était d’ailleurs dans cette ville de plus de 25 millions d’habitants qu’Augustin Vidal III, « Gustinito », avait vu le jour par une obstination en quelque sorte géographique de son père qui tenait absolument à ce que son fils aîné maîtrise la langue-clef du commerce en Asie-Pacifique. En effet, 24 ans après sa naissance au bord du fleuve Huangpu tout près de l’embouchure du Yangzi Jiang, le fleuve Bleu, à l’est de la Chine, l’héritier s’exprimait dans un mandarin irréprochable. Seul bémol, il bégayait dès qu’il fallait parler d’argent. En revanche, il pouvait réciter par cœur des poèmes entiers de Xu Zhimo, son écrivain chinois moderne préféré, sans l’ombre d’une hésitation. Langue tonale, le mandarin se sert de quatre tonèmes (haut et plat, montant, modulé et descendant) pour transformer le sens du mot. Voilà peut-être pourquoi Gustinito ne parlait affaires qu’en descendant et non sans résistance. Mais dès qu’il assistait à une représentation de théâtre chanté traditionnel chinois ( xì q ǔ ), une espèce de lévitation spirituelle s’emparait de lui, le rendant tout à fait indifférent au commerce des tonnes de levure dans lequel se vautrait son père à longueur d’année tel un porc dans la fange.
Le jour de son 24 e anniversaire, alors qu’il se rendait à l’université Jiao-tong de Shanghai (en mandarin, 上海交通大学 ), la plus célèbre de la ville, il aperçut un homme aux cheveux longs tenant en laisse une ribambelle de gros ordinateurs de bureau qu’il promenait comme s’il s’agissait de chiens. Très étonné, il demanda à son chauffeur de s’arrêter au bord du trottoir.
— Pourquoi faites-vous ça ? demanda-t-il en descendant de la Bentley Mulsanne Speed dernier modèle que l’entreprise de son père mettait à son service pour tous ses déplacements en Chine.
L’inconnu s’arrêta net, comme si la voix du jeune homme ne lui était pas étrangère. Puis il dit, en regardant la voiture :
— Le jour où avec l’un de vos cheveux il vous sera possible de sortir cette voiture de votre route, vous comprendrez.
L’homme venait de lui parler avec le ton grave et serein qui n’était pas celui des subalternes qu’il croisait quotidiennement dans les usines de son père. Aussi avait-il le regard impénétrable d’un de ces moines bouddhistes qui apprenaient aux jeunes adeptes à se détacher du monde et de ses mirages.
Du coup, l’étudiant qui s’ennuyait jusque-là au milieu de ses camarades de classe comprit que la rue venait de lui donner un maître. Aussi faudrait-il dorénavant le suivre à la traîne un peu comme un de ces ordinateurs dont il apercevait à présent les minuscules roulettes qui leur permettaient de se déprendre de la société marchande et de ses mirages.


Cimetière marin







La maison donnait sur la baie de Banderas, et depuis la colline, l’eau de sa piscine se confondait avec le bleu turquoise de l’océan. Vue d’en haut, la mer étale ressemblait à une table de billard qu’un dieu facétieux se serait amusé à azurer à sa guise. Il fallait de l’endurance et des jarrets solides pour remonter l’à-pic particulièrement prononcé de la falaise débouchant sur la corniche où il avait contemplé, pour la première fois, les deux balcons en arcade recouverts de bougainvilliers. Casa Siete Soles , pouvait-on lire entre les lierres accrochés au mur en pierre de l’entrée.

Se vende
For Sale

En vente ? Son cœur fit un bond. Voilà la maison dont il rêvait depuis des années. Chaque fois qu’il se rendait à Guadalajara rendre visite à la traductrice Françoise Roy, il se débrouillait pour passer au moins une semaine sur la plus belle station balnéaire du Pacifique mexicain. Coloniale de la tête aux pieds, la villa s’intégrait avec grâce au paysage des montagnes encerclant l’immense baie de Puerto Vallarta. Son père, artiste-peintre, avait été le premier à lui vanter la beauté de l’État de Jalisco. Il avait séjourné au bord de la mer plus d’une fois quand il était jeune, dans ce village de pêcheurs qui deviendrait, avec l’arrivée du tourisme de masse, une agglomération urbaine de plus de 200 000 habitants. Il suffisait d’ailleurs de revoir le film La nuit de l’iguane de John Huston, tourné sur place en 1963, pour constater la transformation des lieux. Il n’en demeurait pas moins que le cœur de Puerto Vallarta avait su conserver intact son charme de ville mexicaine les pieds dans l’eau.
Mais à présent le fils de l’artiste n’était pas dans un film et le réel frappait à sa porte. Pourquoi ne pas vendre son vieux condo du Mile End à Montréal et venir s’installer ici ? Abandonner enfin l’hiver du Nord, long, âpre, sans miséricorde ? Après tout, sa profession de traducteur lui ouvrait tous les horizons de la planète. Oui, mais combien pourrait-il tirer de 600 pieds carrés dans un immeuble délabré de la rue Waverly ? Un montant de 280 000 dollars ? Ou 300 000 à tout casser ? La maison qui venait de rallumer sa convoitise ne devait pas coûter moins de 700 000, en dollars américains par-dessus le marché !
Revenu sur ses pas, assis à une table d’une terrasse de la vieille ville, il s’efforça en vain de se raisonner. Située au sud du R ío Cuale, tout en haut de la plage Conchas Chinas, Casa Siete Soles venait le chercher avec ses balcons fleuris et son grand portail en bois ancien qui rappelait l’entrée seigneuriale d’une hacienda mexicaine. Son iPhone devant lui, il ne tarda pas à retrouver les coordonnées du courtier ainsi que la description à l’eau de rose qui accompagne d’habitude ce genre de propriété haut de gamme :

Absolutely stunning, drop dead, gorgeous views of bay,
beach and jungle hillside. Incredible swimming pool,
bar, entertaining area and water feature.
Contact Michael Green, listing agent

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