Terres pouilleuses
154 pages
Français

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Terres pouilleuses , livre ebook

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Description

Deux événements familiaux dramatiques du début du XXe siècle sont à l’origine de cette fiction qui s’inscrit dans le conflit de 1914-1918. La Grande Guerre va chambouler l’existence d’agriculteurs champenois, jusqu’alors attachés au travail de la terre et à ses récoltes, dans une rencontre de l’histoire intime et de l’Histoire.
Mort et vie s’affrontent au cœur de cette terre nourricière de Champagne, une terre vidée de ses hommes le temps d’une guerre, mais que l’on se doit malgré tout de transmettre à ses descendants.
Tous les sentiments humains sont exacerbés par les bouleversements de l’époque. Amour, haine, jalousie, désespoir, convoitise, tristesse et nostalgie animent le roman, au fil du parcours de quatre femmes : Honorine, Louise, Léonie et Eugénie.
À travers elles, découvrez la société rurale d’autrefois, ses coutumes, ses drames et son évolution, accélérée par la première guerre mondiale.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 mars 2020
Nombre de lectures 159
EAN13 9782370116703
Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

TERRES POUILLEUSES

Catherine Messy



© Éditions Hélène Jacob, 2020. Collection Littérature . Tous droits réservés.
ISBN : 978-2-37011-670-3
Aux femmes de ma famille
… l’amour de la terre nourricière, la terre dont nous tirons tout notre être,
notre substance, notre vie, et où nous finissons par retourner.
La Terre , Émile Zola

Par un attrait qu’on ne peut définir, la terre natale nous appelle
toujours à elle, et ne se laisse jamais oublier.
Fragments , Ovide

Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud

Le vrai paysan meurt de nostalgie sous le harnais du soldat,
loin du champ qui l’a vu naître.
La Mare au diable , George Sand
Prologue


Elle gare sa voiture devant la grille en fer forgé du petit cimetière de campagne où repose dorénavant sa mère. Le ciel est d’un blanc laiteux, le soleil de printemps est encore pâle, mais caressant. Elle éprouve un peu d’appréhension à l’idée de se retrouver face à la tombe. Elle n’a jamais aimé les cimetières.
Après avoir poussé le portillon, elle s’achemine lentement en direction de la dalle, un marbre gris moucheté de blanc, lisse au toucher, comme l’était la peau veloutée du visage maternel. Elle avait toujours apprécié de l’embrasser pour sentir sa douceur et son odeur naturellement parfumée.
Un an déjà que celle qu’elle a tant chérie est retournée à la terre de ses ancêtres. Cette Champagne crayeuse, appelée jadis « pouilleuse » en raison de l’une de ses plantes de friche, le pouillot ou serpolet. C’est ce que son père, lui-même originaire d’une autre contrée de la Champagne, lui a expliqué un jour. Elle est allée se renseigner sur Internet : « Une terre caractérisée par le paysage de grands champs nus, étalés sur de basses collines, dont le sol crayeux humide fournit d’excellentes conditions à la culture des céréales, de la luzerne, voire de la betterave à sucre et de la pomme de terre. » {1}
Mathilde se remémore être venue jadis dans la contrée et avoir rendu visite plusieurs fois, au cours de son enfance, à ces parents qui y vivaient, qu’elle connaissait mal et qui s’adressaient à elle en l’appelant « cousine ».
— Bonjour, mon oncle ! Comment vas-tu, ma tante ?
— Bonjour, Léonie ! Et toi, cousine ! En vacances chez tes grands-parents ?
Les souvenirs ressurgissent : les jeux en compagnie d’autres enfants à travers la grange où les ballots carrés de paille permettaient toutes sortes de cachettes et de glissades, les randonnées dans les prés et les champs de céréales, la visite de l’étable et son odeur caractéristique de fourrage et d’excréments. Les vaches ! Les vaches et le moment de la traite ! Un incident lui est resté en mémoire : un jour qu’elle était allée dans l’enclos les chercher en compagnie de ses petites-cousines, on lui avait demandé de courir devant pour ouvrir la barrière. Mais elle n’avait pas réussi à actionner la clôture récalcitrante tandis que les bêtes arrivaient en nombre en la fixant du regard. Elle, petite citadine effarouchée, avait senti l’anxiété et la peur l’envahir face à ces bêtes inoffensives, qui faisaient cercle autour d’elle et laissaient parfois échapper un meuglement. Une peur sans doute perceptible, car ses cousines en avaient bien ri.
Il y avait aussi l’épicerie du village où elle allait avec tous ses compagnons de jeu s’acheter des confiseries…, et surtout la présence énigmatique d’une vieille dame que ses grands-parents l’emmenaient toujours saluer, « une sainte femme, d’une grande générosité, elle allait souvent avec ta maman déposer un cierge sur l’autel de la Vierge Marie. Elle souffre d’être dans cette condition, crois-moi ! Elle se demande chaque jour quand le bon Dieu va accepter de la rappeler à lui ! ». Elle entend encore la voix de sa grand-mère Léonie lui en faire le récit. Une histoire que sa mère corroborait, lorsqu’il lui prenait l’envie de parler de sa propre jeunesse.
Cette lointaine cousine, prénommée Florine, impressionnait Mathilde. Elle ne serait jamais allée la voir toute seule. La vieille femme, tout de noir vêtue, les recevait dans une pièce sombre. Elle était aveugle et paralysée, confinée dans son fauteuil. Un membre de la famille s’occupait quotidiennement de sa nourriture et des soins à lui donner. Mathilde la découvrait à chaque visite, assise devant une énorme cheminée dont l’âtre immense était noirci par la suie. Une odeur caractéristique de bois brûlé emplissait la pièce. Odeur qui est restée gravée dans sa mémoire depuis ce temps-là. L’image de cette cousine lui revient à l’esprit chaque fois qu’elle fait brûler des bûches dans sa propre cheminée.
Elle repense à ces femmes, mères, tantes, ou tout simplement parentes de ses lointaines petites-cousines. Elle les voyait souvent chaussées de leurs bottes de caoutchouc, vêtues de longues blouses pour se protéger des salissures, fermières d’autrefois qui ignoraient ce qu’étaient réellement le repos ou les vacances, pour lesquelles le mot répit n’existait pas.
Toute une famille maternelle dont elle s’était éloignée en suivant ses parents, partis s’installer à des centaines de kilomètres de cette région champenoise. Elle n’avait pas conscience, alors, du haut de ses 6 ans, de côtoyer ceux-là mêmes, ou leurs descendants, dont elle parlerait un jour dans un livre, des rescapés de la Grande Guerre, des témoins d’un autre temps, restés sur la terre de leurs aïeux.
Une contrée quittée par obligation, mais omniprésente dans les pensées de sa propre mère, qui, à son grand regret, n’y était pas née.
— J’en veux à ta grand-mère Léonie d’avoir tourné le dos à ses racines. La terre, il n’y a que ça de vrai ! Je ne comprends pas qu’elle ait pu renier ça ! C’est là-bas que je veux être inhumée. Tu ne peux pas imaginer comme j’y ai été heureuse ! C’est toute mon enfance !
Elle était obsédée par le passé. Elle s’y réfugiait en permanence, oubliant de vivre dans le présent. Ce présent que sa mémoire avait fini par faire disparaître par bribes au tout début, puis définitivement. Elle s’était perdue au milieu de ses souvenirs, et son esprit, noyé dans la nostalgie d’un temps à jamais révolu, avait lentement sombré pour ne laisser place qu’au néant.
Le marbre gris, constellé de minuscules taches noires et blanches, est adossé à celui des grands-parents maternels de Mathilde. Les fleurs ont été malmenées par le vent hivernal, dont les rafales impétueuses ont renversé les pots déposés à l’automne. Après avoir brossé et lessivé la pierre, réarrangé les bouquets et les vasques, jeté les fleurs fanées, elle se tient debout devant ce qui recouvre la dépouille de sa mère. Elle la revoit allongée lors de la mise en bière, le teint cireux. Elle ne peut pas l’imaginer desséchée sous des tombereaux de terre. Elle s’est simplement endormie, en attendant la venue de celui qu’elle a tant chéri : son mari. Une place lui est réservée.
Des tombes, certaines noircies par le temps qui passe, défilent sous ses yeux à mesure qu’elle fait le tour du cimetière. Un nom attire son attention : DRUARD. Patronyme bien connu du village. Celui de l’arrière-arrière-grand-père Ernest.
Mathilde a si souvent entendu parler des membres de la famille, et notamment de ses femmes ! Elle a fréquemment regardé des photos datant du siècle dernier en compagnie de sa mère. Celle-ci en avait gardé tout un lot qu’elle ressortait de temps à autre pour se replonger dans une époque qu’elle avait toujours qualifiée d’heureuse. Celle où il faisait bon vivre, où l’on prenait le temps d’apprécier les moments importants de l’existence : beaucoup de photos de mariage, de communions, de baptêmes… Celles-là mêmes que Mathilde conserve à présent pieusement dans une petite boîte métallique, en souvenir de sa mère et de sa grand-mère. Une boîte qu’elle ouvre de temps à autre pour faire émerger les souvenirs maternels et ceux de sa propre jeunesse. Mathilde a toujours senti en elle les effluves du passé.
Souvenirs d’enfance
Dans ma tête enfouis.
Ils forment une danse
Dans laquelle j’oublie
Le présent incertain
Des parents vieillissants,
Dont chaque lendemain
Est un rude combat.
Y retrouver l’odeur
Des bonheurs d’autrefois,
Celle d’une demeure
Où l’enfant s’émerveille
D’y voir des trésors
À nuls autres pareils.
Bijo

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