Trois fois en guerre
176 pages
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Trois fois en guerre , livre ebook

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Description

Et m’y voici donc, m’y voici bel et bien - chez les fous !
Il pourrait s’agir d’une chambre d’hôtel, assez d’espace et puis cette joie, vrai combien amère, on trouve ici de l’ordre autour de soi.
Une douche, un lit, une table, une chaise ; de quoi se laver, dormir, travailler ; l’exactitude utilitaire, stricte, organisée ; un hôpital ; et tous les hôpitaux se ressemblent. Par là comme une sorte d’oubli discret de ce qui fut et, dans le même temps, un retour, un saut : Des souvenirs, des heures passées ; des parts de soi lointaines qu’on croyait oubliées. Quelques tendresses, des sourires - ici, présents.
Le tout, fait ressurgir, ce qui s’est tue depuis longtemps, et voici
donc ces minutes : Celles du moment, celles revenues, celles aussi auxquelles on voudrait croire : Celles non advenues encore.
Un peu d’air, d’espace, au calme. Des infirmiers rien à dire ; discrets, simples et courtois. On n’a pas trop - par le traitement et les formes - attenté je crois à ma personne ; ici, ma dignité reste acquise.

Informations

Publié par
Date de parution 15 avril 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312043081
Langue Français

Extrait

Trois fois en guerre
Florent Verdier
Trois fois en guerre
( Un Amour )






LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2016 ISBN : 978-2-312-04308-1
Partie I
Et m’y voici donc, m’y voici bel et bien – chez les fous !
Il pourrait s’agir d’une chambre d’hôtel, assez d’espace et puis cette joie, vrai combien amère, on trouve ici de l’ordre autour de soi. Une douche, un lit, une table, une chaise ; de quoi se laver, dormir, travailler ; l’exactitude utilitaire, stricte, organisée ; un hôpital ; et tous les hôpitaux se ressemblent. Par là comme une sorte d’oubli discret de ce qui fut et, dans le même temps, un retour, un saut : Des souvenirs, des heures passées ; des parts de soi lointaines qu’on croyait oubliées. Quelques tendresses, des sourires – ici, présents.
Le tout, fait ressurgir, ce qui s’est tue depuis longtemps, et voici donc ces minutes : Celles du moment, celles revenues, celles aussi auxquelles on voudrait croire : Celles non advenues encore.
Un peu d’air, d’espace, au calme. Des infirmiers rien à dire ; discrets, simples et courtois. On n’a pas trop – par le traitement et les formes – attenté je crois à ma personne ; ici, ma dignité reste acquise.
Je tourne et retourne ce qui m’arrive, m’essaie à en rire – et je ris parfois, je ris aux éclats ; n’ai-je pas tout compté bien de la chance ? Toute celle possible après ces années folles ? Mon dieu ! Quelle paix ! Et tant de bonnes nuits en perspectives ! Voici donc, pilules, sommeil et rires.
Médication, Valium, pastille, Zyprexa, deux jours à Sainte Anne puis la clinique. N’est-elle pas jolie d’ailleurs, cette clinique aux allures de navire ? Jamais architecte n’a si bien compris la mer qu’il en fasse ainsi, par métaphore, par l’extérieur, la capitale, celle qu’on voit, sise juste aux portes de l’ouvrage.
Une seconde je vérifie, oui, tout va bien, le lit est bon ; aussi bon que cette chaise d’ailleurs aux allures de fauteuils et qui – tel une voile-gonfle ou dégonfle suivant qu’on s’y assoit.
Médication/ Médication 2 : Pastille – pour le sommeil – à l’arrivée.
De toute façon tout est déjà décidé. Vos parents, vos proches ne vous supportent plus et, par un jeu compris, comme entendu, vous voici là, inscris entre quatre murs dont la clé vous échappe.
C’était il y a déjà deux jours et de ces deux premières nuits je n’ai gardé, je l’ai dit aucun souvenir ; aucun souvenir véritable. Des histoires de boissons, un café pris peut-être, une visite, un jeu de blouse blanche, des hommes, croisés, regardant autour d’eux ; ici, jusqu’aux sourires sont fragiles. Des démarches hésitantes, encore, et des queues entre deux fous, des pilules. Mais cela n’a pas d’importance ; je me tais car ce que je vois, vois d’abord ici, c’est la paix, le silence absolu. Ainsi, je ne proteste pas, et tant pis si goutte à l’occasion l’amertume, les neuroleptiques passent – en bleue –
Or j’imagine le fissuré discours, un silence, inaboutis, jeune, d’humeur.
Marche, bouton, ronron, voitures.
Incapable de calme, reste l’autre et la folie – rire. Je déçois et décevrais encore. Mais le livre viendra. Cet infime allongement obligé, soi devant les autres, ces médecins qui vous voient. Ô comme de visu, d’entendu, tout me manque.
En sortir à tout prix, mener à bien quelque-chose, un projet, chercher, chercher donc :
Un Projet, Un Projet.
Très cher lecteur ! Très chère lectrice ! Homme ou Femme de mérite, de bien ! Homme loin du monde ou si près qu’il s’y confond, j’aimerais ici t’offrir au moins un témoignage ; rien entendons-nous de factuel, d’assumé ; non, plutôt les virements et les vagues d’êtres pris et trop pris par ce qu’ils voient, envisagent sous la forme, l’immense forme d’autres-ci, insensibles, partout, ces fantômes, du souvenir, l’esprit.
J’écris parfaitement au calme. Face à moi des tours aciers/bétons quelques immeubles, des briques. Rossignols chantant et peut-être au loin le clocher d’une église.
Les médicaments qui me suivent du soir au matin font qu’il m’est difficile, atrocement, d’organiser, différencier avec suffisamment de suite ce qu’il est bon de dire et ce qu’il vaut mieux taire. Malaise insupportable et qui m’apeure et qui m’inquiète. Se secouer, se secouer à tout prix et tenir, tenir bon – ce mot d’ordre – un leitmotiv intime. L’aveu, l’inacceptable aveu d’une souffrance invisible.
Je mesure une certaine taille et pèse un poids qui change. Mes cheveux, mes yeux sont aussi noirs que possibles. En bref, j’ai vingt-neuf ans et suis interné donc ici, en psychiatrie. Avouons en parenthèses, c’est un miracle si personne ne s’y perd ; on miaule, on regarde la messe ; on se demande, on imagine, et c’est toujours le pire.
Quels sortes de démons ont-ils en eux ; quelles sortes d’idées fixes ; de malaises ; pour qu’ils soient à mon image, enterrés ici ? Des ratiocinations, d’évidences, partout, et bien sûr, bien sûr, à moins d’abrutir –pilules – l’on y peut pas grand-chose.
Ici chaque phrase est un combat ; un combat contre, ce combat contre l’acquiescement qu’on me souhaite, médecins et malades – de toutes parts. De ces combats à mener seuls, chuchotés, et plus graves au vrai, par-là, qu’on ne voudrait. A qui faire confiance ? A quelles mains laisser sa vie ? Qui vous enferme peut-il comme ils disent vous vouloir un peu de bien ?
La population ici, ne partage pas de traits communs ; jeunes, vieux, hommes ou femmes ; l’air de l’hôpital souligne seul ce qui les faits proches et cette proximité, ces similarités, on les identifie moins à des parcours qu’à quelques prises d’une même pharmacopée. Anormal, anormal évidemment ; on ne frappe plus à ma porte on y entre comme en place publique. Un lieu, un lieu comme un autre. C’est donc que je n’y vis pas que je m’y tiens en transit. Que rétorquer ? Ne pas rester surtout, partir et partir quand on peut.
Mais qu’ai-je fais à l’extérieur, qu’ais je fais pour me trouver ici ? Rien ; pimenter peut-être ce bien dont on m’a délesté, ma liberté, rien de plus, écrire, me nourrir, dormir à mes heures, vivre enfin, à ma guise.
Ici, tout manque ; plus d’indépendance ; plus rien hors ces murs et ces pages qui défilent. Plus qu’esclave ; exactement prisonnier. Bêtise, nécessité ?
Pour le reste j’hésite ; je devrais me taire et penser s’il se peut à quelques un des moments drôles émaillant ma vie.
Mes escapades, mes départs impromptus pour Nice ou Vintimille ; la quête d’un train pour Milan, train que je n’obtins jamais sinon pour à mi-chemin en descendre ; à présent, vivre et pour quoi faire ? Pour quel projet ? Et dans quel sens ? Et pour qui ?
Non rien ; rester assis, attendre et survivre. Drôle de guerre, les médicaments, les pilules, les pastilles ; sans cesse ainsi se voir dessous ; dessous l’homme qu’on incarnait il n’y a pas six mois encore.
Ainsi retrouver le bon, l’idée, le timbre juste ; aboutir.
Mais Paul, puisque Paul est mon nom, ne saurait du tout construire des phrases ; je veux dire des phrases admissibles ; le peu qui sort de ce qu’il est – exactement – est encore, ne vaut rien. Mais le lit m’insupporte, mais je ne parviens plus à lire :
Liberté – foutue. Acuité même – disparue.
Et je ne peux rester ainsi ; c’est-à-dire simplement assis là combattant pour ma perte l’effet médicamenteux qu’on renouvèle, quel est-il ? Quel risque à l’éviter ? Compassions infirmières, méfiances de tous ceux qui, de fait, sont simplement mes pairs. Potions après potions, ceux là qu’on castre et diminue ; oui, quelle ignominie veule, quelle terrible existence ! Une belle idée, traiter, hospitaliser, une idée que certain sans rougir certainement revendique ; non ici mais quelque-part, loin, où l’on peut faire sinon mieux, agir au moins comme on veut. Pas de jolie femme non plus ; celles-là je n’en ai croisées qu’à mon arrivée ; c’est à croire que mon cas est bien grave puisque partout je ne vois que des gens très atteints. Et , loin d’avoir la paix j’ai comme activé par du symptôme le peu d’autrui qu’on trouve. On me demande, « ça va ? », « ça va ? » et comment donc acquiescer ; que répondre à ceux-là qui m’ont eux-mêmes enfermé ?
*

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