Amata la Vestale
358 pages
Français

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Description

Amata a neuf ans, mais si son enfance est terminée, elle n'aura le droit de devenir femme qu'après avoir consacré trente années au culte de la déesse Vesta. Choisie et donc honorée, la jeune Romaine devra apprendre la vie dans cette prison dorée. En s'éprenant d'un licteur, Amata la bien nommée saura-t-elle échapper au sort tragique réservé à tant d'autres avant elle ? S'éloignant de la science-fiction de son œuvre précédente, Souad El Mesbahi poursuit pourtant certaines thématiques d'Imago. S'attaquant de nouveau au déterminisme et au destin des élus, son dernier opus nous plonge dans l'Antiquité et convoque les spectres de figures connues, telle la vestale Sextilia enterrée vive pour adultère... Bâti autour d'une histoire d'amour a priori impossible, ce récit choral explore ainsi la condition de la femme et dénonce les rouages d'un système patriarcal dont l'on reconnaît sans mal l'héritage aujourd'hui encore.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 octobre 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342163742
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Amata la Vestale
Souad El Mesbahi
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Amata la Vestale

Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
Retrouvez l’auteur sur son site Internet :
http://souad-el-mesbahi.societedesecrivains.com
 
Je dédie cet ouvrage à Ghita Ghbalou et Abdeslam Taher, mes vénérables parents et amis pour toujours.
Introduction
Institué par Numa, le collège des vestales était constitué d’une dizaine de vestales recrutées parmi les jeunes filles des plus anciennes et nobles familles de Rome, pour entretenir le feu sacré de la déesse Vesta.
Les vestales accomplissaient leur sacerdoce pendant trente ans. Elles obéissaient au Grand Pontife, qui exerçait sur elles une autorité patriarcale, et à la Grande Vestale , qui supervisait leur apprentissage. Le collège des vestales perdura 1100 ans et sera supprimé par Théodose en 389 de notre ère.
Première partie
 
On éperonne toujours le cheval qui galope.
Pline l’Ancien
 
 
Aujourd’hui est le jour de mon mariage. J’ai neuf ans.
Le soleil est mon pire ennemi. La peau de mon crâne brille depuis que j’ai été tondue. D’une main habile, une lame affûtée avait eu raison de ma chevelure couleur miel. J’avais regardé, avec un mélange de détachement et de haine, ma longue natte tomber au sol. Suivie du reste de ma chevelure, trempée par la sueur. La peur et une certaine crainte d’être inconvenante avaient suffi à me dissuader de pleurer, malgré la douleur de la pression sur ma nuque pour éviter de bouger pendant la tonte. Quelques gouttes de larmes auraient suffi pourtant pour en déclencher d’autres. À mon âge, n’est-il pas légitime de ressentir le besoin oppressant de fuir ? Soulever ma tunique et courir à travers les rues romaines était tentant. En laissant derrière le goût étrange d’un festin auquel j’avais été conviée contre mon gré. Du sang sur le sol attire mon regard. Des petites perles rouges étaient éparpillées ici et là. D’où provenaient-elles ?
— Amata, lève la tête, c’est fini. En ce jour de none du mois de Martius, je te déclare Vestale.
Mon époux, selon la tradition, me tend sa main, pour que j’y glisse la mienne. Le Grand Pontife s’était couvert la tête d’un bonnet de laine, surmonté d’un morceau de bois d’olivier. Pour purifier le lieu de cérémonie, il avait utilisé l’aspergillumune pour arroser le sol. Cet homme à l’âge canonique, dont la démarche vigoureuse contredisait le poids des années, me regardait entre ses paupières mi-closes. Je remarquais néanmoins l’éclat débonnaire qu’il tentait de feindre. Sa peau blanche renseignait sur son statut d’homme de loi. Il devait passer des heures à interpréter les textes sacrés. Ses mains avaient l’éclat laiteux de ceux qui sont, le plus clair de leur temps, sous les voûtes des bibliothèques. Le sourire rectiligne qu’il tenta de me lancer ne me rassura guère. Le pontife Actmus me regardait avec un air plein de tendresse, de celui que pourrait avoir un lion pour une gazelle, parce qu’il venait de faire de moi, Amata, fille de Paolino et Cestaria Negomacio, son épouse.
Levant les yeux, je pouvais sentir la douleur sur ma peau à vif. D’un geste maladroit, j’osais passer en tremblant ma petite main d’enfant dessus. L’horreur de sentir sous mes doigts mon propre crâne me fit pousser un cri sourd. Où étaient passés mes cheveux ? Cette masse rassurante, qui faisait partie de moi, gisait à présent à mes pieds. Des petites croûtes commençaient déjà à se former. J’apercevais même, avec un souci du détail propre au dégoût que m’inspirait ma nouvelle apparence, quelques mèches en travers de mes sandales en cuir tressé.
— Tu es libre, ma fille, prononça mon père.
Libre ? Libre de quoi ? me demandais-je en regardant les miens pour la dernière fois, parce que je serai bientôt conduite au temple pour commencer mon sacerdoce, qui durera trente longues années.
À l’honneur d’avoir été choisie pour servir le culte de la déesse Vesta, succédait l’effroi de la déchirure. Celle de voir mon enfance soudainement estropiée par les enjeux d’une mission qui m’échappait encore.
— Tu peux pleurer à présent. De joie, si le cœur t’en dit, crut bon d’ajouter mon père, dont je n’étais plus la fille, puisque je venais d’être émancipée de sa tutelle.
Il était coutume, dans la tradition romaine, de rester sous le pouvoir d’un père, et ensuite d’un mari après le mariage. La tradition voulait que les Vestales connaissent un sort différent.
« Ô, ma bien-aimée, je te prends conformément aux lois. Je te fais Vestale, et je te charge de t’acquitter de tout ce qu’une Vestale doit faire pour le peuple romain. »
Cette formule d’usage avait scellé mon mariage avec le pontife. Et, bien plus qu’un contrat matrimonial ordinaire, cette union avait fait de moi sa « captive ».
 
Frascati
— Ne cours pas si vite, Amata, avec ce soleil, tu vas attraper une insolation.
— N’aie crainte, Mère, je cours plus vite que lui.
La campagne romaine, en plein été, était, pour la plupart d’entre nous, un enfer à ciel ouvert. Les grillons cessaient de chanter pour s’épargner cet effort inutile, tandis que les épis de blé brûlaient malgré eux, rendant leurs extrémités sèches et foncées. Au point qu’il aurait été possible de les moudre sans les griller. Les chiens se tordaient de douleur dans le peu d’ombre qui s’offrait à eux. Seuls quelques fous osaient affronter la canicule spectaculaire de cette saison qui n’en finissait pas.
Ma mère, Cestaria, tentait en vain de me faire entendre raison. Avec son port de tête incroyablement élancé et sa robe en soie blanche, sa beauté défiait les plus belles statues de marbre façonnées au millimètre par la perfection. Sur sa main droite, une pierre précieuse ornait une bague qui faisait partie de la famille depuis des générations. Un jour, ce bijou me reviendra, et je le transmettrai à mon tour à ma fille.
Je venais de fêter mes huit ans, mais j’aimais à penser, en regardant la main de ma mère, que ces traditions avaient le mérite de créer un temps relais qu’on avait tout le loisir d’apprécier, en s’en délectant avec une excitation feinte. Il était donc inutile de quémander un essayage dans une précipitation puérile, puisqu’il était convenu que cette bague serait mienne un jour.
— Amata ! Rentre ! Tu sais bien qu’il n’est pas bon de rester ainsi tout le meridie . Il est temps de faire la sieste.
Avant de quitter la maison, j’avais délibérément choisi d’ignorer l’heure affichée sur le cadran solaire, qui indiquait la dixième heure. Il m’était arrivé de rester dehors jusqu’au suprema , afin de voir le coucher du soleil.
— Amata ! Amata !
Je faisais mine de n’avoir rien entendu, en courant de plus belle à travers les champs qui s’étendaient à perte de vue devant notre maison de campagne. Et, bien que la chaleur fût écrasante, au point de m’en donner le vertige, et à deux doigts de m’évanouir, je laissais mes jambes me porter avec l’inconscience de la jeunesse dans cet après-midi qui ne serait bientôt plus qu’un lointain souvenir.
 
 
 
 
Je pense n’avoir pas été une enfant rebelle, juste quelqu’un de normal, avec des privilèges. Ceux que confère le statut des patriciens.
 
Les hauts murs de notre villa encadraient une cour qui s’offrait au ciel, en récoltant, au temps des grandes pluies, ses eaux, dans le bassin de l’ atrium . Cinq chambres et une cucina spacieuse faisaient, de cette maison secondaire, un endroit agréable pour passer nos vacances d’été. Certains choisissaient les contrées des bords de mer, qui produisaient, certes, un vent clément plus que bienvenu en cette saison de fortes chaleurs. Notre famille avait choisi de revenir, année après année, sur ces terres de la campagne romaine.
Profitant du fait que ma mère venait de tourner les talons, et ne trouvant donc plus personne à défier dans son autorité, je me dirigeais sagement vers la maison, pour rejoindre la fraîcheur du patio d’été où nous avions l’habitude de prendre nos repas, sous le feuillage des feuilles de figues.
— Te voilà enfin, Amata ! Mère va te gronder.
L’école venait de prendre fin. Les vacances s’annonçaient réjouissantes.
Comme chaque année, notre maison de campagne nous attendait, entretenue par un personnel de maison dévoué. Guettant avec acharnement le calendrier, je me précipitais hors de la classe, à la fin de l’année académique, pour retrouver l’élan estival qui, à nul autre pareil, me donnait de l’entrain comme jamais.
L’été représentant ma saison préférée, je la réservais pour ne rien faire. À part courir dans les champs, rouler dans le foin et chiper des mûres tendres qui laissaient toujours la trace de leur passage sur mes lèvres.
— Ton oisiveté me sidère, Amata.
Astria, ma sœur aînée, était si belle, qu’on la comparait volontiers à notre mère, à qui elle avait savamment emprunté la chevelure dorée et ondulée, les grands yeux perçants… et l’humour caustique. Mais le fait le plus important, dans sa jeune biographie : elle était, depuis peu, promise à un des plus brillants avocats de Rome, Cassius Duplus.
— Je ne pouvais imaginer meilleur parti.
— Astria, tu n’attends donc rien d’autre de la vie ?
— Et que devrais-je espérer de meilleur ? Cassius est un homme bon et riche. Comme nous. Entre gens bien nés, ce mariage va de soi.
J’évitais soigneusement de m’attarder sur un tel sujet. Après tout, j’avais encore to

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