La Chanson de Suzanne
294 pages
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La Chanson de Suzanne , livre ebook

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Description

Suite à la Deuxième Guerre mondiale, souvent furent évoquées les situations des prisonniers français en Allemagne, rarement celles des prisonniers allemands en France.
Dès 1945, des Allemands furent prisonniers de guerre en France. Quelques thèses ont rapporté de dures conditions de vie de ces prisonniers regroupés dans des camps ; ils réparaient les ponts, les bâtiments, les routes... certains étaient envoyés à la campagne qui manquait de main-d’œuvre.
Dans cet ouvrage, l'auteure, Monique Piton, raconte comment un jeune prisonnier allemand s'intègre dans une modeste famille de paysans. La petite Mathilde n'ayant connu que la guerre est réticente à la venue de cet ancien ennemi.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 août 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334193900
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-19388-7

© Edilivre, 2016
Du même auteur :
Monique Piton est également l’auteure de ces ouvrages :
– paru en 2010 – Mémoires Libres – Editions Syllepse
– paru en 2015 – C’est Possible ! – Editions l’Echappée
Pendant les grandes vacances en 1945
La grand-mère, comme chaque jour, a insisté pour que les gamines fassent le ménage après le repas de midi. Elle gémit sur la désobéissance, le manque d’ordre et l’insouciance de ses petites-filles.
Elle répète que les enfants d’autrefois travaillaient davantage.
Mathilde, qui a onze ans, se sent mal à l’aise lorsque surviennent ces jérémiades presque quotidiennes, mais elle déteste laver la vaisselle.
Elle quitte la cuisine, poursuivie par les imprécations de l’aïeule qu’elle ne craint guère et dont elle connaît la bonté.
C’est le début des vacances scolaires, c’est juillet 1945.
Des odeurs de fleurs et de fruits mûrs s’exhalent des jardins proches.
Tout le village sent les foins. L’air bourdonne d’insectes. Il fait chaud ; les paysans disent qu’il fait lourd.
La fillette erre çà et là autour de la ferme. Elle aime être seule par moments, délaissant ses sœurs et son frère, tous plus jeunes qu’elle.
Elle grimpe lestement sur le pommier en bordure de la pâture des veaux. Cachée dans l’épaisseur du feuillage, une grosse branche horizontale lui sert de siège. Une autre branche, un peu en retrait, semble être disposée là exprès pour former le dossier. Mathilde, confortablement installée, les jambes pendantes ou ramassées sous elle, peut rester ainsi durant des heures.
Du haut de ce perchoir elle voit tout le monde, et elle est suffisamment dissimulée pour n’être vue de personne.
C’est son lieu de prédilection, un coin bien à elle que ni son frère ni sa sœur Ginette n’osent investir. Mathilde y emporte parfois des livres ou des objets qu’elle suspend à sa portée par une ficelle.
En cette fin d’après-midi, en raison du temps orageux, les cultivateurs rentrent un maximum de foin sec.
En face de la maison la route monte un peu pour entrer dans le village de Montmahoux et c’est donc toujours dans le sens de la montée que les voitures sont chargées.
Les hommes conduisent les attelages. Les femmes marchent derrière, d’un pas las et régulier, la tête abritée d’un chapeau de paille jauni par le soleil de plusieurs étés.
Même en fermant les yeux, Mathilde sait reconnaître si la charrette est vide ou chargée. Les voitures vides font davantage de bruit sur les cailloux, le pas des bêtes est plus vif aussi.
C’est Georges, le père de Mathilde, qui a fixé aux roues de bois ces cercles qui brillent comme des lames. C’est lui qui a ferré ces chevaux et ces bœufs qui passent sur la route.
Il remet en état les machines agricoles, forge avec dextérité les pièces manquantes ou cassées, impossibles à trouver sur le marché.
Mathilde éprouve beaucoup d’admiration pour son père. Elle le sait consciencieux, de bonne réputation dans le village et aux alentours.
C’est un homme chaleureux et expansif. Certes il hurle fort quand il est en colère et c’est vrai qu’il s’irrite facilement, mais jamais il ne frapperait un enfant.
Mathilde évite de le fâcher et généralement est assez proche de lui. Ils ont quelques affinités, Georges a l’esprit vif et il apprécie la sagacité de sa fille aînée. Ils ont en commun une passion pour les chevaux. Georges connaît les caractéristiques de chaque race ; il consulte parfois son livre qui traite d’hippologie, mais ses observations personnelles lui en ont appris davantage sur les particularités, les qualités ou les fragilités éventuelles des différentes extractions.
Avant la guerre, il était propriétaire de deux chevaux, les plus beaux du pays.
Mathilde se souvient de Gustave, un alezan sur lequel son père l’asseyait et dont elle agrippait l’abondante crinière blonde. Mais Gustave a été choisi pour l’armée française en 1939 et c’est Georges, lui-même, qui, le cœur gros, l’a remis aux autorités, près de Besançon lors d’un grand rassemblement à Beure.
L’autre, le placide Riquet , à la robe baie, à la longue queue noire, a été pris par les Allemands.
– Ils étaient trop beaux… disait Georges, à l’évocation de ces souvenirs, mêlant dans ses propos de la fierté et une grande tristesse.
Ces chevaux étaient de purs comtois, c’est-à-dire de petits chevaux de trait. Georges les préfère à ceux qui, maintenant, commencent à se répandre dans la région : il s’agit d’une lignée de comtois « ardennisés ». Cette progéniture donne des bêtes plus grandes, plus fortes, mais plus pataudes.
Lors de son service militaire dans la cavalerie, Georges montait une jument fine, grise et pommelée, qu’il n’oublie pas. Il narre ses exploits et Mathilde ne se lasse pas de l’écouter. Un animal aussi fringant ne saurait travailler à la culture en montagne, aussi Georges n’en convoite-t-il pas de semblable.
Il se contente d’avoir un faible pour les chevaux de ses clients, maintenant qu’il n’en a plus à lui…
En les ferrant, il leur parle. Les chevaux le connaissent. Il a l’art de calmer les plus agités. Des fermiers éprouvent une pointe de jalousie en voyant avec quelle facilité leur maréchal trouve le contact avec leur bête, mais reconnaissent qu’il en a sauvé plus d’une.
Georges sait extirper le mal des sabots blessés. Des chevaux atteints d’infections graves lui sont amenés, de loin parfois, ou bien c’est lui qui se rend sur place lorsqu’il a pu se procurer de l’essence pour sa moto, et il les remet en état de bien marcher, leur épargnant souvent l’abattoir.
Mathilde se fait expliquer en quoi consiste tel soin ou telle méthode.
Par exemple, elle croyait jusqu’à ces jours derniers que la graisse noire dont son père enduisait les sabots des chevaux après les avoir ferrés, était appliquée seulement pour embellir. Elle sait maintenant que cette graisse à pieds est nécessaire pour nourrir la corne.
Elle observe souvent son père lorsqu’il forge. Le feu de l’âtre où rougit le métal à façonner éclaire ses traits. Une grosse ride traverse son front. Se procurer du charbon, des fers, des clous est difficile. Les tickets de rationnement qui lui sont octroyés sont insuffisants. Les arrivages dans les magasins, encore limités, gênent au fonctionnement normal des ateliers et des industries. Tout métal a été requis pour la fabrication de l’armement. Georges a souvent été dans l’obligation de forger des clous en utilisant de vieux morceaux de métal !
Sur sa branche, la fillette regarde les paysans vaquer à leurs travaux.
Le soleil est implacable, l’air chargé d’électricité.
Les bruits rares sont assourdis, comme si bêtes et gens économisaient leurs mouvements.
Pas un souffle ne fait bouger les feuilles, mais dans son arbre
Mathilde jouit d’une relative fraîcheur.
En quelques gestes précis, elle cueille une pomme encore verte.
Dans ce domaine bien à elle, elle connaît chaque branche, sa forme et sa grosseur exacte. Elle n’a pas besoin de regarder pour trouver chaque prise, l’aspérité où elle posera son pied, où s’accrochera sa main.
En croquant le fruit juteux et acide, elle suit l’avancement du travail de son père qui répare, en dessous d’elle, une râteleuse. C’est pour lui une journée de fenaison perdue, mais il est indispensable de satisfaire les clients, de réparer leurs outils quand il y a urgence.
Tout à coup, Mathilde voit sa mère traverser la cour de la ferme avec une paire de draps blancs dans les bras. C’est insolite.
Intriguée et curieuse, la petite fille dégringole du pommier et emboîte le pas à sa mère qui monte aux « chambres dessus ».
C’est une autre partie du bâtiment composée de deux vieilles chambres au-dessus de la forge. On pourrait croire qu’il s’agit d’une construction neuve car la façade a été ravalée juste avant la guerre, mais à l’intérieur c’est assez délabré, les travaux de réfection ayant été interrompus. La première pièce, grise, est encombrée d’un banc de menuisier, d’un bahut débordant de vieilleries, chaussures du début du siècle, livres jaunis. Cela sent la fumée de forge qui s’infiltre par les interstices. La seconde salle est en meilleur état, mais le plancher est grossier. L’ameublement se compose d’une table ronde dévernie, d’une chaise dépaillée, d’un grand lit en bois et d’une armoire, belle jadis, mais à présent salie de traces de mouches et patinée par les ans et le manque d’entretien.
Personne ne couche plus dans cette chambre. Les derniers occupants étaient des gars de la Résistance.
Jeanne est une jeune femme réservée. Son charme est accentué par une merveilleuse chevelure brune, brillante, mouvante, mi longue, aux ondes souples ; des yeux verts piqués de points marron, des cils épais et noirs, des pommettes saillantes, un sourire toujours esquissé lui donnent une allure jeune qui peut sembler incongrue lorsqu’on la voit entourée de la marmaille qu’elle a mise au monde.
Elle ouvre la fenêtre, secoue les couvertures, tape et retourne le matelas, dispose les draps impeccables et les couvertures rapiécées.
– C’est pour qui ? questionne l’enfant.
– Pour un Allemand.
– ???
– Un prisonnier, on en a déjà parlé tu sais bien ; il arrivera ce soir et travaillera chez nous. »
Jeanne n’ajoute rien et continue à s’activer, à balayer, nettoyer.
Tout un monde de pensées contradictoires s’entrechoque dans l’esprit de Mathilde. Depuis des années elle a appris à détester les Allemands, les ennemis. N’ont-ils pas tué, détruit, martyrisé ? Un Allemand c’est un être autre, différent, donc… haïssable…
Mathilde essaie de l’imaginer. Elle se représente un homme rigide, le visage dur, la bouche amère, les yeux étincelants. Sans doute qu’il marche avec raideur, qu’il claque les talons

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