La Ferme des silences
216 pages
Français

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Description

Michel a vingt ans, sa fiancée, Solange, est la plus belle du canton et son métier dans la forêt le passionne. Problème : il est en conflit permanent avec son père Marius, autoritaire et farouchement opposé à tout progrès technologique. Sur ce plan, Michel est dans la droite ligne de son défunt oncle, Baptiste, féru d'apprentissages et contestataire né. Avec son frère muet René et son espiègle sœur Françoise, Michel reprend la piste tracée par cet oncle d'un trésor laissé par des moines dans la région. Mais Michel a vingt ans.. On est à l'automne 1959 ; bientôt il sera appelé sous les drapeaux pour prendre part aux « événements ». La guerre d'Algérie va faire basculer irrémédiablement son destin...


L'auteur : Originaire du massif du Pilat, Maurice Chalayer est issu d'une famille de scieurs depuis plusieurs générations. Dans ses essais sociologiques et ses romans, il nous invite à pénétrer dans le monde rural où il a passé son enfance. Aujourd'hui, il partage son temps entre l'enseignement, l'écriture et le journalisme. Il a reçu pour son roman Un buisson d'aubépine le prix Grancher en 2009.

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2014
Nombre de lectures 48
EAN13 9782812914157
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Extrait
I

MICHEL AULAS FULMINE. Comment son père Marius peut-il être aussi naïf au point de se faire rouler par Louis Chalin, le scieur de Saint-Nizier-d’Azergues ! Le marchand de bois en connaît un rayon, lorsqu’il s’agit d’entortiller son monde afin d’acquérir un lot de sapins au meilleur prix.
Si son père l’avait laissé parler, Michel aurait gagné un peu plus au mètre cube, mais à presque vingt ans que peut-on dire sinon écouter et acquiescer aux décisions des plus âgés, et surtout à celles de son père ?
Lorsque Michel sera le patron, les bois de la famille Aulas ne seront plus bradés…
Le retour se passe dans un silence feutré couvert par le ronronnement de la Juvaquatre. Le père conduit, regard rivé sur la route. Le fils regarde les futaies de résineux parsemant de part et d’autre les sommets de la montagne. Encore beaucoup de bois à couper ! Mais à quel prix ? Va-t-il, là aussi, falloir tout accepter ? Va-t-il falloir encore baisser les prix de l’abattage et ceux du débardage sous prétexte que la scierie Chalin voit son principal marché de bois scié fondre sous le soleil de l’Algérie en crise, cet automne 1959 ?
La vieille Renault arrive poussivement au col des Écharmeaux. Marius brise le silence :
« Pour le lot de sapins, j’ai dû accepter le prix proposé par Louis, sinon il nous aurait raboté des sous sur l’exploitation de ses prochaines coupes… »
Michel hausse les sourcils. Il n’a pas envie d’entamer une énième discussion avec son père qui poursuit :
« Faut s’estimer heureux, on aura du travail cet hiver grâce aux coupes que nous ramenons. Avec l’argent gagné sur la vente de notre lot de bois, on va pouvoir refaire le toit de la grange qui prend l’eau de toutes parts. »
Michel ne relève pas. Son esprit vagabonde vers les nuages s’amoncelant sur sa classe d’âge qui voit arriver à grands pas le service militaire et le départ inévitable vers l’Algérie ensanglantée secouée depuis la Toussaint 1954. L’armée de libération nationale mène dans la clandestinité un combat sans merci alors que l’armée française tente de maintenir l’ordre.
Le futur appelé n’est pas dupe. Il n’ignore rien des jeunes qui se font tuer loin de chez eux depuis le début du « soulèvement algérien ». Parler de « maintien de l’ordre » le fait sourire ! Il sait que plusieurs gars du Beaujolais sont revenus dans un cercueil plombé et si amochés que même les familles n’ont pu voir les dépouilles une dernière fois. Des enterrements déchirants ont rassemblé des centaines de personnes dans plusieurs villages et le journal local en a relaté les cérémonies encadrées par des représentants de la préfecture.

Mourir si jeune, si loin du pays… Il refuse d’en parler avec son père répétant sans cesse :
« Faut faire son devoir en allant rétablir l’ordre de l’autre côté de la Méditerranée… L’Algérie, c’est la France. C’est pas les “bicots” qui vont commander. »
Le jeune homme chasse cette pensée qui le hante. Son vingtième anniversaire approche…
La Juvaquatre tangue. Elle berce Michel qui ferme les yeux et se retrouve dans les bras de Solange Chauvon. Il entend les mots d’amour qu’elle lui a susurrés le soir du dernier bal. La petite infirmière fuit Lyon dès qu’elle le peut pour le village de Propières où habite Louise, sa grand-mère. Solange fait partie des enfants du pays depuis l’âge de quatre ans et de ce jour tragique de mai 1944 qui lui a arraché ses parents lors du bombardement de Lyon. La petite-fille de Louise est rudement belle avec ses cheveux blonds et sa taille fine. Les copains de Michel en bavent de jalousie, mais aucun ne s’essayerait à lui subtiliser son amoureuse. Michel est un des plus beaux garçons du canton et ses poings de bûcheron sont redoutables ! Certains en gardent un souvenir amer ! Mais depuis qu’il sort avec la belle blonde, ses larges mains restent dans ses poches…

***

Les attelages arrivent simultanément à la place de dépôt et Michel Aulas profite de cet instant pour redire à son père qu’ils iraient plus vite s’ils avaient à la place des bœufs un tracteur de débardage. Un vrai avec un treuil et quatre roues motrices.
« On travaille comme dans le temps. On n’évolue pas et surtout on se crève pour presque rien… »
Marius décroche la chaîne de sa grume allongée à côté d’autres qui partiront bientôt pour la scierie Chalin. Le paysan forestier se relève et crache :
« T’es comme ton défunt oncle. Tu trouves toujours à redire à notre condition. Faut que tu contestes tout ! On a déjà la ferme. Le bois, c’est le complément. Beaucoup aimeraient avoir nos bœufs de débardage ! Les salers, c’est ce qu’il y a de mieux…
– Oui, je trouve à redire, gronde Michel, debout devant l’attelage, si on avait un tracteur il y a longtemps qu’on aurait fini la coupe de sapins et qu’une autre aurait été commencée.
– C’est ça ! C’est ça ! rétorque le père, et l’argent tu le prends où pour l’acheter ton tracteur ? Y a plus urgent. Le toit de la grange à refaire et c’est pas fini. Une ferme ça s’entretient et les sous ne tombent pas du ciel.
– On n’a qu’à vendre plus de bois. Avec les prix que tu lui fais, Chalin sera tout heureux !

– C’est ça ! On va se déplumer et, si on a besoin, on n’aura plus rien ! On voit bien que t’as pas connu les temps durs ! Et puis, si ça ne te plaît pas, t’as qu’à foutre le camp en ville. À l’usine, on embauche et puis, si t’es si mal ici, t’as qu’à devancer l’appel ! À l’armée, t’en conduiras à ton aise des engins. Paraît qu’en Algérie le génie est à son affaire. »
Michel, les poings fermés, lève les bras et tout en fulminant entraîne ses bêtes au cœur de la forêt, cette forêt, sa seconde mère, dont il ne peut se passer tant il s’y trouve à son aise. Plus que d’habitude, il a besoin de ses senteurs musquées afin de retrouver un peu de sérénité après les mots acerbes de son père. Quand même, souhaiter le départ de son fils pour l’usine et pire pour l’Algérie… Le dire de cette manière, Michel ne peut l’admettre.

Il n’est pas loin lorsqu’il entend dans son dos le père dire à René, ce frère muet d’à peine deux ans son aîné :
« Toi au moins, tu ne râles jamais. Pas comme ton frère, jamais content. On lui décrocherait la lune que ça n’irait pas encore. Ferait mieux de se concentrer sur le débardage et éviter de traîner le bois sur les pierres ! C’est sûr, ça va plus vite, c’est plus court, mais c’est encore moi qui vais me faire engueuler par le Louis qui me rabâche sans cesse de penser aux dents des lames de scie qui se désaffûtent sur les petites pierres incrustées. »
Michel hausse les épaules. Si seulement René pouvait parler. À deux, ils feraient pencher leur père vers la modernisation.
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