Le Dernier train de Varsovie
228 pages
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Le Dernier train de Varsovie , livre ebook

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Description

« La vie de douleur et de terreur les rattrapait. Là où ils l'attendaient le moins. Le pays de la cuisine, des arts et de la beauté, égaré par une crise morale où la vérité ne compte plus, où les amis se fanent comme les feuilles, où les rêves meurent comme les roses, où les illusions s'évaporent comme les nuages sous le souffle de la barbarie qui se réchauffe au soleil de l'intelligence dévoyée. » 1938. La famille de Daniel Ryba, encore enfant, quitte Varsovie pour Paris, suivant son père, commerçant en fourrures. Hélas, le nazisme rattrape bientôt la France... Trente années de souvenirs et de cauchemars, d'espoirs et de désillusions : l'auteur fouille sa mémoire, celle de sa famille, celle de la communauté juive, celle de la France. Ménageant distance et émotion, l'auteur livre un témoignage indispensable.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 mars 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342035247
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Dernier train de Varsovie
Daniel Ryba
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Dernier train de Varsovie
 
 
 
 
 
 
 
Jour après jour, puis de plus en plus victimes des pressions, le flux migratoire vidait le pays de ses éléments les plus entreprenants ; les Juifs étaient devenus les boucs émissaires des politiques. Les partis demandèrent que la Pologne adopte les lois de Nuremberg en supprimant la nationalité polonaise aux Juifs, ce fut à cette occasion qu’Agnon, en parlant de la situation précaire des Juifs, dit : « Nous avons trop d’histoire et pas assez de terre. »
Ce fut aussi cette année que fut créé le camp de concentration de Buchenwald. Hitler décréta l’aryanisation des biens juifs en Allemagne et commença à revendiquer des concessions territoriales au détriment de la Pologne, dont celle du couloir de Dantzig.
Pour tourner les réductions que les mandataires anglais appliquaient à l’émigration en Palestine, les Juifs inventèrent la méthode dite de « la muraille et la tour » en créant, entre le crépuscule et l’aurore, des points de peuplement pour permettre aux Juifs d’échapper au piège dont ils étaient victimes dans leur pays.
Les Juifs continuaient à manifester une vitalité littéraire, artistique et politique et même économique, ce qui alimentait la jalousie des Polonais, des Ukrainiens, des Biélorusses et des Allemands.
I. Singer publia son chef-d’œuvre La Famille Moskat , Bruno Schulz sortit son livre Le Sanatorium au croque-mort , d’une beauté onirique et colorée, symbole de l’univers polono-juif.
Il mourut en 1942 dans une rue du ghetto de Drohobycz, abattu par un nazi pour être sorti sans son étoile jaune. Pour lui, le bout du monde fut le coin de la rue.
L’Allemagne était pourvoyeuse de fonds, en préparant en sous-main les esprits à une invasion de la Pologne que Hitler avait souhaité secrètement dans une réunion, le 5 novembre, faisant fi du pacte germano-polonais de non-agression.
La Ruhr fut remilitarisée pendant que la Pologne accueillait Goering pour des chasses.
Le gouvernement polonais fut saisi du vertige de grandeur et refusa à la SDN le droit d’intervenir en faveur des minorités, elle refusa de même toute alliance antinazie avec les démocraties, s’enfonçant ainsi dans le piège de la peste brune.
Rydz-Smigly, devenu maréchal, mit sur pied une organisation qui affichait partout son portrait, la radio appelait de ses vœux à l’avènement d’un Führer surhumain. Sous l’influence de Beck, ministre des Affaires étrangères, toute une frange de la population nationaliste rêvait de participer, au côté de l’Allemagne, à la course aux dépouilles des pays voisins victimes du nazisme.
On approuvait Mussolini en Éthiopie, on louchait sur les voisins, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l’Albanie, la Lituanie, l’Autriche, et bientôt on allait applaudir Franco, on s’imagina être devenu une grande puissance alliée des nazis et on ne vit pas arriver, par aveuglement, les dangers de l’encerclement, croyant être à l’abri derrière le pacte germano-polonais.
Meier prit peur et décida de retourner à Paris avec cette fois-ci l’intention de prospecter la possibilité d’y faire souche ; Anka l’avait convaincu qu’il était temps d’y penser sérieusement.
À Paris, il contacta tout naturellement les amis qu’au cours des années il s’était fait au Village Suisse pour leur demander conseil. Ils l’accueillirent bien volontiers lorsqu’il leur expliqua que son activité serait consacrée exclusivement au domaine de la fourrure qui n’empiétait pas sur leur propre chalandise.
Ils lui indiquèrent deux fonds dont les propriétaires avaient manifesté le désir de se séparer, le premier était une boutique d’angle sur l’avenue de la Motte-Picquet, à l’entrée du Village. Le second, plus petit, se situait au centre de l’allée principale qui, partant de l’avenue de Suffren, se terminait précisément près de la première boutique et qui traversait de part en part tout le Village
La plus grande avait un prix et un loyer élevés du fait de son emplacement plus attrayant, la seconde boutique plus discrète et plus petite avait pour elle l’argument d’avoir un loyer modeste et un prix qui pouvait convenir pour quelqu’un dépourvu de capital. L’une avait vocation de s’adresser à une clientèle plus fortunée, l’autre devait cibler des clientes aux moyens plus modestes
À son retour de Varsovie, il montra à Youlek la promesse d’achat qu’il avait contractée pour sa boutique et précisa qu’il était possible d’ouvrir une boutique avec Anka non loin de celle-ci, mais qu’il ne s’était pas engagé en leur nom, leur laissant la faculté d’en décider à leur guise :
— Elle n’est pas grande, c’est un début pour un jeune couple, elle vous permettra de vous installer en attendant mieux, c’est un premier pas. Mais quand même, il y a beaucoup de monde qui fréquente l’endroit ; certains jours, c’est vraiment la foule, c’est très populaire. En plus, rien ne vous oblige à ne vendre que de la fourrure.
— Il faut ouvrir la boutique, ce qui te permettra d’avoir le statut de commerçant résident, tu prendras une vendeuse et dès que Anka et les enfants viendront vous rejoindre, elle saura faire les ventes parce qu’elle connaît la langue, ce qui te donnera le temps de l’apprendre.
C’est dans cette atmosphère que vivait Anka, restée à Varsovie avec ses deux enfants. Elle était chargée de vendre le stock de fourrures qu’ils possédaient en propre, afin de se constituer un pécule pour les premiers temps à Paris et de pouvoir vivre sur les revenus de la boutique que Youlek venait d’ouvrir. Meier l’avait aidé à s’introduire dans le milieu de la fourrure pour obtenir une marchandise qu’il avait mise en vente dans sa boutique.
Au début de 1938, Youlek alla chercher sa famille à Varsovie, Anka avait inscrit son fils Daniel sur son passeport pendant que Youlek avait inscrit Gabriel sur le sien. Ils rejoignirent Paris et vinrent s’installer dans un petit appartement de deux pièces rue Phalampin.
Les retrouvailles de toute la famille, père, mère, mari, se firent dans la joie. Anka était toute joyeuse de retrouver la ville ou elle avait passé son adolescence.
Anka, après s’être installée dans l’appartement avec ses enfants, inscrivit Gabriel à l’école de la rue Dupleix et Daniel à l’école maternelle afin de pouvoir se libérer pour se consacrer au commerce. Il n’y avait pas d’obstacle pour elle qui pratiquait la langue, même si son accent ne s’était jamais perdu. Le vocabulaire qu’elle avait acquis pendant ses années d’étude au lycée Victor Duruy lui revenait et suffisait amplement pour développer ses arguments quand elle servait une cliente.
Les années qu’elle avait passées dans la boutique de son père à Varsovie l’avaient aguerrie dans ses talents de vendeuse, elle était devenue une maîtresse femme, grande, forte, droite, à l’aise avec tous, clients, fournisseurs et voisins.
Son caractère direct ne laissait aucune part à la confusion ou au doute, son énergie se manifestait dans son travail, sa maison, sa cuisine, comme la tenue de son ménage, elle avait une spontanéité sincère qui exprimait très bien sa nature.
Elle avait l’instinct de l’action et surtout, sa capacité à soutenir une conversation avec les clientes sur tout et sur rien, alliée à une relation naturelle et sans fard lui attachait jour après jour les femmes qui aimaient venir l’envelopper de leur affection, lui dire un petit bonjour, même si elles n’avaient aucun achat en vue mais simplement envie de faire un brin de conversation.
En peu de temps, le bouche à oreille fonctionna si bien que le chiffre d’affaires de sa petite boutique rustique et sans confort permit à sa famille de ne pas écorner ses économies.
Youlek ne quittait pas la boutique et écoutait attentivement toutes les conversations qu’Anka, avec sa vivacité bienveillante et habituelle, tenait avec ses clientes. Peu à peu les mots puis les phrases s’insérèrent dans sa mémoire et il compléta son faible savoir par la lecture journalière et intense des journaux qui paraissaient chaque matin.
Sa conception de vivre en osmose avec la culture, la langue et les coutumes, qu’il aurait aimé voir s’établir à Varsovie ressurgissait en force à Paris. Il était décidé de s’intégrer coûte que coûte et à devenir français comme un Français, penser en français, se vêtir, manger, boire en français. Il avait trouvé enfin le pays où il pourrait réaliser son rêve : être juif parmi les Juifs et hommes parmi les hommes. Français parmi les Français.
Il succombait au plaisir subtil de découvrir le sens des phrases, se saouler des modulations mélodiques. Chaque syllabe était une prouesse qui, chez lui, prit un accent dont il ne put jamais se défaire, qui le suivrait toute sa vie. À son grand regret.
Il se plongeait dans la lecture des journaux, oublieux de ses langues natales, voulant s’imprégner jusqu’au conformisme en rejetant le passé. Il adorait écouter le torrent de coulée verbale qui s’écoulait de la bouche chantante d’Anka et la jalousait d’en connaître toutes les nuances.
Il était stupéfait et émerveillé de la rapidité avec laquelle ses enfants revenant de l’école survolaient sans effort les mots nouveaux, c’était pour lui une fête heureuse de les entendre et de les comprendre et bientôt de les corriger. Son apprentissage s’épanouissait dans la lecture et abattait jour après jour, mot après mot, la forteresse qui le séparait du monde. Il acquit ainsi une richesse langagière précise et se dit qu’il avait eu raison de venir vivre dans un pays de roman, où tout le mond

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