Le Goût de la Mouna
272 pages
Français

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Description

Les « néo » ces Français d’Algérie d’origine espagnole, tentent d’exprimer à travers « La Mouna » et la fidèle voix d’Émilie, gardienne du passé, leurs souffrances, joies, partages et traditions, avec la fierté et la passion qui se rattachent à leur histoire. « La Mouna » est une recette pour exorciser la nostalgie d’une terre perdue, à travers un pèlerinage. Une fresque humaine tragique et tendre à la fois. « En visitant ma mémoire et celle de mes ancêtres – dit Émilie – goûter à ce morceau de mouna, c’est partager sa saveur... à Santa Cruz comme ailleurs. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 octobre 2012
Nombre de lectures 1
EAN13 9782748392630
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Goût de la Mouna
Emilienne Muzard
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Goût de la Mouna
 
 
 
À la mémoire de mon père, à qui j’adresse de l’autre rive de la Méditerranée, ce bouquet de pensées.
 
 
 
À ma mère, à qui je rends hommage pour son courage et son dévouement. Sans elle, ce recueil de souvenirs n’aurait jamais existé.
 
 
 
J’écris aussi pour toi Sandra, ma petite-fille qui vient de naître, il y a trois ans (hier pour moi !) et que j’entoure de mes soins, que je cajole, quand c’est possible !
Moi, Émilie, la gardienne de la mémoire, je veux pour toi le souvenir.
 
 
 
Quand tu sauras lire, il faudra que tu connaisses, par-delà la mer et les amertumes des tiens, tes racines, nos regrets, nos peines, mais aussi ce qui crée nos joies et notre amour de la vie.
Ta grand-mère qui t’aime.
 
 
 
 
Exergue
 
 
 
« Le tout est de tout dire et je manque de mots,
Et je manque de temps et je manque d’audace,
Je rêve et je dévide au hasard mes images,
J’ai mal vécu et mal appris à parler clair. »
Paul Éluard, Pouvoir tout dire , 1951.
 
 
 
 
Préface
 
 
 
Y aurait-il des recettes contre le malheur comme pour fabriquer une mouna ?
- l’amour, saupoudrant tout de blanc ;
- la peine, le sel des larmes ;
- la peur, l’eau de l’oubli et du temps ;
- la mort aux cendres du foyer…
 
Faut-il que la fatalité s’acharne à pétrir et malaxer l’homme et que les ingrédients qui la composent alimentent les souffrances de sa vie ?
 
Ces « nostalgies oranaises » sous-titrent un goût d’amour et de passions fiévreuses, puis de labeurs ; de morts, elles essaiment leur parcours.
Que de peines dans ma lignée !
Que de peurs engendrées par notre vécu familial à travers les pièges de l’Histoire !
 
Et pourtant, de tous ces noirs poisons, comme un intrus jailli de sa boîte de Pandore, demeure l’espoir.
Pan dore , un pain doré se cache-t-il dans ce nom ?
Oui, le titre de ce recueil de souvenirs c’est « la mouna », une saveur finalement édulcorante.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
La mouna : premier morceau
 
 
 
 
 
 
 
Aube du troisième millénaire, été 99, le soleil est brûlant.
Une chaleur torride s’est abattue sur mon petit village de l’Hérault. Dans le salon aux volets clos, chez moi, il fait frais, et l’on ignore le dehors et la canicule d’enfer qui fait craquer l’herbe dorée comme de la paille.
Je découpe entre mes mains lasses, de petits morceaux de brioche que je mange par bouchées, lentement, mécaniquement : mon seul repas.
La saveur de la mouna m’enveloppe et le parfum de la fleur d’oranger envahit mon esprit. Les orangers se dessinent sur un ciel bleu, ils ploient sous leurs branches lourdes de fruits éclatants.
Je me retrouve à Oran, l’Émilie d’autrefois, petite fille un peu sourde qui a lu de bien lourds secrets sur les lèvres des siens.
Mon père me tient par la main.
Yeux grands ouverts pour lire, sur les visages flétris des anciens, toute la peine et tout le sens de l’épreuve… je vois bien au-delà du visible, aussi sûrement que mes oreilles se sont fermées aux paroles banales du quotidien et du réel.
La mouna a accompli son étrange mission, un peu comme la petite madeleine du célèbre écrivain. Elle a réactivé mes sens et ouvert la porte à la mémoire.
Oui, une communion s’opère entre l’oubli, l’ancien et le présent. En acte, j’en ressors mandatée et je deviens « Émilie, gardienne de la mémoire ».
Sur le secrétaire, les visages aimés sont tous tournés vers moi ; ils m’encouragent. Les portraits de famille s’animent.
Dès lors, assaillie d’images, je n’ai plus le temps de rêver et la chaleur devient brasier.
Une fenêtre s’ouvre sur l’haleine brûlante de l’Algérie.
 
Il est neuf heures du matin et déjà la chaleur se fait sentir en ce mois de mai 1925.
Le paquebot est prêt à appareiller. Antonio, appuyé au bastingage, regarde le quai d’embarquement où se presse une foule bigarrée et mouvante. Son regard s’attarde un moment sur une jeune femme très élégante et souriante, accompagnée d’une fillette.
Elle est vêtue d’une marinière bleu marine bordée d’un liseré blanc et d’une jupe plissée assortie. Ses cheveux coiffés à la garçonne laissent entrevoir sous le chapeau cloche, la frange à la mode, et de fines guiches noires s’effilant sur les joues. Elle agite une main gantée de fil vers quelqu’un qu’Antonio ne peut deviner, même en se penchant sur la droite où une partie des passagers se presse pour mieux voir.
Adieux à un amant qui demeure là, hagard, cherchant à retrouver la trace du parfum que la femme aimée a laissé sur sa main, lors d’un dernier et fugace baiser ?
Antonio ajuste bien sa casquette, relève un peu plus les manches de sa chemise bleue, en prenant soin de ne pas dévoiler son tatouage ; ce faisant, il se détourne un instant de l’agitation du quai, en regardant alentour. Au passage, il aperçoit le bachaga Kassani, à la majestueuse stature drapée dans une djellaba immaculée, le front ceint d’un turban. « Quelle prestance ! » pense-il.
Sur le pic d’Aïdour, se détachent, dans le ciel d’un bleu immuable, le fort Saint-Grégoire – forteresse espagnole construite au XVI e  siècle et la chapelle de Santa Cruz surmontée d’une statue monumentale de la Vierge Marie tendant les bras et dominant l’infini.
Notre-Dame du Salut a été érigée sur ce sommet, lors d’une épidémie de choléra, afin de repousser le terrible fléau par la prière.
 
Bien qu’Antonio ne soit pas croyant, il ne peut s’empêcher de faire un parallèle entre la Madone et sa propre mère, une sainte !
C’est étrange, cela le ramène une dizaine d’années en arrière, sur ce même quai.
Plusieurs navires, regorgeant de soldats, ont été réquisitionnés pour le transport des troupes. Les raïtas, ces étranges flûtes aux sonorités vives et aiguës de cornemuse et les tambours de la nouba – musique militaire des tirailleurs indigènes d’Afrique –, n’arrivaient pas à couvrir le charivari de la foule en liesse agitant des drapeaux tricolores.
 
Estrella, la mère d’Antonio, grande et belle, sanglée dans un corset qui lui donnait une allure altière, portait une longue robe brune. Ses cheveux recouverts d’une mantille étaient ramenés en un lourd chignon sur la nuque. Pedro, le père, se tenait près d’elle. Il tournait et triturait son chapeau melon entre les mains.
Le couple ne partageait pas la joie de ce peuple en délire. Leur fils s’était engagé dans la Légion pour la durée de la guerre. C’était un homme ! Un homme de dix-sept ans.
Avant d’embarquer à destination des Dardanelles, José avait donné l’accolade à son père, embrassé ses frères. Le plus difficile restait à faire : l’adieu à la mère. Il ne savait comment s’y prendre. Ils échangèrent tout d’abord un sourire plein de tendresse et il la pressa contre sa poitrine. Estrella qui s’était promis d’être forte, de résister au chagrin, se mit à pleurer doucement, à petits sanglots. La prenant alors par les épaules, il la regarda droit dans les yeux et lui déclara gravement : « Ne craignez rien Mère, la guerre ne durera pas longtemps, je reviendrai ! Après tout, ce n’est que l’affaire de quelques mois. Ne pleurez pas, je vous en prie ! »
Il cueillit une larme sur le beau visage tourmenté de sa mère et la porta à ses lèvres. Puis, il s’enfuit…
Antonio et Rafael, deux de leurs six enfants, exultaient : leur frère, ce héros, partait à la guerre pour combattre les Turcs et les chasser d’Europe ! Mais ils se turent, complètement décontenancés, quand ils s’aperçurent que leur mère pleurait.
Estrella pleure et soudain son visage se fige.
Madame Bitoun, que tout le monde connaît et respecte, passe devant eux. Elle a perdu son fils en 1914 à la bataille de la Marne. Inconsolable, elle a glissé dans une folie douce et déambule souvent sur les quais, le regard absent, traînant les pieds. Elle chantonne toujours le même refrain « Quand il reviendra le temps des cerises… » 1 .
Pour Estrella, c’est un présage et elle cache son visage entre ses mains.
 
La sirène mugit, le navire s’éloigne du quai. Saisie d’émotion, la foule se tait. À ce moment-là, un cri jaillit : « Ce ne sont pas des hommes, mais des enfants ! » Un murmure se propage, grandit et devient une longue plainte, comme une litanie : « Ce ne sont pas des hommes, mais des enfants ! »
 
Antonio est brusquement tiré de ses douloureux souvenirs, en apercevant son frère et leur inséparable ami d’enfance Juanico Ben Barka, juste à côté de permissionnaires dont la gaieté le fait sourire. Les deux amis se fraient un passage en jouant des coudes. Antonio agite discrètement le bras ; ils l’ont vu et s’arrêtent sur place. Rafael, à qui il a promis de revenir, semble ne pas vouloir admettre ce départ. Il regarde, tour à tour, son ami et son frère, avec un petit signe de tête qui doit signifier « Est-ce possible ? »
 
Mais cela, c’était hier…
Aujourd’hui, Antonio, lui, part pour un autre destin que celui de ses frères José et Rafael. À Paris, il se fera désormais appeler Antoine et devra essayer de tourner le dos au passé, du moins temporairement. Estrella est dans son cœur, il peut en faire le portrait les yeux fermés. Sa mère est décédée récemment.
 
Je referme mon cahier d’écolière. Les lignes dansent sous mes yeux comme les vagues de la mer ; la mer, ce réservoir, ce lien entre les hommes de cultures différentes. Méditerranée, Méditerra… à méditer !
Je suis harassée. Dehors, le crépuscule rougeoie. Je m’étends pour prendre le frais sur ma terra

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