Le soleil se lèvera encore
220 pages
Français

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Le soleil se lèvera encore , livre ebook

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Description

CHAPITRE 1 Elle était assise depuis un long moment, perchée sur un baril vide abandonné au bord du tarmac des hélicoptères de la base de Da Nang. Elle avait laissé son sac à terre et humait l’humeur de ce Viêtnam en guerre. Au loin, elle entendait le brouhaha des avions découlant ou atterrissant sur des pistes se trouvant de l’autre côté des bâtiments administratifs qui lui faisaient face à distance. Il lui semblait deviner un fond musical diffusé par des haut-parleurs fixés sur la tour de contrôle. Entre deux atterrissages ou décollages, elle avait cru reconnaître I Feel Good de James Brown, et avait trouvé que ce tube saillait bien à son humeur du moment. Elle ne pouvait néanmoins ignorer les stigmates d’un bombardement de la base une quinzaine de jours auparavant, qui ne semblait pas pour autant alarmer le personnel y travaillant. Elle avait décidé d’en faire autant. Nous étions le 28 mars 1967. Si elle n’avait pas reçu son ordre de mission la semaine dernière, elle serait en train de fêter ses 30 ans en famille. Sa fille de 7 ans lui aurait probablement offert un cadeau qu’elle aurait tenu à faire elle-même, affreux et absolument inutile, mais qui l’aurait émue aux larmes et lui aurait réchauffé le cœur. Elle aurait invité sa sœur et sa famille, ainsi que ses parents, à partager un bon dîner.

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Informations

Publié par
Date de parution 05 novembre 2020
Nombre de lectures 132
EAN13 9782819506249
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

CHAPITRE 1

Elle était assise depuis un long moment, perchée sur un baril vide abandonné au bord du tarmac des hélicoptères de la base de Da Nang. Elle avait laissé son sac à terre et humait l’humeur de ce Viêtnam en guerre. Au loin, elle entendait le brouhaha des avions découlant ou atterrissant sur des pistes se trouvant de l’autre côté des bâtiments administratifs qui lui faisaient face à distance. Il lui semblait deviner un fond musical diffusé par des haut-parleurs fixés sur la tour de contrôle. Entre deux atterrissages ou décollages, elle avait cru reconnaître I Feel Good de James Brown, et avait trouvé que ce tube saillait bien à son humeur du moment. Elle ne pouvait néanmoins ignorer les stigmates d’un bombardement de la base une quinzaine de jours auparavant, qui ne semblait pas pour autant alarmer le personnel y travaillant. Elle avait décidé d’en faire autant.
Nous étions le 28 mars 1967. Si elle n’avait pas reçu son ordre de mission la semaine dernière, elle serait en train de fêter ses 30 ans en famille. Sa fille de 7 ans lui aurait probablement offert un cadeau qu’elle aurait tenu à faire elle-même, affreux et absolument inutile, mais qui l’aurait émue aux larmes et lui aurait réchauffé le cœur. Elle aurait invité sa sœur et sa famille, ainsi que ses parents, à partager un bon dîner. Ses neveux et sa fille auraient démonté la chambre de cette dernière pièce par pièce, son père et son beau-frère se seraient attelés à une partie d’échecs pendant que les femmes se seraient retrouvées autour d’un thé, amélioré discrètement, pour discuter à bâtons rompus comme elles avaient l’habitude de le faire à l’occasion de cet évènement.
Mais cette année, il n’en était rien. Cette année, elle s’était portée volontaire pour venir ici offrir ses services. Au grand dam de sa famille, elle n’avait pas attendu que son tour arrive. Elle était médecin militaire, formée aux traumatismes multiples, et à l’heure de ce conflit interminable, sa place n’était plus dans le Kentucky, mais au Viêtnam. C’était viscéral. Elle devait être là.
Elle avait confié sa fille à sa sœur Kathleen après une longue hésitation et beaucoup d’insistance de la part de celle-ci, de son mari et de leurs enfants. Kathleen était enceinte et elle craignait que la présence de Julie pour deux ans ne la fatigue trop. Mais elle avait cédé à l’argument ultime : la petite fille n’aurait pas à changer d’école, dans la mesure où les deux sœurs vivaient à quelques rues l’une de l’autre.
À peine le temps de préparer ses bagages et d’installer sa fille chez sa sœur qu’elle avait embarqué dans un avion-cargo militaire qui l’avait brinquebalée jusque-là, où elle attendait maintenant l’hélicoptère qui devait l’emmener jusqu’à Tan Son Nhut, sa base d’affection.
L’air était lourd, il faisait chaud. Le contraste de température entre le Kentucky en mars et Da Nang était colossal et l’avait quelque peu assommée. Le décalage horaire ne devait pas y être pour rien non plus. Du fond de sa douce torpeur, elle entendit au loin les pales d’un hélicoptère en approche qui vint se poser au milieu du H de l’héliport. Plusieurs hommes en civil sortirent de la carlingue avant même que les pales n’aient cessé de tourner, sac sur le dos. Probablement des soldats qui rentraient chez eux ou partaient en permission.
L’un des mitrailleurs descendit de la plateforme arrière et se dirigea vers les ateliers situés juste à côté d’elle pendant que l’autre aidait de jeunes soldats à vider la carlingue chargée de caisses.
Le pilote, quant à lui, semblait absorbé par son tableau de bord. Il fut rapidement rejoint par un des mécaniciens.
Quand les pales s’arrêtèrent, elle sauta en bas du baril, ramassa son sac et s’approcha de l’appareil.
Elle interpella l’un des mitrailleurs :
– Vous retournez à Tan Son Nhut ?
– Oui, lieutenant. Vous devez être la personne que nous devons transporter ! Lieutenant Anderson ! lança-t-il au pilote. Je crois que notre colis est là !
Le pilote en grande discussion avec le mécano se tourna vers elle, lui faisant signe qu’il en avait pour cinq minutes. Elle posa son sac au sol. Les mitrailleurs la saluèrent en quittant le site pour se diriger vers le snack-bar qui se trouvait de l’autre côté de l’héliport.
Quand il en eut terminé avec le mécano, le pilote quitta son casque et sortit par la portière de l’hélico et vint jusqu’à elle.
– Vous êtes le Dr Foster ? demanda-t-il l’air réellement surpris.
Elle lui tendit une main franche.
– Lieutenant Foster, oui, médecin à mes heures…
Il ne serra pas la main qu’elle lui tendait. Il s’était quelque peu perdu dans l’observation de la jeune femme qui lui faisait face, dont la queue-de-cheval auburn se balançait délicatement derrière un visage très féminin à la bouche souriante et aux pommettes rosies par le soleil, visiblement peu habituées à ce dernier. Ses yeux d’un joli marron lui adressaient un regard très décidé et semblaient ne pas vouloir laisser le sien s’échapper. Pas du tout le genre auquel il s’attendait. Il lui fallut une seconde de plus pour comprendre d’où venait la gêne qu’il lisait sur le visage de la jeune femme.
– Pardon, dit-il en lui prenant la main, lieutenant Dale Anderson. Je suis vraiment désolé… mais vous êtes une femme…
– Oui, je crois bien que c’est ainsi que la nature m’a faite ! répondit-elle s’amusant de la surprise du pilote.
– Il n’y a aucun doute là-dessus et la nature a fait du bon travail !… Je suis un peu pris au dépourvu… Je m’attendais à ramener un vieux médecin, gentleman bougon, un peu dans le genre de celui que l’on a déjà…
Il s’arrêta.
– Je ne devrais pas parler comme ça, vous allez travailler avec lui. Je ferais mieux de tenir ma langue.
– Je promets de garder le secret.
– Oh, je ne suis plus à ça près !… Pour en revenir à notre petit voyage, il va être retardé de plusieurs heures. J’ai un petit problème mécanique qu’il vaut mieux régler avant de repartir. On pourra peut-être décoller avant la nuit, mais je pense qu’il faudra rester à Da Nang jusqu’à demain.
– Il faut prévoir de réserver une chambre d’hôtel ?
– Comme vous y allez, lieutenant ! Je ne suis pas le genre d’homme qui accepte ce genre de proposition au bout de quelques minutes.
En voyant le large sourire du médecin, il saisit instinctivement à qui il avait affaire. Une femme capable d’humour et qui savait ne pas se prendre, ni le prendre au sérieux.
– Rassurez-vous, ils ont des couchages prévus à cet effet, quelque part sur la base, reprit-il.
– Mais je n’étais pas inquiète. Quand est-ce que nous saurons ?
– Le temps qu’ils jettent un œil… D’ici une petite heure on saura s’il faut s’inscrire au mess ou si l’on s’envole vers Tan Son Nhut !
– OK. De toute façon, je suis obligée de suivre le mouvement… Bon, alors, en attendant, je vais… vous attendre là. Je n’étais pas si mal au soleil !
– Venez plutôt avec moi manger un morceau, ou me regarder manger si c’est déjà fait. Je ne sais pas d’où vous arrivez, mais le soleil risque de vous faire plus de mal que de bien à cette période de l’année.
Elle hésita.
Il saisit son sac et lui lança :
– Allez, venez, ce sera l’occasion de faire connaissance. Je vous assure que je ne mange pas les femmes, pas avant la nuit en tout cas !
– Me voilà rassurée ! répondit-elle en suivant ce pilote plutôt charmant et bien fait de sa personne, avec lequel elle ne rechignait que pour la bienséance à passer un petit moment.
Au-delà de sa carrure d’athlète, probablement un ancien joueur de baseball ou de football américain, avait-elle pensé, elle n’avait pu s’empêcher de noter quelques petits détails qui, en d’autres temps, d’autres lieux, auraient pu la séduire : une mâchoire de caractère, taillée à la serpe sans être trop proéminente ; une chevelure brune dense qui aurait certainement mérité un petit coup de ciseaux pour être des plus élégante, un regard vert-de-gris d’une étrange douceur étant donné l’aura virile qu’il dégageait. Et ses mains… fines, mais pas trop, des doigts longs, pas trop. Masculines. Parfaites à ses yeux qui avaient l’habitude de les observer du fait de son métier. En lui emboîtant le pas, elle s’était surprise à jeter un œil à sa nuque, soutenue par des trapèzes musculeux, étonnée elle-même par ce qu’elle lui inspirait et de ses propres divagations.
Il n’était pas loin d’une heure de l’après-midi lorsqu’ils s’installèrent à une table. Il avait pris un plateau très complet quand elle s’était contentée d’une salade et d’une pomme.
Quand ils furent assis, il jeta un œil à son plateau et lui lança :
– C’est par coquetterie que vous mangez si peu ?
– Par coquetterie ? Je ne suis pas sûre que ce soit un luxe que l’on peut encore se permettre quand on est habillé en kaki de la tête aux pieds et que l’on porte des rangers, lieutenant Anderson ! Non, j’ai bien mangé dans l’avion. Ma mère et ma sœur m’avaient préparé de quoi nourrir un régiment. C’est ce que j’ai fait d’ailleurs, toutes les personnes à bord ont pu manger. Je ne me suis resservie que pour vous accompagner.
– Tant mieux ! Vous apprendrez vite qu’ici, lorsque l’on peut s’offrir un vrai repas, on ne manque pas l’occasion de le prendre !
– Je vois ça, dit-elle en regardant son assiette.
Tout en mâchant, il observait la jeune femme en face de lui, perplexe quant au fait qu’une fille comme elle pouvait se retrouver ici.
Elle sentit son regard sur elle et, sans lever les yeux, lui lança :
– Qu’est-ce qui se passe, lieutenant ? Pourquoi me regardez-vous comme ça ?
– Parce que vous êtes plutôt agréable à regarder !
– C’est votre technique de drague ? Essayer de déstabiliser vos proies ?
– Mes proies ! Vous me prenez pour un prédateur ! On ne se connaît pas assez pour que vous puissiez me juger ainsi, docteur Foster ! Et vous n’avez pas l’air d’être de celles qui se laissent facilement déstabiliser !
– Vous ne me connaissez pas assez pour en être certain, lieutenant Anderson !
– Je connais bien les femmes…
– Vous n’avez pas répondu à ma question.
– Qui était ?
– Pourquoi me re

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