Moi, Yaël, 35 ans…
178 pages
Français

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Moi, Yaël, 35 ans… , livre ebook

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Description

Je m’appelle Yaël Klein, célibataire, j’ai trente-cinq ans et je porte l’étoile jaune. J’habite un petit appartement au-dessus de l’imprimerie dans laquelle je travaille comme typographe, rue des Filles-du-Calvaire à Paris. Il y a quelques jours, la police en uniforme, accompagnée de deux officiers de la Gestapo, est venue me chercher sur mon lieu de travail.

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Informations

Publié par
Date de parution 05 février 2015
Nombre de lectures 1
EAN13 9782332878632
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-87861-8

© Edilivre, 2015
Remerciement

Merci à Madame LAETITIA RAMBAUD, professeur de lettres au collége GEORGES BRASSENS de PODENSAC 33, pour la photo de couverture.
Chapitre I
Je m’appelle Yaël Klein, célibataire, j’ai trente-cinq ans et je porte l’étoile jaune. J’habite un petit appartement au-dessus de l’imprimerie dans laquelle je travaille comme typographe, rue des Filles-du-Calvaire à Paris. Il y a quelques jours, la police en uniforme, accompagnée de deux officiers de la Gestapo, est venue me chercher sur mon lieu de travail. J’ai eu un peu de temps pour remplir ma vieille valise de quelques affaires et ils m’ont emmené, mon patron a levé le poing en insultant les flics. L’un des Allemands, vêtu de son imper en cuir noir et d’un chapeau en feutre, lui a donné une paire de claques. « Verboten, interdit, ou sinon Kaput ! » Le pauvre Monsieur Maurice s’est retrouvé par terre au milieu des tables et des établis.
Sans ménagement, les policiers m’ont jeté dans un camion rempli d’hommes comme moi, des jeunes, des vieux, ainsi que des femmes et des enfants : tous avec l’étoile jaune. Deux gardiens en uniforme, avec leur fusil, gardaient ce petit monde. Je me suis retrouvé au vélodrome d’hiver avec des milliers de gens. Le « vel-d’hiv », plus connu pour ses courses de vélo et l’accueil de ses vainqueurs couverts de fleurs.
Qu’est-ce que je fais ici ? Ne rien faire de la journée dans une chaleur suffocante, se battre pour un bout de pain ou pour un peu d’eau. Un commandant des pompiers est passé malgré l’interdiction des policiers et nous a aspergés d’eau avec les lances incendie. Il y a un médecin pour tous, il est débordé et examine en priorité les femmes enceintes et les cas graves. Souvent le brancard, recouvert d’une couverture, emmène un corps sans vie. La Croix-Rouge fait son possible pour « nourrir » les gens. Nourrir les gens, nous sommes plus de dix mille, ils nous lancent du pain comme on lance des cacahuètes aux singes du zoo de Vincennes.
Les gamins jouent sur la piste de vélo sans se soucier de tous ces problèmes, ils ont de la chance… Je joue avec eux au ballon ou bien je fais la marionnette avec une poupée et un lapin en chiffon, j’invente des histoires de voleurs et de gendarmes : le voleur gagne toujours à la fin… Ils éclatent de rire, ça met un peu joie dans cette ambiance lugubre. Ils savent venir me chercher : « Yaël, raconte-nous le gendarme bossu qui ne peut pas attraper le voleur ! » Je me prends au jeu et j’en rajoute toujours un peu : Il existait, il y a longtemps, un gendarme avec une grosse moustache qui courrait derrière un voleur de poule, mais ? La poule était un coq, un coq qui cherchait ses poussins… Et le gendarme, bossu et sans lunettes, ne voyait rien… Les gosses rigolent, je détourne leur attention quand sort un brancard… Et le gendarme, eh bien… Le gendarme, il s’emmêle les jambes dans un piège à renard, un renard qui était amoureux d’une poule et qui…
Les pompiers, accompagnés de policiers armés, sont passés nous donner de l’eau. Un pompier pleurait : un gamin de vingt ans. Il a pris une petite fille dans ses bras et lui a mis son casque sur la tête, la gosse ne voyait plus rien. « Dépêche-toi, on ne traîne pas ici… ». J’ai honte, honte pour la race humaine… Je récupère la gamine dans mes bras.
Impossible de sortir, les sorties sont gardées par des policiers et ils tirent à vue, ils en ont tiré quelques-uns comme des ballons de foire. Je ne comprends pas, je ne comprends plus…
Je reste seul et essaye de ne pas me faire d’amis, à part les enfants qui me le rendent bien avec leurs sourires et leurs yeux pétillants quand je raconte des histoires de gendarmes et de voleurs. Je suis dans un état lamentable, ma chemise me colle à la peau, mon pantalon tient debout tout seul. Pour les toilettes, c’est un calvaire : j’urine dans un coin de mur et, pour le reste, les excréments s’accumulent dans un ancien bureau à ciel ouvert. Le ronronnement continuel est insupportable. La nuit, je ne dors pas plus de deux heures d’affilée, entouré de cris d’enfants et des cauchemars de certains. Je raconte encore des histoires de gendarmes et de voleurs en berçant les gamins. Les policiers sont impitoyables, dire qu’ils sont Français… Ils n’hésitent pas à régler les petits problèmes à coup de matraque pour séparer les plus forts des plus faibles, je ne rentre pas dans ce jeu, je laisse faire. Les travées du « vel-d’hiv » sont faites pour accueillir des spectateurs, pas des centaines de gens pour dormir ou pour tout simplement survivre, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas de rébellion. Vu le nombre que nous sommes, les policiers n’auraient aucune chance. Personnellement, j’en prendrai un et je lui ferai appeler sa mère… Un grand avec une tête d’abruti !
Les rabbins font leur possible pour réconforter les gens, ils ne savent que réciter des prières et encore des prières. Ils récitent des passages de la Torah en balançant la tête, il ne manquerait plus qu’ils fassent une circoncision…
Le moindre bout de chocolat ou de sucre s’achète à prix d’or : les bandes de salauds, certains profitent de tout. Cinquante francs un morceau de sucre, j’ai cru que j’allais le frapper. Avec mon mètre quatre-vingt et la largeur de ma main, je l’assommais sans un souci. Pauvre idiot, fasse que la foudre te transperce et que ton corps pourrisse au soleil. Je sais, je deviens méchant… Je pense à ma vie et à la suite, j’ai un mauvais pressentiment… Un sale pressentiment, qu’est-ce que je vais devenir, et les gamins ? Je pense aux gamins et aux bébés, aux pauvres gosses insouciants. Je fabrique des poupées de chiffons, des lapins avec des morceaux de couvertures, je dessine les yeux avec mon crayon d’imprimerie : il me rattache avec la vraie vie, avec l’extérieur. Je passe mes doigts dans les oreilles et je raconte une histoire, une histoire de lapin, une histoire qui finit toujours bien, où le lapin échappe aux chasseurs.
Je parcours les allées du vel-d’hiv à la recherche d’un copain ou de quelqu’un de connu, mais je ne croise personne : pas un ami, pas un collègue, que des femmes et des enfants, réclamant à manger ou à boire. Une gosse avait perdu sa poupée, on l’a retrouvée coincée sous un siège. Il faut lui donner un nom ? « Elle s’appelle Catherine, comme la Catherine des contes de fées ». Dans les contes de fées, toutes les fées s’appellent Catherine…
Les lapins échappent toujours aux policiers, mais pas nous. Les bus parisiens nous emmènent à travers la capitale. Enfin, respirer autre chose que l’air pourri. J’ai glissé ma valise entre mes jambes. « Vous partez pour des camps de travail, nous avons besoin de vous pour continuer la lutte contre les communistes ». Je ne vois pas le rapport : des femmes et des enfants luttant contre le communisme ? Le policier a l’air d’un idiot alcoolique, son bâton blanc pendant le long de sa jambe, il nous regarde en tenant le dos d’un siège. Il y a une file de bus interminable. Je suis resté cinq jours dans le « vel-d’hiv », sans rien manger et sans rien boire : juste un point d’eau pour des milliers de personnes. Je me suis battu pour un quignon de pain avec un jeune juif ; après une paire de gifles, il est parti en pleurant, me maudissant moi et ma famille pour des siècles et des siècles. J’ai horriblement faim et soif, ce mois de juillet 1942 ressemble à un cauchemar. Les bus déambulent dans les rues parisiennes désertes, je reconnais les bâtisses sombres des quartiers populaires. Mes deux voisins de derrière discutent entre eux, visiblement l’un d’eux travaillait avec le médecin. Il y a eu beaucoup de morts, presque tous les nouveau-nés. Beaucoup de gens se sont suicidés, ceux qui ont tenté de s’enfuir ont été abattus par la police sans sommation. Des Français qui tirent sur des Français : je crois rêver. Des Français qui tirent sur des Juifs, car nous ne sommes pas Français, nous sommes Juifs. Je suis le Juif errant, l’homme éternel, lui seul restera et sauvera l’humanité…
Je serre ma valise entre mes jambes un peu plus fortement. Dans mes poches, j’ai encore un bout de pain et deux bonbons au caramel. J’hésite à sortir un bonbon, de peur de déclencher la fureur de mes voisins. Dix francs le bonbon, à prendre ou à laisser. J’ai quelques cigarettes : un luxe ! Je ne parle à personne et je n’ai croisé aucune connaissance. Je me sens sale, souillé… Il faut que je me reprenne… Il n’y a pas de soldats allemands dans le bus, ce ne sont que des policiers en uniforme, matraque à la main et l’air de faire un travail comme dans une usine.
Enfin, nous sommes arrivés à la gare d’Austerlitz, il y a des Allemands tous les deux mètres, armés et avec les chiens. Ils séparent les familles sans ménagements : ce ne sont que cris, hurlements, pleurs. J’aide une vieille femme qui manque de tomber. Un soldat m’assène un coup de crosse de fusil dans le bras, je chancelle en tenant ma valise fortement, il me pousse vers les autres hommes. Certains pleurent en agitant les bras vers leurs parents, leurs femmes ou leurs enfants. Sans ménagement, les soldats nous poussent plus loin : les chiens aboient, un officier a dégainé son pistolet et tire un coup de feu en l’air. Un vieil homme court pour rejoindre sa femme, il l’abat d’une balle dans la tête. J’ai compris… Je dois courber le dos… Le pauvre homme reste là, couché dans une mare de sang. Le reste n’est que hurlements, ordres en allemand, coups de crosse de fusil…
Sans ménagement, ils nous poussent devant un wagon à bestiaux. Sur la porte, à la craie, est marqué « Pithiviers ». Je connais ce village dans le Loiret. Les plus jeunes aident les vieux à monter. Je

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