Polyte
85 pages
Français

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Description

Vieux loup de mer renfrogné, bourru et raciste, Hippolyte dit Polyte Grand-Guèle est respecté et craint de tous. Il souhaite léguer sa terre, son patrimoine et son savoir-faire à son enfant. Il épouse alors la jeune Rébecca Sansdésir mais la frustration et la colère s’emparent de lui lorsque l’enfant-héritier ne vient pas. Et quand arrive enfin l’événement tant attendu, le doute et la jalousie le brûlent, et la haine le dévore. Les éditions L'Atelier des Nomades sont aussi lauréats du Prix de l'Édition Afrilivres 2020.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2018
Nombre de lectures 3
EAN13 9782919300419
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
Miette et Toto, 1925
L’Épingle de cravate, 1929
© General Printing & Stationery Cy., 1926
Offrande à Arthur Martial
 
Mon cher Martial,
Vous seul, et moi, savons ce que le livre vous doit. Il vous appartient, à peine est-il besoin de vous l’offrir.
Acceptez-le je vous prie, non point seulement comme une marque de ma confraternelle estime – combien grande, vous le savez – mais surtout en témoignage d’une amitié personnelle très sincère, qui voudrait avoir mieux à donner.
S.M.
Table des matières



Page de titre
Copyright
Dédicace
Grand-Guèle
Becca
Coup-de-vent
Le piquant d’oursin
La marée
Manqué napas compté
La somnambule
Houle de fond
Le petit
Samy
Samy grandit
Un métier
Quincois
Au fil des jours
La passe Destog
La terre aux Sidonie
Glossaire
Dans la même collection
4e de couverture
Grand-Guèle

Bonhomme Vergogne descendait de la petite église de Grand-Gaube vers le débarcadère ; au tournant d’un mur bas, chevelu de raquettes, il s’arrêta pour regarder la mer étale ; une brise très molle la caressait à peine et, par ce matin d’août, le soleil lui versait plus de lumière que de chaleur ; les brisants étaient morts ; le Coin-de-Mire se haussait, là, tout près, à bout de bras et l’île Plate, l’îlot Gabriel s’égrenaient vers l’île Ronde nettement détachée en avant de l’île aux Serpents.
- Bon temps de pêche ! Dommage que c’est dimanche !
Le bonhomme restait joyeux tout de même ; c’est qu’il avait dans la bouche une nouvelle, une grosse nouvelle qui ne demandait qu’à sortir pour épater les camarades, les laisser gagas. Vergogne renfonça sa courte pipe entre ses dents, comme pour bien fermer toute issue à son secret et continua sa route, du pas traînant du pêcheur qui, à terre, semble toujours flâner.
Sous le grand multipliant où se traitent les marchés, douze, quinze pêcheurs, vingt peut-être, étaient réunis. La plupart, étendus sur le dos, les mains croisées sous la nuque, semblaient chercher des paille-en queue dans le ciel ; d’autres, assis sur leurs talons, jouaient aux cartes, au plat-carré, au cange.
Bonhomme Vergogne examina les groupes : Polyte n’était pas là, il pourrait parler.
- Eh ! z’autes, costez ; vine acoute eine maman-nouvelle !
Les joueurs furent à peine distraits ; la plupart des hommes qui s’étaient allongés ne bougèrent même pas. On les connaissait, les histoires de Vergogne : toujours les mêmes petits potins qu’il grossissait, dans lesquels il soufflait, pour les emplir de vent comme ces grattelles que la marée apporte des brisants…
- Acoutez, je vous dis ! Grand-Guèle, Polyte Grand-Guèle, se remarie !
Du coup, tous les allongés se redressèrent ; les cartes, les petits cailloux et les débris de carail du plat-carré furent oubliés et un joueur de cange laissa glisser les gauris sur sa main retournée. On se pressait autour de Vergogne.
- Vieux blagueur !
- Impossible !
- Assemb’ qui ?
Bonhomme Vergogne jouissait de son succès ; quand le remous des exclamations se fut un peu apaisé, il jeta :
- Assemb’ Becca, la petite-fille de Jacob, le forgeron de Melville !
- À quoi tu penses, Vergogne, de vouloir baigner comme ça avec Grand-Guèle ?
- Il ne faut pas s’amuser avec le piquant du laffe !
- Tu es à rôder la gale pour te gratter, Vergogne !
Déjà, les voix étaient moins assurées ; on regardait à droite, on regardait à gauche, comme si l’on craignait de voir surgir Polyte.
Vergogne laissa tomber :
- C’est Mon-père qui, avant le prêche, a annoncé : « Y a promesse-mariage Polyte Lavictoire et Rébecca Sansdésir. »
C’était donc vrai ? Les rires se turent ; une pointe de gaieté s’aiguisait encore dans les prunelles ; comme l’écaille d’un mulet brille au soleil, entre deux plongeons ; mais on se remit au cange, aux cartes, au plat-carré, ou même à l’observation du ciel vide, sans plus causer, sans plus sourire.
Vergogne lui-même, une fois son pétard éclaté, fila le long de la plage, les lèvres serrées sur son brûle-gueule, les mains enfoncées aux poches, fuyant la tentation de gloser, lui, l’incorrigible bavard qui n’avait jamais su tenir sa langue collée au palais.
C’est qu’il y en aurait eu long à dire, si la prudence n’avait cousu toutes les bouches !
Voyons ! Passe encore de se remarier à soixante ans, mais aller choisir une jeunesse comme cette petite Becca, un beau brin de fille de vingt ans, drue, saine, goulue de la vie, non ! Ça ne s’appelle plus de la folie, ça ! Ça n’a pas de nom ! Bien sûr, Becca est une enfant sage et droite ; mais, que diable ! Vous ne jetez pas votre ligne dans un banc de bouetteurs, si vous ne voulez pas voir débouetter votre hameçon ? Pas vrai ?
Ces choses-là, on les chuchota peut-être le soir dans les paillotes de Grand-Gaube et de Saint-François, de Deux-Boutiques et de Mont-Oreb, derrière les portes assujetties par des bouts de corde de coco. Mais jamais, au grand jour, on n’aurait risqué un sourire que Polyte eût surpris peut-être, une plaisanterie qu’il eût pu deviner.
Car Polyte est de ces hommes avec qui l’on ne badine pas !
Assez grand, mince, sec, souple en dépit de l’âge, Polyte a, malgré sa peau noire et ses gestes frustes, un air supérieur, racé, aristocrate, que le premier venu remarque tout de suite. Les pommettes, la mâchoire massive sont taillées à coups de serpe dans un bloc de bois-cannelle noir ; le front ne fait qu’un avec le crâne chauve, rond et allongé comme une écope en coco-de-mer ; les yeux petits, dont le blanc a la couleur de la chair d’huître, posent sur les choses, sur la mer, sur vous, un regard indifférent et calme qui, pour un rien, durcirait, vous défierait ; le nez, plutôt fin, n’a rien de cafre ; au-dessous, cotonne une moustache brève et clair-plantée qui ne cache pas l’ivoire des dents, larges, régulières, embrevées les unes aux autres, comme des dents de tazar ; la lèvre inférieure s’allonge en une moue perpétuelle, mais ici encore se reconnaît l’apport de sang blanc qui a fait de Polyte un homme si différent de son ancêtre, l’esclave débarqué du négrier : car elle est spirituelle, cette lèvre, pas trop épaisse, sombre autant que les lèvres des Mozambiques, mais point énorme comme elles.
Polyte n’a peur de rien : à minuit, par marée noire, il traverse le cimetière aussi tranquillement que vous vous promèneriez sur le grand chemin, en plein jour. Jamais il n’a cédé à personne, aussi nul n’ose plus l’affronter. Sa bravoure, son inflexible volonté l’ont posé parmi les gens de Grand-Gaube, c’est bien sûr ; mais il y a une autre chose, qui a encore plus contribué à lui assurer le prestige dont il jouit.
C’est que Polyte n’est pas de ces faillis pêcheurs qui, pour avoir traîné leur ligne au large de l’île aux Serpents, s’imaginent avoir vu le bout du monde ! Ah ! Non… Pendant trente-six ans il a navigué. Après avoir aidé son grand-monde sur les péniches qui portent du sable ou du lest au Port, il était encore haut comme ça, lorsqu’il s’est fait embaucher par un patron de ces chasse-marrées qui chargent du sucre à Bel-Ombre, à la Grand’Riviere-Sud-Est ou à Mahébourg ; aussi n’y a-t-il pas un amer : montagne, vieil arbre ou cheminée, pas une anse, pas un trou de la côte qu’il ne connaisse, depuis le Cap d’Hortal jusqu’au Macondé, depuis la Pointe-aux-Sables de la Grand’Riviere jusqu’aux Grands-Sables du Vieux Grand-Port. Mais, tout ça, est-ce que ça compte ? Parlez-moi des vraies traversées, des voyages à Agalega et à Salomon, à Péros et aux Six-Îles, à toutes les îles d’où les goélettes reviennent le ventre plein de barriques d’huile et de cocos en barbe ! Parlez-moi de la pêche sur les bancs de Saia-de-Mala et à Saint-Paul d’Amsterdam ! Et encore ! Ces navires-là, c’est des caboteurs, des bateaux où, selon la méprisante classification de Polyte, « vous voyez le pilon à riz d

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