À corps perdus
84 pages
Français

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Description

Les amitiés cachent parfois de lourds secrets qui modifient la donne.


On peut connaître quelqu’un depuis des années, depuis toujours, presque, et se rendre compte, finalement, qu’il ou elle n’est pas celui ou celle que l’on croyait.


Mais quand les destins pervertis de trois personnes s’entrecroisent, il y a de fortes chances que cela se termine dans le drame et le sang...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 31 mai 2023
Nombre de lectures 0
EAN13 9782385011741
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À CORPS PERDUS
Roman noir

par J.A. FLANIGHAM
CHAPITRE PREMIER
 
— D'une façon générale, les yeux clairs dénotent la froideur et la sécheresse !
Lucile eut un bref petit rire – ce rire insupportable que Mireille détestait –, et elle regarda les yeux incroyablement bleus posés sur elle. Mireille haussa les épaules :
— Tu peux considérer que, moralement, mes yeux sont bruns, dit-elle d'une voix lasse.
Avec une secrète arrogance, elle contempla le regard noisette de Lucile.
— Car, si je suis ton exposé, les yeux bruns sont synonymes de bonté ? Ou de sentimentalité ?
— On le dit !
D'un geste sec, Lucile referma le livre. Il s'intitulait : « Votre destinée dans la physionomie. ».
— Tu me fais rigoler, toi et ta science des choses cachées derrière les choses !
— Faut bien gagner son pain !
Il y avait une note de menace imprécise dans le ton, mais Mireille ne s'y attarda pas. Avec son habituelle tendance à oublier la moindre possibilité d'argument dès qu'elle l'avait énoncé, elle songeait déjà à autre chose. Mais c'était curieux, elle continuait à penser néanmoins à des tas d'idées imprécises qui virevoltaient autour de ce que Lucile venait de dire : « Les yeux bleus, les yeux bruns... La sécheresse, la bonté... gagner son pain... » La belle rigolade ! Et cette façon que Lucile avait eue de le dire en la regardant presque en dessous. Presque ! Pouvait-on jamais savoir quand Lucile regardait en face ou non ? Et quelle importance cela pouvait-il bien avoir, en définitive ?
Le bref grésillement de l'intercom anima le silence épais, et Lucile tourna la manette. La voix déformée annonça : « On demande les épreuves pour le numéro 503, Mademoiselle ! » Lucile annonça qu'elle allait les descendre, et se tourna vers Mireille qui bâillait.
— Tu fais quoi, tantôt ?
Mireille eut un petit rire ennuyé.
— Un cocktail. Avec des imbéciles !
Elle alluma une cigarette.
— Ce que je peux m'embêter !
Elle se leva, contourna le bureau, souleva un dossier et le reposa. Le moindre de ses gestes exprimait une lassitude infinie, et Lucile pensa : « Elle est jeune, elle est belle, elle est fabuleusement riche, et elle est morte. Aussi morte qu'une vieille momie de trois mille ans... Je la hais... Dieu que je peux la haïr !... »
L'idée même, l'essence de cette idée-là lui causait une effrayante jouissance. Une espèce de vertige. Elle eut un sourire tendre.
— Tu t'ennuies, hein ?
— Oui ! dit Mireille qui bâilla encore.
« Des yeux incroyablement bleus. Une cervelle d'oiseau. Des accès de tendresse puérile. Une forme d'inconséquence à proprement parler inouïe, voilà Mireille ! » pensa encore Lucile.
Et Mireille, observant le regard aigu de Lucile posé sur elle, dit, d'une voix dolente.
— Tu me plains, hein ? Tu te dis encore de ces choses... De ces choses bêtes et inutiles... (Elle haussa les épaules.) Tu m'embêtes, Lucile !
Lucile rit.
— Il y a des moments où je me demande ce qui pourrait être susceptible de ne pas t'embêter, par exemple ?
— Pas d'exemple ! répondit Mireille du tac au tac.
Elle haussa les épaules, baissa la tête, prit son sac et ses gants, et en accomplissant ces menus gestes inutiles, elle sentait sur sa nuque le regard de Lucile. Elle se demanda si ce frisson qu'elle éprouvait était sincère ou feint, et elle releva la tête en souriant.
— J'ai encore rêvé de toi, cette nuit, dit-elle.
Lucile eut un sourire très doux.
— Encore un de ces rêves horribles ?
— Plus horribles que les autres, peut-être !
Mireille se rassit, elle alluma une cigarette en plissant les yeux. Et la clarté qui fusait entre les cils mi-clos avait quelque chose de presque insoutenable qui fit se détourner le regard de Lucile.
— Tu étais une jolie femme au centre d'une clairière. Une jolie femme de trente ans, telle que tu l'es présentement, brune, un peu sévère, grave, avec tes larges yeux bruns.
Mireille rit, et ajouta sur un ton soudain ironique :
—  Bruns, synonyme de sentimentalité. Tu étais au centre d'une sorte d'éclaircie, baignée de soleil, et tu chassais le soleil de tes deux mains devant ton visage soudain durci, et le soleil s'enfuyait et alors tu devenais une vieille sorcière édentée, ricanante, et monstrueuse. Et je me disais : « Voilà la vraie Lucile ! Non pas l'être que j'admire pour ses qualités, son courage, sa droiture, mais l'autre, celle dont je me méfie depuis l'enfance... » Et j'étais fière de voir que je ne m'étais pas trompée... Alors, je te tombais dessus et j'écrasais ton ignoble visage de vieille folle à grands coups de pierre...
Lucile eut un sourire très doux.
— Combien de fois as-tu rêvé que tu me tuais ?
— Des centaines et des centaines de fois, répondit Mireille d'une voix dolente. C'est curieux, non ?
— Très curieux ! fit Lucile d'un ton neutre.
Elle regarda son poignet.
— Il me faut descendre les épreuves. Tu tiens à jeter un coup d'œil ?
— Tu fais admirablement mon travail ! dit Mireille dans une grimace, et toutes ces choses m'ennuient si fort.
Elle reprit son sac et ses gants.
— À demain ?
— À demain, mon petit !
Mireille se dirigea vers la porte, l'ouvrit, resta quelques instants immobile, et une expression à la fois amusée et contrariée passa sur ses traits, changeant étonnamment l'expression de son jeune visage :
— Je vais peut-être rêver cette nuit une nouvelle manière de t'assassiner, qu'en penses-tu, Lucile ?
Lucile eut un rire tranquille :
— Je laisse le choix à ton ardente imagination, mon petit !
Mireille referma la porte. Lucile, les yeux luisants, resta quelques instants immobile, la main posée à plat sur la pile d'épreuves. Un curieux sourire flottait sur ses lèvres pleines, mais ses yeux restaient extraordinairement froids et durs.
 
* * *
 
— Bob ! Bob, tu es revenu !
Mireille s'était précipitée sur Robert qui la repoussa d'un geste amusé tout en s'asseyant plus confortablement pour qu'elle puisse s'installer sur ses genoux.
— Bob !
— Et ne m'appelle pas Bob ! J'ai horreur de ces diminutifs style anglo-saxon !
Sa bouche contre le cou de Robert, Mireille ferma les yeux. Elle pensa, emplie jusqu'au vertige d'un sentiment d'effrayante joie : « Il est revenu ! Il a quarante-cinq ans. Il m'a vu naître ou presque, et il n'est rien que je désire tant, depuis des années, que passer une nuit dans ses bras ! Une nuit d'amour avec Robert ! Une espèce d'inceste ! Bon Dieu, que ça serait bon ! »
Elle eut un rire puéril, presque enfantin. Robert l'avait doucement écartée de lui. Il prit un ton bourru qu'il se reprocha aussi sec  (qu'est-ce qui me prend de vouloir jouer les pères nobles ?).
— D'où viens-tu ? dit-il.
Elle se rapprocha plus dangereusement de lui.
— J'ai bu avec des imbéciles. J'ai écouté du piano. Ridicule !
Elle rit, le prit par le cou, l'embrassa au coin des lèvres.
— Robert, je t'adore !
Il eut beau prendre un air courroucé, c'était rudement bon, ce baiser qui n'avait l'air de rien (je suis un vieux satyre !)
— Ton père, avec lequel j'ai passé deux heures tantôt, te prétend assagie !
Elle quitta brusquement les genoux de Robert pour se précipiter sur son sac, en sortir l'étui extra plat, et prendre une cigarette qu'elle alluma nerveusement.
— Le père Rogier ! Tu parles !
Il y avait une note de véhémence sournoise dans le ton, et elle regarda Robert quelques secondes après, avec une espèce d'arrogance.
— Ainsi, quoi qu'en prétende Jean, tu es toujours aussi cinglée, ma pauvre petite ?
— Je ne suis pas cinglée, je m'embête !
— Dans ton monde, il est très aristocratique de s'embêter, j'imagine, dit Robert en la regardant bien en face.
« Une sale gamine ! Une gosse insupportable, et qui sans doute n'était pas tellement responsable », pensait-il. Une fortune insolente au berceau, la mère morte à l'âge où l'on a besoin de compréhension, un père qui ne pense qu'en signes typographiques... Qui était responsable du marasme intérieur de Mireille ? Sa destinée de riche héritière ? La mort de Claudie, l'épouse un peu folle de ce magnat de la presse qu'était Jean Rogier ?
Il savait ce que pensait Mireille de Jean : que son père ne vivait que pour ses affaires, ce qui n'était peut-être pas tout à fait exact (mais j'ai peut-être beaucoup d'indulgence envers lui parce que c'est un copain de toujours, ou alors est-ce cette tendresse curieuse pour cette gosse qui fausse mon jugement ?)
De penser qu'elle pouvait le rendre injuste, fait son regard soudain dur et ses lèvres amères :
— Ton père m'affirmait que tu avais pris une espèce d'intérêt à « Cœurs modernes ». Il paraît que tu t'occupes fort bien du courrier sentimental ?
La tête rejetée en arrière, Mireille rit. Longuement. Avec une note d'amertume dans le fond de la voix, et Robert furent soudain très émus de penser qu'il était peut-être le seul en ce monde à dénoter, sous l'apparente insouciance gavroche de ce rire, la note de détresse.
— J'ai refait le père Rogier en beauté dans cette histoire ! dit-elle.
Ses larges yeux bleus s'étaient rétrécis soudain, et cela ne la vieillissait pas. Bien au contraire. Son visage avait pris une expression extraordinairement juvénile.
— Il menaçait de me couper les vivres. Il disait que je menais une existence parasite. Tu le connais, oui ou non, avec ses grands airs et ses préjugés d'un autre temps ?
Elle haussa rageusement les épaules.
— Il m'a mis le marché en main : tu travailles. Dur et sec. Comme moi à ton âge. Tout ou rien. (Elle ricana.) Avec lui, c'est toujours tout ou rien. La vérité ou le mensonge ! L'apogée ou l'extrême dégringolade. La vertu ou le vice.
— Si tu allais droit au but, gronda Robert. T'n'as pas perdu cette habitude de t'exprimer par détours.
— Tu ne vas pas devenir comme lui, non ? fit-elle presque haineuse.
Elle tira avidement quelques bouffées, chassa la fumée dans un geste dolent, plein de grâce.
— Ton père est ton père, et si, à vingt-deux ans, tu n'es pas capable de le comprendre, ce n'est certes pas à moi de perdre mon temps à te l'expliquer. Ceci dit, comment expliques-tu avoir « refait ton père en beauté » ?

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