Amalgames
256 pages
Français

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Description

Philippe est un dentiste parisien qui s’ennuie. Saül est un Américain marchand d’art excentrique. Leur rencontre se résume-t-elle à une rage de dent soulagée en urgence ? Ou apporte-t-elle la révélation d’un mal plus racinaire à extraire d’eux-mêmes ? Un lien semble se faire entre ces deux hommes aux désenchantements crépusculaires que leurs femmes et proches subissent, ou parfois conduisent...


Entre Paris, New York, et l’indistinct de leurs sentiments, Claire, Philippe, Camilla, Saül s’engagent dans une aventure intime, à la fois commune et délirante.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 juin 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334114455
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-11443-1

© Edilivre, 2016
Dédicace

À Lydie
1
Quel horizon embrasses-tu ?
Cette question a tenté une percée impromptue, puis s’est estompée.
Mutante, dévoyée, elle ressurgira. Philippe Kadish n’en doute pas…
– Claire… Claire ?
– Oui Philippe, répond Claire d’une voix lasse. Son mari lui est devenu si prévisible qu’elle n’éprouve même plus de condescendance, juste cette exaspération tenace, en sourdine…
– Claire !
– … Je t’écoute Phil, je stérilise un…
– On va quand même faire une radio panoramique.
– Une panoramique, reprend Claire en écho machinal sur un ton de reproche.
– Alors on fait un cliché de la 32 et de la 33. Ces deux-là au moins !
Philippe lève les yeux au ciel. L’énervement dans la réponse n’a pas échappé à son patient. Allongé sur le fauteuil de soins, Monsieur Ayrton Reuter redresse la tête, actionne son maxillaire puis dit en aparté à Philippe, son dentiste :
– Vous savez Docteur, qu’avec votre crochet, ça me fait mal à celle du fond, à la sagesse en bas.
Philippe appuie ses poings gantés de latex sur ses cuisses et désabusé lui dit :
– Comme vous y allez, Monsieur Reuter ! Je ne sais rien moi ! Je suis comme tout l’monde : je tâtonne ! En fait, une sagesse, quand ça fait mal, faut extraire ! Attaquer le mal à la racine, si j’ose dire…
– Vous m’amusez, Docteur. Vous m’avez toujours fait rire, répète le patient Ayrton Reuter en gloussant.
– … Mon Cher, si vous pouviez convaincre Claire, ma femme, que j’suis encore drôle, je vous la couronne gratuite, votre dent !
– Une sagesse ? Vous mentez c’est votre métier qui veut ça ! Voilà mon diagnostic, Docteur : Faut m’arracher le peu qui me reste !
– Bon, Monsieur Reuter, reprend Philippe en donnant une tape amicale sur l’épaule de l’homme à la cinquantaine solide. Mon ami, reprend le Docteur avec une feinte condescendance, nous allons quand même faire cette radio, voir si l’on peut sauver un peu de justesse dans votre bouche. D’accord ?
– Si vous le dites, allons-y. Prenez ce que vous voulez, conclut Ayrton Reuter amusé, cela complétera mon album photo.
Après que Claire ait mis l’appareil radiologique sous tension, Philippe loge une cale de film et un écarteur dans la bouche de son patient, puis s’éloigne, enfile son tablier plombé de protection, tire sur le bras articulé pour orienter le canon et en plaquer l’embout de plexis contre la zone mandibulaire du maxillaire droit de Monsieur Ayrton Reuter. Philippe lui commande de ne plus bouger, de ne pas sourire, ce qui fait passer une lueur inquiète dans les yeux du patient. Philippe se glisse dans le refuge à radiations qu’isole une paroi vitrée. Claire presse le contacteur pour déclencher la décharge atomique.
Philippe quitte son tablier et retire la mini plaque de l’appareil pour la tendre à Claire en lui disant, pour la cinquième fois de la journée :
– Allez, ma petite Claire, tirez-moi ça, faites-moi une bonne impression !
Pour la cinquième fois de la journée Claire hausse les épaules, pince les lèvres et, après un bref soupir qu’elle force afin de rendre audible sa mauvaise humeur soudaine, elle se dirige vers l’angle opposé de la pièce où une paillasse et un bloc évier encastrés dans un ensemble de rangements aux cornières d’inox constituent un coin laboratoire qui sent les produits fixateurs. Elle maintient les épaules hautes. Une attitude d’enfant qui prend une gifle car c’est l’effet produit par la plaisanterie de son idiot de mari. Une manière pour elle d’évacuer l’exaspération qu’ajoute en elle, et pour la cinquième fois de la journée, le petit rire d’un patient ; voire les traits d’humour de ceux qu’enhardit la familiarité de son mari.
Du coin de l’œil, Claire voit que Monsieur Ayrton Reuter la désigne d’un coup de menton à l’adresse de son mari.
Claire en blouse blanche, lunettes de protection sur le nez, s’emploie à devenir sourde en fourgonnant d’un bras dans l’une des ouvertures à soufflet de la chambre de développement posée sur la faïence :
– Ma parole, dit à voix basse le patient à son dentiste, y donnent les Experts à Miami ce soir à la télé !?
Philippe étouffe un rire qu’ainsi sa femme n’entend pas. Il se contente de rabrouer son patient du regard, cachant son sourire sous le masque sanitaire relevé à la hâte sur son nez. Il lui glisse que ce n’est pas si drôle, qu’il faut de la minutie, ne pas louper le tirage de la 33 et de la 32… Et pas non plus celui du Loto !
Ayrton Reuter rit à cette plaisanterie qui le distraira durant toute l’intervention du Docteur Kadish, lequel fait chanter le tungstène des fraises pour sauver sagesse qui émaille encore ce patient inconséquent…
Philippe adore forer dans les molaires. Il s’y trouve bien au fond, dans la cavité, à traiter les noirceurs des dents cariées, des racines malades d’atteindre la nappe insalubre de l’hygiène ou les gènes foireux des patients. Philippe sent la tension inquiète de ceux-ci qui explose dès qu’une roulette ripe, ou si un crochet perfore un peu fort dans la bouche maintenue ouverte. Philippe perçoit cette ouverture comme une éventualité perverse, attentatoire au plus intime de l’autre.
Il s’attachait à traiter ce qui pourrissait ici ou là pour tenter d’en ressortir la blancheur la plus originelle. Bien que tout à son travail, la bouche tordue derrière le masque, Philippe, lui le mélomane qui écoute une radio jazz en continu, s’évade en Gil Evans de la dentisterie, en orchestrateur et arrangeur des dents : attentionné, il voit là, en bouche des claviers à réaccorder, quelques noires et des blanches, des tempos à tenir, des soupirs et des croches. Il concerte selon une stricte mesure ou improvise en de furieux assauts virtuoses avec les musiciens qui, à la radio relayée par un ensemble satellitaire d’enceintes fixées en angle dans son cabinet, ne manquent jamais d’accompagner ses journées de travail. Ainsi parfois, s’en trouve distrait l’ennui qui le taraude aussi fort que meulent ses roulettes dans la dentine.
Sa propre bouche, Philippe, sauf pour des plaisanteries ou des remarques d’un automatisme prothésiste auquel son quotidien l’accule, il ne l’ouvre jamais sa bouche. Philippe ne veut même pas voir comment elle est sa bouche ; quelle bobine ferait un confrère en découvrant toute cette misère ! Ses canines émoussées, ses incisives sans plus de tranchant, un blanc douteux, un sourire aux lèvres qui se pincent pour ne plus rêver. Alors, sans anesthésie ou si peu, il se traite lui-même, au toucher. En inversé au miroir, il remet parfois un peu d’ordre dans tout ça. Reposant ses outils, ayant craché son sang, bu une solution pour désinfecter et essuyé comme au terme d’un festin douloureux de lui-même, puis ayant éteint l’aspiration, il appelle toujours sa femme : – « Claire… Claire ? » en qualité d’assistante – sa seule qualité encore soupire Philippe.
Claire partage sa vie depuis si longtemps.
Adoptant une moue sans surprise et en plissant les yeux derrière ses lunettes, Claire lui répond invariablement d’un ton laconique : ça peut aller .
Philippe aurait tant aimé que sa femme lui dise une fois « ça va … » avec cette légère inclination, cette intonation inquiète en suspens à la fin, la lueur vacillante d’une invitation aux confidences qui lui aurait fait lâcher toute sa rage anesthésiée en lui, à haute dose d’ennui.
Philippe s’était déçu. Ne s’aime plus.
D’excellentes raisons et pas mal de faux semblants l’avaient conduit à cette conclusion. L’épreuve du miroir lui était devenue insupportable, même réduite à la plus simple expression du bref aperçu de son visage impavide. Le temps l’avait épaissi les arrêtes émaciées de sa jeunesse et où étaient logés des yeux à dominante brune veinée de bleu de Prusse, mêlant peut-être là ses terres natales aux regards fuyant ses origines : Sa part maternelle était franc-comtoise, des plus épaisses de caractère et de morphologie, travaillant le buis et l’écume avant que l’industrie de la pipe ne s’effondre et disperse ce qui restait de cette famille ici regroupée comme moutons de poussières. Une famille pourtant figée ici depuis un siècle, comme saisie en ce pays froid.
Du côté de son père, c’était un amas d’Europe centrale, résistant insaisissable de la première à la dernière heure, taiseux de ses sources, né d’une mère catholique littéraliste, exclusivement offerte à son rédempteur, mais que la famille supposait d’origine ashkénaze. Le père de Philippe a bien dû se résigner à naître de cette rescapée consacrée et de tout ce qu’elle ne lui aura jamais confié, le regard tordu d’épouvante quand tourné en elle-même, là, visible, un effroi ressurgissait, vomissait une langue inconnue.
Philippe avait les traits d’un Christ de Nolde qui se serait laissé aller à bouffer trop de fraises Tagada entre deux patients. La rondeur y côtoie l’aigu persistant des pommettes, l’escarpé d’un nez étroit ombre l’érosion du carré de sa mâchoire, sorte de reposoir que centre une fossette au menton sous des lèvres renflées n’adoucissant rien d’un visage à grands traits, tirés en blanc, en gris, en noir, tout de creux fatidiques et d’évidements. Philippe se trouve une tête de gravure sur bois : dur, noueux, d’un bois pâle, un regard creux plein de copaux. Peu de chair sauf cet épais menton. Son double affaissement qui bloblotte là en gras, entre les fraises de tungstène et les fraises Tagada !
Philippe a empaqueté son ennui, l’a ficelé d’humour, des grosses ficelles élimées, prêtes à rompre, puis il l’a bourré dans son regard doublé d’écume afin que personne ne s’y brûle.
Une vraie tête de pipe ça oui ! Un joli poli, mais au culot noirci par tant de brûlis intimes.
Philippe se voit vivre le pied sur la

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