Ce qui ne tue pas
151 pages
Français

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Description

Etienne, la quarantaine, est un universitaire apprécié qui profite d’une vie relativement paisible, jusqu’au jour où tout ce qui construisait la banalité d’une existence subit une série d’intrigues où se mêlent la trahison, la vanité, le passé et l’amour. De quoi devenir fou. Mais Etienne ne ressent ni mal, ni passion, ni émotion.

Informations

Publié par
Date de parution 03 juin 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312073545
Langue Français

Extrait

Ce qui ne tue pas
Ollivier Errecade
Ce qui ne tue pas
(roman)
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2020
ISBN : 978-2-312-07354-5
Primo
Je parlais de l’ingratitude du sentiment amoureux, avec des mots simples, dans l’espoir d’être le plus précis possible. On peut faire le beau, on peut faire de l’esprit, se taper sur le cœur ou jouer sur la corde des émotions pures, déballer les grands émois, tout ç a. On peut se raconter des tas d’histoires, imaginer qu’on ne sortira pas de la route, mais le désir demeure, implacablement présent, chevillé au corps. Rien n’existe en réalité que l ’ambition de l’alimenter, de le faire grandir, le satisfaire. Rien ne ralentit ses élans, nul cynique barrage, nulle pauvre résolution de l’âme. Le désir nous asservit, nous consume lentement. Puis il se retire brusquement, comme la vague à la fin des marées, laissant derrière lui des montagnes d’emmerdements.
J’exposais ce genre d’arguments, nourrissant encore quelques illusions en cette fin d’hiver précoce. Les premiers boutons perçaient l’extrémité des branches sous le vol renouvelé des oiseaux migrateurs. Ils arrivaient par vagues avec quelques semaines d’avance. Les gens paraissaient surpris par la douceur de l’air, et les plus avisés trouvaient des raisons de se plaindre en prédisant l’Apocalypse. Personnellement, je ne voyais pas d’inconvénient à voir l’hiver desserrer son étreinte, si ce n’était les poussées foudroyantes des pelouses auxquelles il faudrait bientôt accorder une tonte régulière, ce qui à vrai dire tombait plutôt mal. Je manquais cruellement de temps. N’avais que peu d’énergie à leur consacrer. Quoi qu’il en soit je couvais encore quelques illusions. Celles d’un père n’ayant pas tout à fait renoncé à accomplir au mieux sa mission, son humble, sa périlleuse mission.
Clara avait passé le week-end avec nous, deux petits jours, le temps de se rendre compte que son idylle de l’été dernier n’était qu’un roublard, un malhonnête, un vil hypocrite, et de baisser les bras de découragement sous le poids de ses naïvetés. Un menteur, un sale félon.
– Je crois à la fin qu’il me faudra renoncer à trouver quelqu’un de bien, fit-elle d’une moue vaguement fataliste, comme écrasée par la désillusion – la énième en la matière. Ou bien suis-je trop gentille. C’est mon grand défaut. J’en suis parfaitement consciente. Trop gentille…
J’aurais également pu disserter sur la candeur d’un jugement aussi ferme, aussi définitif, assurer tout en prenant sa main qu’à son âge on n’est à la fin de rien, en dépit de ce qu’elle croyait. J’aurais pu expliquer que les choses ne faisaient que commencer, qu’elle se situait au début de tout, qu’elle venait tout juste de poser le pied sur la ligne de départ. Au début de tout, fusse aussi des désillusions… Mais je me contentai de lui proposer quelque chose à boire pour l’encourager à vider son sac – occuper par la même occasion l’heure qui restait à tuer avant de la ramener à l’aéroport – et lui suggérai d’accepter de penser que la gentillesse n’est pas forcément un défaut, pas obligatoirement une faiblesse, aussi mal payée fût-elle. Elle accepta une eau gazeuse. J’imitai son choix, remettant à plus tard l’absorption de quelque alcool. Elle observa le pétillement des bulles durant quelques secondes.
– Je n’irai pas contre ma nature, je ne vais pas me dresser contre ce que je suis, et je veux bien t’entendre, papa. Mais dis-moi, dis-moi sincèrement si au fond de toi tu es convaincu que la gentillesse puisse ne pas être une tare ? As-tu, une fois, une seule fois, gagné quelque chose à être gentil ?
J’appréciais sa façon de s’exprimer. Cette jeune femme n’était pas comme les filles de son âge, elle était différente des autres, de toutes les autres, si différente de sa cadette pour qui les mots n’avaient pas grande valeur, pas grande tenue (les mots et encore moins ce genre de considérations, d’épanchements mélancoliques), sa petite sœur avec qui de telles conversations, de telles complicités n’avaient jamais été possibles, ni de près ni de loin. J’appréciais vraiment nos échanges.
La seule chose à faire était d’être franc, d’avouer sans détour que ça faisait bien longtemps que je n’imaginais plus faire partie de la caste des gentils, de ces fronts baignés de rayons dorés, d’une quelconque forme d’empathie. La vérité était que je pouvais quelquefois me contraindre, faire illusion à l’occasion, mais cela n’était qu’un rouage, une mécanique huilée, cela n’était qu’un jeu, une forme d’hypocrisie calculée. Car la gentillesse, vois-tu, c’est une chose qui se donne sans attendre, sans rien espérer en échange, tendre une main, glisser un sourire, un compliment, prêter une oreille ou une épaule sans se dire qu’on te baisera les pieds pour autant, ou que cela te sera rendu, tôt ou tard. La gentillesse, Clara, c’est comme l’amour. Une brindille dans l’eau qui court, une feuille qui tombera de l’arbre, une chose fragile qui fait souffrir les cœurs purs, les cœurs sensibles comme le tien. Mais tu as du temps. Tu as tout ton temps. Un jour ou l’autre tu te rendras compte que tu n’éprouveras plus ce besoin, que tu n’auras plus la force de t’essayer à la gentillesse. C’est comme ça. La vie exige ce genre de renoncements. On appelle ça l’expérience, la première marche vers la vieillesse. Reste telle que tu es. Aime ta douleur. Jouis de ça, ma douce. Tu verras, certaines défaites auront le parfum des plus grandes victoires. Minuit sonnera bien assez tôt, Cendrillon.
Clara manipulait son verre en le faisant tourner entre ses doigts fins, comme si sa transparence contenait la réponse de l’énigme, la clef du mystère.
– Mais toi, papa. Tu es un homme bien, toi.
Je me répète, sa façon de s’exprimer me plaisait, une multitude de choses en elle me comblaient. Cela ne m’empêchait pourtant pas de considérer certaines de ses errances, certaines de ses insistances d’un œil gris – désabusé parfois –, certains de ses choix comme de vrais poisons mortels. Elle s’était mise en tête d’embrasser la même carrière que son père, son gentil papa. J’avais mille fois tenté de l’en dissuader, mille fois démontré que l’époque n’était plus à ce genre de métiers, ou de vocations, mais elle n’en démordait pas, elle ne lâchait pas prise. Et les choses étaient sérieusement engagées à présent. Il aurait été difficile de faire marche arrière. Bref, pour en revenir à nos moutons, je concédais que je ne savais pas exactement à quoi m’en tenir lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il est un type bien.
– Eh bien, je dirais que c’est quelqu’un qui ne ment pas comme un arracheur de dents, qui communique ses sentiments, un homme qui a le courage de te quitter avant de te tromper.
Sa réponse me déçut toutefois. Elle me laissa sur ma fin, malgré tout le bien que je pensais d’elle. Je la regardai en laissant à mon tour passer quelques secondes, je la regardai se débattre dans un nouvel accès de douleur.
– C’est finalement assez simple d’être un type bien. À t’entendre ça tient à peu de choses.
– En tout cas, ça peut commencer par ça. Être honnête même si tu décides de faire du mal à ceux qui t’aiment.
– Le choses ne sont pas aussi simples, Clara. Peut-être la vie est-elle un poil plus compliquée ? Enfin, je ne sais pas exactement. Je ne suis plus tellement dans le coup. Toutes ces années de vie commune avec ta mère m’ont éloigné de ces questionnements. Je n’en suis pas mécontent, tu peux le croire.
Elle ouvrit la bouche et la referma aussitôt en clignant rapidement des yeux, comme pour lutter contre une subite envie de verser une larme. Nous avons tous nos petites misères, des lézardes sur nos murs, de la charpie dans nos sourires, nous connaissons tous ça, mais je jouais le jeu, je respectais sa détresse. À peine tentai-je de la tempérer dans ces instants de dérive, sans jamais la dénigrer. Ç’avait été un exercice difficile au début mais c’était désormais devenu une sorte de réflexe. Dix ans que ça durait. Je ne l’avais jamais vue amoureuse sans verser de larmes. Une vraie fleur fragile, une

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