Eaux Mortes
148 pages
Français

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Description

Roman policier ou roman d'analyse d'une société qui se délite peu à peu ? Qui pourrait bien être le héros de ce récit ? Un brillant médecin ? Un vieux manadier nostalgique ? À moins que ce ne soit Marisol, la vieille gitane autour de laquelle s'articulent toutes les relations. Un roman crépusculaire qui invite la nuit comme actant décisif. Une histoire d'amour et de mort, dans une Camargue sublimée et inquiète, prise dans les enjeux de la modernité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mars 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334120814
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-12079-1

© Edilivre, 2016
Dédicaces


A tous mes proches, petits et grands, qui m’ont inspiré cette histoire et qui ont suivi sa rédaction avec bienveillance
Espiguette, printemps 2015
Et dès lors, je me suis baigné dans le poème
De la mer, infusé d’astres et lactescent
Dévorant les azurs verts, où flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend
(A Rimbaud, le Bateau Ivre )
Chapitre 1
Julien Mazel s’épongeait le front à grands coups de mouchoirs jetables qu’il se gardait bien d’abandonner sur place. Son amour de la nature le poussait à un respect absolu, parfois exagéré, de l’intégrité des lieux. Abandonner un déchet, fût-il périssable, le perturbait durablement. Son côté écolo, à trente ans passés, amusait son père mais en irritait plus d’un. Exténué par une journée de travail harassante – il avait fallu, entre autres, renter Domingo, un taureau agressif et sournois, suivi de son petit troupeau de fidèles, pour le faire changer de pâture – il s’accordait un bref moment de répit sur le petit tertre, qu’on appelait les joncs salés, envahi de massettes et qui dominait la manade. Quelques mètres de dénivelé suffisaient pour avoir une vue splendide sur une grande partie du domaine Mazel, trois cent trente hectares d’un seul tenant, de marais, de pâtures, de pins parasols, de chênes kermès arc-boutés sur eux-mêmes pour résister au chaud et au salé. Toute la palette des verts se répondait en harmoniques subtiles : vert profond des cyprès de Provence, vert légèrement bleuté des rizières, vert franc des innombrables touffes de lauriers roses, éclaboussées de fleurs. Il ne pouvait s’empêcher d’avoir à chaque fois un coup au cœur devant tant de beauté sauvage. Au loin, les étangs qui tremblotaient sous la brume de chaleur de ce début d’été conféraient à l’ensemble une note magnifique mais incertaine, un peu inquiétante. L’homme n’était qu’un invité de passage, tout au plus toléré dans ce théâtre à ciel ouvert. Un modeste figurant sans plus. Le soleil de juin, anormalement brûlant, avait rougi les chemins, trempé le corps des hommes et des bêtes, engourdi les doigts crispés sur les cordes de cuir. Les gardians là-bas autour du père Mazel achevaient de fermer les barrières du petit enclos provisoire. Julien s’étonnait toujours que ces quelques bois dérisoires suffisent à éteindre la violence de ces bêtes capables de tout faire voler en éclat sur un coup de tête. Clignant des yeux sous le soleil et la poussière, Julien détourna son regard qui se fixa malgré lui sur un spectacle minuscule mais fascinant. Entre les joncs aigus de ce bord d’étang asséché, une épeire des marais démesurée, espèce rare, avait tissé une toile gigantesque. L’araignée monstrueuse avançait lentement et alternativement ses pattes de sauterelle, passant de manière brusque et saccadée d’un fil à l’autre, avec une précision d’équilibriste. Les fils de soie vibraient sous la baguette de ce chef d’orchestre implacable qui se dirigeait vers le haut de la toile. Là, un moustique, une de ces grosses bestioles qui harcellent tout le monde, tentait spasmodiquement de rapides manœuvres pour échapper au piège. Il s’épuisait progressivement à chaque tentative. L’araignée, sûre d’elle, avançait son ventre jaune et soyeux. Julien quitta des yeux cette scène pour lorgner de nouveau du côté des hommes et de la manade. Son père, à cheval, apparaissait et disparaissait au gré de la poussière soulevée par la cavalcade. Petit et légèrement enrobé, il n’en avait pas moins une surprenante aisance à cheval, à soixante ans passés. Le taureau beuglait de rage, bavant de longs filets blanchâtres et grattant le sol.
– Eh bien ! Ça promet pour nous et pour les raseteurs, il ne change pas ! s’exclama Julien tout surpris de parler seul à voix haute. Il était temps de rentrer. Il jeta un rapide coup d’œil à son épeire. Le moustique avait disparu, recouvert entièrement par le ventre mou de l’araignée qui se gonflait rythmiquement au gré d’une vie intérieure autonome.
Le domaine Mazel était une de ces propriétés, maintenant cohérente mais qui n’avait été qu’un puzzle éclaté pendant des dizaines d’années, jusqu’à la réussite de l’ancêtre Jules, à la fin du dix-neuvième siècle. Celui-ci, authentique camarguais, s’était embarqué à Toulon sur un coup de tête, pour l’Algérie, alors colonie française. Il avait profité de la générosité du gouvernement de l’époque pour faire fructifier les quelques hectares au sud d’Oran, donnés en signe de bienvenue aux nouveaux colons. Jules, un bourreau de travail comme on disait alors et d’une intelligence toujours en alerte, avait su saisir toutes les opportunités : mariage bien doté et savoir-faire dans le domaine des oranges et du miel, qu’il tenait de son beau-père. L’orangerie Mazel, ainsi que la miellerie qu’il y avait installée, avaient fait rentrer des dividendes, oh ! Pas au point de devenir richissime mais suffisamment pour être à l’abri. La guerre de 14 avait saisi Jules comme beaucoup d’autres, alors qu’il venait de se marier avec Clémence Baud. Celle-ci lui avait donné presque immédiatement un fils Charles, avant de mourir des suites tardives d’un accouchement difficile. La guerre finie, le retour du soldat, blessé par les horreurs de la violence humaine, mais heureux d’être en vie, avait tout d’un nouveau départ. La charge d’un enfant à élever ne fut jamais un fardeau mais plutôt un défi à relever. Ce bel élan se concrétisa par un remariage heureux mais infécond. Doué d’un incontestable sens des affaires et d’une intuition quasi animale, Jules avait fait de la petite entreprise familiale une exploitation d’une trentaine d’employés, reconnue à l’international. Les événements de Sétif en 45 avaient été déclencheurs et les troubles qui se multipliaient depuis faisaient pressentir à Jules et à son fils Charles que l’indépendance était en route, que tout cela allait dans le sens de l’histoire, même si personne ne se l’avouait. Charles, marié à Louise Herbert avait repris la gestion de l’exploitation, son père vieillissant continuant à l’assister périodiquement. Il parvint à transformer par souci de modernité cette exploitation en une sorte de coopérative participative. Une gestion saine et avisée, tant sur le plan économique que sur le plan humain, permettait des bénéfices mais aussi une juste redistribution des dividendes entre les « actionnaires », français ou « indigènes », selon le vocable de l’époque. Une sorte de petit miracle de l’autogestion bien pensée. Cependant, les troubles prenaient de l’ampleur. L’indépendance était en marche avec son cortège d’attentats, d’horreurs en tout genre, et de séismes politiques. Charles sentait qu’on était arrivés à un tournant décisif. Les bénéfices de l’entreprise commençaient à faire des envieux. Les nouvelles élites, que l’on sentait poindre, entendaient bien préserver un élan pour la future économie du pays. D’où les tractations pour le passage du relais. Charles était dans l’expectative. Son amour pour sa terre natale était indéfectible et ses amitiés « pieds-noirs » solides. Mais il se décida, le cœur brisé, à rejoindre la métropole. Il s’installa avec son épouse dans un coquet village sur les hauteurs de Nîmes. Un fils, Raoul, naquit en 1950, auquel il inculquait le respect des autres et l’engagement personnel. Sa famille à l’abri, il continua à gérer son entreprise, avec l’appui d’un administrateur resté sur place. Il multiplia les allers et retours entre la métropole et l’Algérie pendant une dizaine d’années avec la passion de l’entrepreneur. L’Histoire se précipitait. Il n’empêche, c’est avec surprise qu’il avait vu un matin de juin 62, embarquer la plupart de ses amis, sous un soleil de plomb : les « cadres », vastes cubes de ferraille grisâtres, contenant les maigres restes de toute une vie, étaient déjà chargés sur le pont des ferries, solidement arrimés par des pieuvres d’acier, et les voitures, des « Dauphines » et des « 404 » pour la plupart, disparaissaient dans le ventre des bateaux, tout cela dans un silence effrayant. L’indépendance était proclamée. Les français partaient en masse et souvent en pleurs. Mais ce n’est qu’en 1965 que Charles rentra définitivement à Nîmes, après avoir assuré l’avenir des employés de son ancienne entreprise, dûment débaptisée et nationalisée par l’Etat algérien. Il prit cette fois-ci le bateau pour un aller qu’il pressentait sans retour. Encore une errance et des racines à reconstruire ! Il avait eu vent des projets d’aménagement de la côte languedocienne. Dès lors, peu enclin à la nostalgie et à la passivité, son instinct de bâtisseur l’avait poussé à racheter les parcelles émiettées d’un gigantesque territoire de Camargue, entre St Gilles et le bac sauvage. Un retour aux sources de l’ancêtre Jules pour ainsi dire. Les Mazel se sentirent en effet immédiatement chez eux. Au-delà des préoccupations professionnelles, c’est surtout la beauté magique des lieux qui leur importait : les aurores roses sur les langues de sable, l’éclaboussement sanglant des couchers de soleil. Raoul, bien que poursuivant de convenables études à Montpellier, sentait bien que son avenir était là. La vraie vie ! Il avait hérité de son père un caractère ombrageux mais positif et c’est ainsi qu’il se retrouvait aujourd’hui à la tête d’une « manade » imposante d’une centaine de bêtes qu’il gérait seul depuis la mort de son père en 1985. Il n’avait pas épargné ses efforts pour compléter ses études d’économie par une spécialité « gestion de territoires en milieu humide ». L’exploitation vivait bien, partagée entre l’élevage de taureaux pour les courses et la boucherie, la riziculture sur les terres m

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