L’Heure des chiens
214 pages
Français

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L’Heure des chiens , livre ebook

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Description

L'heure des chiens... C’est l’heure d'une vieille femme qui promène sa meute dans la rue d'Hugo, un homme esquinté par une vie qu'il occupe et gagne en reconstituant des documents passés au broyeur à papier. Entre Paris, Gentilly, le Cap Nord, et le passé aboyeur de chacun, c'est aussi l'heure pour Hugo de penser à Meg, une femme qui vend des armes, évolue dans un univers ambigu de surveillance, parfois de manipulation. Que restera-t-il d'Hugo, de Meg, et de ceux qu'ils croiseront tous deux à la recherche de la vérité sur leurs sentiments ? Et à nous tous, quel sera notre reste, notre temps, à la fin de l'histoire si nous n'explorons plus cette vérité ? Même pour Hugo et Meg, êtres aux obscurités tenaces, vivre ne se résume-t-il pas qu'à des rencontres où le bonheur se tente ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 février 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334062657
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-06263-3

© Edilivre, 2016
Dédicace

À mes enfants.
 
 
Mains sur la tête et les yeux hagards, un jour, j’ai dû me rendre à l’évidence :
J’avais été ambitieux.
Réussir dans la vie, le paradoxe de cet asservissement c’est qu’à mon idée il devait m’accomplir. En fait, l’avenir radieux auquel je me vouais fut ce phare puéril qui, une fois désaffecté, réduisit sa portée dans l’indistinct de mes doutes…
Et merde, double ratage : Je n’ai rien contrôlé de mon destin ; je n’ai été qu’un velléitaire, ce qui m’atterre à quarante ans et des poussières…
J’en concluais avoir abouti au non-être de ce moi-même espéré. Ce qu’il était advenu de ma personne ne se trouvait aucune excuse.
C’est sûr, ça rend modeste ce genre de constat : un vrai retour à l’envoyeur ! Depuis, faut donc l’avouer, je l’ai mis en veilleuse.
Je me suis résigné à des boulots sans gloire, à une union libre un peu trop libre et je crois à un enfant que l’on m’attribua. Un enfant que je n’ai ni reconnu, ni vu de ma vie. De cette aventure et de cette paternité que l’on me prêta sans que je la rende, je ne tirais qu’une excuse sous forme de question sans réponse : comment savoir si l’on aime ? Comment reconnaître un enfant tandis que la vie d’adulte ne fait que de vous botter le cul et vous renvoie aux coins les plus blessants et obscurs de sa propre enfance !?
Ce que je voulais fuir ? Et où je ne suis pas revenu, car plutôt survivre partout ailleurs que me hanter ? Et bien c’est la Creuse.
Je suis né il y a quarante-trois ans dans la Creuse, en France. C’est une région où le soleil est d’une grande désinvolture, l’escargot omniprésent, la gadoue épandue sur des routes étroites entre bois, bouchures et labours. Quant aux Creusois, l’emploi est sinistré dans la Creuse, ce qui a pour corollaire des paysans impunis pour leurs épandages, des chasseurs choyés, des administrations militaires ou préfectorales bichonnées ! Je suis donc né dans cette France rurale, moribonde. Mais plus précisément dans le bâti, le non-sens même de cet ennui départementalisé : Guéret.
Guéret : ses angélus moroses, ses ronds-points plantés d’œillets d’Inde, sa garnison de dragons assoupis, sa sous-préfecture de style Viollet-le-Duc, ses notables férus d’histoire travaillant à leur propre gloire et que seules distraient les chasses : au poil, ou la plume quand elle est ouverte ; surtout à la bécasse plaisantent-ils goguenards en admirant quelque jolies jeunes femmes lâchées de Poitiers ou Châteauroux pour un week-end « campagnard » et « décontract ».
Guéret ne serait pas grand-chose de plus que rien sans son autoroute vide, sa Banque de France aux lourdes grilles, son hôpital plus compassionnel que vital, son clocher dont la ré-érection s’achève après d’âpres discussions entre contributeurs municipaux, régionaux et diocésains. Cet édifice a été – pour l’un des modérateurs au sortir de ces combats répartiteurs de dépenses – à classer monument hystérique ! Ce fut le seul éclat connu dans cette ville depuis le largage accidentel par un quadrimoteur Lancaster d’une bombe alliée qui projeta en 1944 son blast métallique contre les écuries du château de La Brosse. Guéret en fit la hune des gazettes Vichystes qui, aux abois, en écumèrent comme des renards talés dans leurs âmes noires.
Guéret c’est encore cette province aux bourgeoises anorexiques qui s’achètent leurs dessous à Paris, caquettent au téléphone dans leurs intérieurs au vide impeccable. Parfois ces dames font entre elles assaut de platitudes pour se donner un peu de cette hauteur sociale qui, par amertume ou par goût, les anime soudain sur une volée de marches paroissiales ou à celles du restaurant du Coq Hardi à deux pas de l’hôtel de ville.
Voilà donc pour mon creuset creusois.
Ma famille, elle, n’a aucun intérêt. Jusqu’à moi, de père en fils, s’est transmise la charge servile de concierge de la Banque de France. Guy-Charles, mon père, a donc été le dernier représentant d’une lignée portant chaîne d’argent depuis Napoléon Premier. Je fus l’unique enfant de ma maman, Dieu combla d’aise la famille à double titre en ce que je fus un garçon pour cause de charge éminemment masculine en la conciergerie bancaire, et en évitant le tracas de « caser les enfants et disperser l’héritage », selon l’expression de mon père. Monique fut une maman à éclipses, s’ensevelissant dans un foyer aux cendres amoncelées sur ses cheveux noués que parfois l’enfant pas sage que j’étais ébouriffait d’un rire partagé avec elle. Elle était une femme triste soudainement espiègle.
En somme, cette famille n’est qu’affleurement même si je sais que ses fluides gouvernent encore mes caps en profondeur.
Il me faut simplement garder en mémoire qu’elle ne fut rien de bon, ni de mauvais. Une famille qui fut la bonne épouse de cette France marécageuse, dont la petite histoire s’entendait à parfois s’agripper à la grande pour se donner l’illusion d’avoir eu un instant la puissance et les rêves en partage avec ce peuple tranquille quand il devient empereur ou gardien de phare du monde, une fois tous les cent ans ! De quoi s’emmerder entre-temps.
Autant dire que de tels moments cela ne se rate pas ; sauf si l’on tient à rester sur une route jalonnée de langueur, tirée toute droite, un peu comme celle des bois de Saint Fiel : sorte d’épée posée là par un bretteur défait, lame à terre dont l’acier rouille sous les feuilles mortes qui en émoussent à l’automne le fil des accotements incertains.
J’ai fait du chemin depuis Guéret. Cela revient à dire que l’extraction de cette glaise m’a coûté tant d’efforts, qu’à bout de souffle, c’est comme si j’avais foiré ma montée à Paris juste aux pieds de la capitale, sous les regards verdâtres des anges de l’église dominant la porte de Gentilly. Jeune, afin d’échapper à cet ennui, je m’étais pourtant imaginé en aventurier. Je sillonnais Paris, cet océan d’ardoises, de pierre, de zinc et de vacheries, et de gloires. Mais au final je ne me retrouvais que batelier sur un bras mort, en marin d’eau douce…
Et c’est à Gentilly que ce matin de mai, un mois de mai pourri, je sors entre deux averses dans un trois quart de marin, en tongs, pour aller attraper une baguette pas trop cuite à la boulangerie de la rue Karl Marx. Sous le poids de pluies insistantes, les fleurs de lilas ploient comme des arcs par-dessus les murets des pavillons qui jalonnent cette rue étroite, vide de tout habitant, ou presque.
Là, du côté impair, je fais une rencontre. Elle surgit d’un portillon métallique qui occulte un jardinet hirsute flanquant une maisonnette. C’est une femme âgée, avec un fichu en plastique transparent, une gabardine que bombe sa silhouette ronde. Elle présente un visage aux traits jaunis et fripés figurant une pomme qui aurait passé tout l’hiver sur une clayette à se rétracter autour d’yeux bruns, luisants et en forme de petites amendes renflées comme des pépins.
La femme âgée, massive et impassible se fait haler par une meute de chiens qui n’en peuvent plus d’attendre la promenade du matin. Je compte sept chiens de toutes tailles et races. Un peu craintif, les chiens m’ont toujours fichu la trouille, je reste pétrifié. Elle, la Dame aux Chiens, secouée, tirée, tient ferme les sept laisses regroupées en son poing serré. Elle augmente encore la force de son contrôle en basculant son corps, lui imprimant une oscillation lourde qui forme un contrepoids à la rogne désordonnée des chiens. D’une voix haute perchée, sorte de mésange picorant les pépins de ses yeux, elle me salue :
– Bonjour Monsieur.
– Bonjour Madame, quel sale temps !
– Cela ne fait aucun doute Monsieur. Puis elle ajoute d’une voix plus profonde et comme si cela lui échappait : Vous êtes encore jeune. Vous avez le temps de rattraper tout ça !
– … Madame, rattraper quoi !
– Vous.
– Quoi moi ?
– Vous-même, vous rattraper vous-même, avant que vous ne disparaissiez de votre propre horizon !
– Mais en quoi cela vous concerne, en quoi vous auriez raison ?
– Je le sais, c’est tout… Elle marque une pose, se concentrant sur les chiens qui jappent et dont elle entreprend de démêler leurs laisses qu’ils avaient enroulées au pied d’un des Ginkgo de la rue et les strangulaient comme de fins serpents de cuir…
Je sais que vous pouvez le faire, reprend-t-elle avec une pointe de fierté, moi, à mon âge je peux bien maîtriser sept chiens ! Alors vous pouvez bien vous reprendre un peu en main !
– Mais, demandais-je troublé par sa perspicacité impromptue, qu’est-ce qui vous fait dire ça, je vais très bien ! Je sais parfaitement où j’en suis…
– Pas avec des tongs aux pieds un dimanche en fin de matinée, corrige-t-elle soudainement irritée. Pas avec une mine pâlotte comme la vôtre, mal taillée, une mine qui aurait comme cassé sur vos nuits blanches.
… En fait voilà, -ajoute la Dame aux chiens – péremptoire comme trouvant sa conclusion : votre vie doit être blanche, d’un blanc sale comme les lanières de vos tongs… »
Je reste abasourdi. Jusqu’alors silencieux, les chiens se mettent à aboyer, à s’en décrocher la gueule.
La vieille femme laisse un peu filer de longueur de laisse et se met à marcher sur la chaussée, comme tirée sur un traîneau par sa meute de clebs : bas rouges, bergers, griffons, dogues, je ne sais quoi. Tandis que d’un coup elle lâche tous les chiens qui hurlent, jappent et détalent tout à leur dinguerie droit dans la rue. Se retournant un instant, elle se contente de me crier de loin :
– Au revoir Monsieur.
– Au revoir Madame », dis-je à voix basse, machinalement.
Et c’est là ma conclusion. Je me trouve pitoyable.
Les chiens aboient encore longtemps dans ma tête.
Je pense comme on s’ébro

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