Le Bal de Vienne
216 pages
Français

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Description

Les personnages imaginaires du Bal de Vienne traversent des époques et vivent des évènements sur fond de lutte entre les forces de régression et les forces de progrès. Depuis l'affaire Dreyfus, parfois invisible, parfois triomphante, l'extrême droite fascisante n'a jamais disparu de la société française, la filiation de l'ambitieuse Perrine avec son grand-père Joseph Lemaine, le milicien, en illustre la permanence toujours renouvelée. Tandis que Lou, aux prises avec la vie moderne, poursuit vainement l'idéal humaniste de Simon Leval, son père, ancien porteur de valises, son frère jumeau, Axel, se laisse séduire par les sirènes du fascisme. Les éléments d'une tragédie se mettent en place, sera-t-elle un grain de poussière dans le cours des choses ou un point final salvateur ? Fantasmes et réalité s'entremêlent pour donner vie à une satire acide mais humaine, polémique mais prenante de bout en bout. L'écriture agréablement maîtrisée et une galerie de personnages aussi subtile qu'évocatrice achèvent d'en faire une parfaite réussite.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 novembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342058406
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0064€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Bal de Vienne
Michèle Sis
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Le Bal de Vienne
 
… Non, non ma fille tu n’iras pas danser,   Non, non ma fille tu n’iras pas danser…
Chapitre 1. Rencontre
J’ai posé le journal, je ne connaîtrai jamais la vérité et, malgré moi, j’aurai toujours un doute. C’est le seul fait de douter, si peu que ce soit, qui me ronge. Je n’avais plus beaucoup de certitudes mais désormais je suis fissurée comme un vieux monastère. C’est certainement ça, vieillir.
J’avais cru me libérer mais j’étais vite retombée dans les petits bonheurs égoïstes, les petites luttes au quotidien, les soucis au jour le jour… Je n’ai pas su lutter pour lui, contre lui, avec lui… Maintenant il est parti… Où ? Jusqu’à quand ? Je ne le reverrai peut-être jamais… J’ai peur.
Le hasard m’a placée au plus désastreux carrefour de sa vie. Est-ce que j’aurais pu changer les choses ?
 
Mon thé est froid, j’ai dû somnoler, et, entre veille et sommeil, je viens de remonter le temps. J’étais sur la place, c’était l’année du bac.
Il faut que je mette de l’ordre dans ce chaos, que je retrouve le fil des événements, si fil il y a, que j’en finisse avec cette confusion. Je n’ai rien pu empêcher, je n’ai rien su empêcher.
J’ai pris un stylo, j’écris.

J’aimais la feria mais à la condition hypocrite d’oublier la mort mise en scène des bovins. Autour de moi c’était pourtant ça qui les faisait courir.
L’après-midi saturée de soleil touchait à sa fin. Depuis la veille la ville était envahie de touristes et d’afficionados venus d’ailleurs. Je traversais la place et je devais zigzaguer entre les tables et les chaises des terrasses de restaurant qui l’occupaient tout entière. La place bourdonnait et par à-coups on entendait grésiller des bribes de pasodobles. Gagnée par la fébrilité ambiante, j’étais tout à la fois joyeuse et de mauvaise humeur, heureuse de la fête, en colère parce que le mercantilisme me volait la place et que des vaches allaient mourir pour rien. Je chantonnais – Les taureaux s’ennuient le dimanche quand il s’agit de mourir pour nous…
 
Nous avions une dizaine d’années mon frère et moi, quand, par un dimanche flamboyant de chaleur et de soleil, avec nos parents, nous étions venus nous gorger de Palue, ma ville bien aimée. C’était un jour de corrida, mais on l’ignorait. Nous nous promenions autour des arènes enfiévrées. On entendait hurler le public invisible, par intervalles une trompette vrillait l’air de barrissements frénétiques et ça nous donnait envie de danser et de sauter partout, à Axel et à moi. Sourd aux vociférations et aux arpèges, Simon, mon père, se livrait tout entier et une fois de plus à son admiration enthousiaste pour les antiques arcades de pierre blanche qui avaient triomphé du temps. Nous poursuivions le tour de l’enceinte vénérable dans un quasi-recueillement, lorsqu’on avait vu en jaillir dans un bruit de ferraille deux chevaux qui traînaient la dépouille fumante et saignante d’un taureau peut-être encore à l’agonie. Des gardians boueux les guidaient à coups de cris et de piques. Dans cette sortie hors la scène, cette boucherie dérobée, cette chair sanguinolente, il y avait quelque chose de furtif, de honteux, que la bruyante excitation de la foule dissimulée par les hauts murs circulaires soulignait scandaleusement. Puis, les arènes avaient commencé à vomir leur flux de spectateurs satisfaits, et nous les avions contemplés curieusement, tout pareils à nous et pourtant différents, des hommes, des femmes, des jeunes, des enfants, des vieux, des vieilles. Dans la lumière implacable, la beauté barbare de la scène me fascinait douloureusement avec son mouvement ondulant qui descendait les larges marches d’une poussée irrésistible et bruyante. Débauche de couleurs, les rouges surtout. La foule dégageait une odeur de sang, du moins, je l’avais perçu ainsi et j’avais eu une envie furieuse de les insulter tous, de leur crever la peau avec des banderilles, juste pour leur faire voir…
 
Le jour de la fameuse rencontre, tout au plaisir attendu, j’essayais d’oublier la violence des mises à mort qui se préparaient, et, en évitant de regarder autour de moi je continuais à chantonner. C’était ma façon d’être en accord avec moi-même et de me démarquer des aficionados.
 
J’avais dix-sept ans. J’adorais Palue en fête, les bodegas, les bandas, je me réjouissais à l’avance du spectacle des petits taureaux. Les manadiers les enlèvent de leurs marais dans des bétaillères et, après des heures passées, certes serrés et assoiffés dans les camions, ils sont rituellement lâchés en ville sur la grande avenue, beuglant et énervés. Des gardians à cheval les encadrent étroitement tandis qu’ils galopent derrière le simbèu qui en a vu d’autres. Alors, les jeux commencent. C’est à celui qui attrapera un taureau par la queue ou les cornes, ils s’y agrippent, ils mesurent leur force à celle de la bête. Le public allègre attend qu’un animal se dégage, qu’il fonce sur les spectateurs massés derrière les frêles barrières provisoires des boulevards, qu’il se fraie un passage vers la liberté, qu’il se rue dans les quartiers où parfois il se perd malgré la meute de garçons lancés à sa poursuite. D’autres jeux se déroulent dans les arènes éphémères montées un peu partout, ou dans des rues bouclées pour la circonstance. Cornes pointées, sabot nerveux grattant le sol, les taurillons affrontent les amateurs un peu fous qui les défient, et ils les envoient voler par-dessus les barricades. Au milieu des cris et des rires, la foule est emportée par un élan joyeux, plus encore si l’animal prend goût à cabotiner. Moi, ça, j’adorais. Car, enfin, abrivado, encierro, ou capelado, c’est un jeu, on ne cherche pas alors à communier collectivement dans cet archaïsme décadent et sanglant, jouir de voir crever une vache à défaut de voir crever le torero.
 
Je poursuivais mon chemin tête baissée, toujours chantonnant – Ah, qui nous dira à quoi ça pense un taureau dont l’œil se lève et qui découvre les cornes d … Distraite, j’ai alors heurté une passante…
 
— Excusez-m…
… et, en levant la tête j’ai reconnu le visage crispé de la fille agacée d’avoir été bousculée.
 
— Perrine ?
Elle m’a répondu par un regard glacial. Souriante, j’ai insisté :
 
— Lou ! Je suis Lou ! Tu ne me reconnais pas ?
L’infime fraction de seconde qui a suivi a suspendu le temps tandis que me venait une intuition, l’intuition ténue d’une erreur, non pas d’identification, au contraire, c’était bien elle, c’était Perrine Lemaine. Mais cette allure, cette dureté… J’aurais voulu prétexter une méprise et passer mon chemin, mais il était trop tard.
 
— Mais oui, bien sûr ! tu es Lou, la petite Lou !!!
Le temps s’était remis à couler aux bruits grêles des couverts que les serveurs entrechoquaient en les plaçant hâtivement sur les tables. Comme un écho venu du passé, il me semble entendre encore leur tintement dans la rumeur confuse tandis que je ressentais tout l’ennui de cette rencontre. Rien dans mon vis-à-vis ne me donnait envie de poursuivre, ni sa dégaine, ni son indéfinissable vulgarité, ni l’hostilité de son premier regard hors de proportion avec la légère bousculade somme toute inévitable dans cette cohue. Je maudis encore aujourd’hui mon impulsivité, j’ai pensé – Elle, je suis sûre qu’elle vient pour la corrida ! Elle m’a solidement empoignée et elle m’a asséné sur les joues deux coups de pommettes osseuses.
 
— On s’était quand même bien amusé en cinquième, non ?
Je la regardais, ne pouvant pas croire qu’elle évoquait cet épisode nauséabond de notre enfance. Pourtant si, c’était bien ça, son sourire goguenard et son regard brillant me rappelaient soudain les raisons concrètes de mon antipathie. J’avais été, en quelque sorte, la complice involontaire d’une affaire tortueuse qu’elle avait montée et menée toute seule.
Une campagne de lettres anonymes avait défrayé la chronique du collège quelques mois durant. Plusieurs professeurs en avaient été les cibles avant que le corbeau ne s’acharne sur la plus fragile d’entre eux qui en avait fait une dépression nerveuse. Les premières lettres reprenaient les rumeurs de coucheries et de déviances diverses, dénonçaient les incompétences et les travers des victimes, les dernières étaient devenues menaçantes. L’auteur, probablement inspiré par une sombre affaire d’incendies criminels en cours dans une ville voisine, avait même menacé de mettre le feu au collège. Les adultes ciblés recevaient le courrier chez eux mais les élèves en prenaient connaissance par des photocopies disséminées un peu partout sous le préau, dans la cour, dans les couloirs. Le proviseur, les enseignants et les gendarmes y avaient décelé des tournures qui dénonçaient un auteur jeune en dépit d’une écriture étonnamment maîtrisée, efficace et concise. Ou peut-être était-ce un adulte qui brouillait ainsi la piste ? Il n’y eut pas beaucoup de lettres, le génie du corbeau avait consisté à laisser croire que la campagne était terminée puis à réattaquer au moment où personne n’y pensait plus. C’était la guerre des nerfs et les imaginations encore enfantines poussaient certains collégiens à l’hystérie. Malgré les interrogatoires et l’intervention de la gendarmerie, malgré la mobilisation des personnels et celle, au début ludique, des élèves, l’auteur des lettres n’avait jamais été officiellement identifié. D’abord partagés, les collégiens eux-mêmes s’étaient petit à petit retournés contre l’accusateur anonyme dont la lâc

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