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Description
Informations
Publié par | Les Éditions du Net |
Date de parution | 05 novembre 2013 |
Nombre de lectures | 3 |
EAN13 | 9782312017037 |
Langue | Français |
Extrait
Le billard à trois bandes
Christian Jalcreste
Le billard à trois bandes
Mémoires d’un espion débutant
LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-01703-7
Prologue
Le petit ULM glisse lentement dans la nuit noire, en vol plané, moteur coupé depuis un long moment. Le pilote, assis à l’avant, scrute le sol ; mais ni lui ni son passager ne voient rien. C’est la nouvelle lune et lorsque l’appareil a décollé, il y a un peu plus d’une heure, le ciel était chargé de nuages.
L’ultra léger vole quelque part entre Fulda et Gelnhausen, entre RDA {1} et RFA {2} . En un temps où l’Allemagne était divisée en Allemagne de l’Est et Allemagne de l’Ouest. Si les garde-frontières est-allemands détectent l’appareil, on ne donnera pas cher de la peau des deux fugitifs. D’autant que l’alerte a dû être donnée depuis le début de la soirée.
Le passager a envie de vomir. Pour la seconde fois en une semaine, il vient de poignarder un homme.
Le premier, c’était un officier français, un capitaine instructeur du service national. Il l’a tué accidentellement lundi, d’un coup de couteau en plein cœur au cours d’un exercice de close-combat.
Le second, c’est un policier est-allemand, un VoPo {3} , qu’il vient de poignarder ce vendredi soir devant l’hôpital de Dresde. Peut-être gravement, il ne sait pas. Il a lancé le poignard, à l’instinct, en direction du VoPo au moment où ce dernier s’apprêtait à dégainer son pistolet de son étui. La lame s’est plantée jusqu’à la garde au creux de l’épaule droite, là où le bras rejoint le torse. Le VoPo a poussé un petit cri, et s’est affaissé en lâchant son arme, portant presque machinalement la main gauche sur le poignard pour tenter de le retirer, mais sans aller jusqu’au bout de son geste, réalisant que si une artère était touchée, il risquait de se tuer lui-même en retirant la lame. La qualité de ce lancer est le fruit du hasard, car le passager n’a pas reçu une formation de commando au sein de l’Armée Française.
Le petit appareil poursuit sa descente, en douceur. Ses deux occupants ne sont pas ballotés, l’air est calme, les couches sont laminaires. Le passager, qui n’est pas familier avec ce type d’aéronef, scrute l’attache qui relie la voilure à la nacelle qui supporte le berceau moteur et les deux sièges où ils sont assis, le pilote et lui, en tandem, le pilote devant. Il trouve cette attache bien fragile. Si elle lâche, ils vont tomber comme une pierre. Tout à l’heure, il a rapidement observé l’ULM avant de s’asseoir pour s’envoler. Brrr… il en a eu froid dans le dos. Le frêle appareil est fait de bric et de broc. La voilure est une voile d’aile delta. La nacelle est bricolée avec quelques tubes d’aluminium pour le berceau moteur, un peu de bois et de contreplaqué pour la tige qui supporte les deux sièges. Quant aux sièges eux-mêmes, c’est ce qui effraie le plus le passager : deux petites coques de plastique léger, récupérées sur des meubles de jardin au rabais. Une maigre ceinture ventrale les retient sur ces sièges, comme les ceintures auxquelles ont droit les passagers sur les vols commerciaux en avion. Ce n’est pas un harnais. Et bien évidemment il n’y a aucun parachute. Il fallait gagner du poids pour permettre au moteur, faiblard, de faire décoller l’ensemble. C’est vrai que si le pilote a l’air malingre, le passager est un athlète qui dépasse le mètre quatre-vingt et qui pèse ses quatre-vingt kilogrammes à poil.
Le passager a fait la connaissance du pilote juste avant le décollage. On l’a amené au terrain d’envol, une simple prairie, caché dans un camion de légumes qui attendait à proximité de l’hôpital qu’il en ressorte, une fois sa mission accomplie. Le pilote est un allemand de l’Est, dont on lui a expliqué qu’il fait ce type de vol trois ou quatre fois par an. Pour sortir d’Allemagne de l’Est un candidat au transfuge, ou dans le cas présent un espion étranger dont la tête va être mise à prix. Et ce pilote retourne à chaque fois de l’autre côté du rideau de fer chargé d’objets et d’ustensiles de première nécessité devenus introuvables ou hors de prix là-bas. Un de ces héros anonymes et discrets {4} . Comme ceux qui ont pris en charge le passager avant et après sa mission.
Ils ont décollé assez loin de la frontière, le passager ne saurait dire d’où exactement, car c’est la première fois de sa vie qu’il se trouve de l’autre côté du rideau de fer. Ce qu’il sait, c’est que depuis hier soir à Dresde, après qu’il a été obligé de lancer le couteau, ils ont roulé en direction de l’ouest pendant plus de quatre heures. Peut-être cinq ou six même. Epuisé nerveusement, il a un peu somnolé dans les légumes, la tête sur une citrouille. Au réveil, il s’est presque étonné de ne pas voir la tête chenue de Louis de Funès à ses côtés, car il se serait cru dans la Grande Vadrouille.
Il se sait pas l’heure qu’il est, il n’a pas de montre. Rien qui puisse permettre de l’identifier au cas où… Au cas où il serait tué, ou pire au cas où il tomberait entre les mains de la Stasi. Mais dans ce dernier cas, est-il bien utile de ne pas être identifiable ? La réputation des sévices que ce service fait infliger à ses prisonniers est telle que toutes les langues se délient. Autant parler que souffrir inutilement. Car on finit toujours par parler. Les agents de la Stasi sont de redoutables spécialistes, capables de maintenir un sujet des jours et des jours entre la vie et la mort, lui faisant endurer les pires souffrances, tout en évitant de le tuer. Jusqu’à ce qu’il parle enfin.
Avant le décollage, on lui a tendu un gros pull ; il n’a pas voulu l’enfiler, cette nuit de fin d’été lui semblait douce. Le pilote a pris beaucoup d’altitude avant de couper le moteur. Non seulement le passager grelotte de froid maintenant, mais en plus il a la respiration haletante. Il connaît bien cette sensation, il l’a souvent rencontrée en pratiquant le ski hors-piste à La Meije {5} . Cette fois, il a l’impression d’être plus haut encore. Peut-être sont-ils montés jusqu’à quatre mille mètres ou plus. Il a gardé le pull sur ses genoux, il essaye de l’enfiler comme il peut. Le pilote a l’air de s’en amuser.
Le passager, qui a quelques vagues notions de pilotage, et surtout une culture scientifique d’ingénieur, a compris que la finesse {6} de l’appareil ne doit pas être celle d’un planeur. La finesse doit au plus approcher dix, quand les meilleurs planeurs atteignent vingt. C'est-à-dire que, en théorie, si l’appareil est à mille mètres d’altitude il peut planer sur une longueur de dix mille mètres avant de retoucher terre. Ceci est très théorique, car dans la pratique de nombreux éléments naturels vont jouer et faire descendre l’appareil plus vite, ou au contraire s’il rencontre des courants ascendants le faire remonter. Le passager calcule que si le pilote a pris quatre mille mètres d’altitude avant de couper le moteur, c’est théoriquement pour tenter d’atteindre un point situé quarante kilomètres plus loin … surtout de l’autre côté de la frontière. Et il imagine bien que le pilote a dû prendre ses précautions pour ne pas passer au-dessus des barbelés en rase-motte, mais au contraire avec une confortable marge de sécurité. Le seul point qui le rassure un peu, c’est que ce pilote fait ce trajet plusieurs fois par an d’après ce qu’on lui a expliqué. Si le pilote est encore là, vivant, c’est qu’à chaque fois il en est revenu et que cela s’était bien passé. Du moins c’est ce que se dit le passager, en croisant les doigts très très fort. Il ne sait pas si sa foi protestante est la bonne, si tant est qu’il y ait une « bonne foi pour toutes », mais il adresse rapidement une courte prière à celui qui est là-haut pour qu’il ne les laisse pas tomber !
D’un coup, le pilote incline brutalement l’appareil sur la gauche. Le passager se cramponne au siège, mouvement réflexe idiot car complètement inutile. S’ils doivent se casser la gu…, ce n’est pas de se cramponner ainsi qui changera grand-chose. Et comme l’a dit depuis un humoriste {7} dans un de ses sketchs, on n’a jamais vu quelqu’un de rescapé d’un accident d’avion parce qu’il ava