Le carnaval du mystère
193 pages
Français

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Description

Maurice Renard (1875-1939)



"J’avais neuf ans lorsque ma mère mourut. Une pleurésie l’emporta.


Elle était jeune et très belle. Je l’aimais passionnément. Cet amour éperdu, inquiet, farouche, emplissait ma vie. La mort de ma mère faillit me tuer. Je restai plusieurs semaines en danger, brûlant de fièvre et délirant, coiffé de glace.


Un jour, pourtant, mes yeux cessèrent de plonger dans le monde des fantômes ; ils se rouvrirent à la réalité. J’aperçus, penché sur moi, le visage anxieux de mon père.


Nous vécûmes durant plusieurs mois dans une étroite intimité, serrés l’un contre l’autre. La mémoire de Maman régnait sur nous comme un charme funèbre et bien-aimé. Mon père m’adorait. Il faisait des prodiges de tendresse pour tâcher de remplacer auprès de moi celle qui n’était plus. Je sais d’ailleurs qu’à cette époque ma santé lui donnait de cruelles inquiétudes. Les médecins avaient parlé d’une rechute possible, qu’il fallait éviter à tout prix. Et sans doute mon père me chérissait-il non seulement de tout son immense amour paternel, mais encore de tous les regrets que lui laissait son malheur. J’étais, à ses yeux, un portrait de la morte, son image imparfaite mais sensible, quelque chose d’elle qui continuait ; j’étais aussi l’incarnation présente d’une étreinte passée, un baiser fait chair et resté vivant. Loin de moi la pensée d’avilir le moins du monde l’affection forcenée dont il m’enveloppait ; mais, en quelque sorte, je faisais partie des reliques qu’il conservait pieusement : photographies, rubans, fleurs sèches et robes, triste musée commémoratif dont j’étais, pour lui, la pièce inestimable."



Recueil de 32 contes aux frontières de l'étrange par l'auteur de "Les mains d'Orlac".

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374639505
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le carnaval du mystère
 
 
Maurice Renard
 
 
Août 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-950-5
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 948
La main morte
 
J’avais neuf ans lorsque ma mère mourut. Une pleurésie l’emporta.
Elle était jeune et très belle. Je l’aimais passionnément. Cet amour éperdu, inquiet, farouche, emplissait ma vie. La mort de ma mère faillit me tuer. Je restai plusieurs semaines en danger, brûlant de fièvre et délirant, coiffé de glace.
Un jour, pourtant, mes yeux cessèrent de plonger dans le monde des fantômes ; ils se rouvrirent à la réalité. J’aperçus, penché sur moi, le visage anxieux de mon père.
Nous vécûmes durant plusieurs mois dans une étroite intimité, serrés l’un contre l’autre. La mémoire de Maman régnait sur nous comme un charme funèbre et bien-aimé. Mon père m’adorait. Il faisait des prodiges de tendresse pour tâcher de remplacer auprès de moi celle qui n’était plus. Je sais d’ailleurs qu’à cette époque ma santé lui donnait de cruelles inquiétudes. Les médecins avaient parlé d’une rechute possible, qu’il fallait éviter à tout prix. Et sans doute mon père me chérissait-il non seulement de tout son immense amour paternel, mais encore de tous les regrets que lui laissait son malheur. J’étais, à ses yeux, un portrait de la morte, son image imparfaite mais sensible, quelque chose d’elle qui continuait ; j’étais aussi l’incarnation présente d’une étreinte passée, un baiser fait chair et resté vivant. Loin de moi la pensée d’avilir le moins du monde l’affection forcenée dont il m’enveloppait ; mais, en quelque sorte, je faisais partie des reliques qu’il conservait pieusement : photographies, rubans, fleurs sèches et robes, triste musée commémoratif dont j’étais, pour lui, la pièce inestimable.
Cependant, mon père n’avait pas trente-cinq ans. Il était robuste et plein de fougue. Son tempérament le portait à la joie, sa force à l’activité. Voyant – ou croyant voir – mon chagrin s’assoupir, il prêta l’oreille aux appels de la vie. Peu à peu, doucement et sans heurt, ainsi qu’on désenlace l’enfant qui dort enfin, il reprit ses habitudes et d’abord ses travaux.
C’est alors que je découvris la main morte, qui, de tous mes souvenirs d’enfance, est à la fois le plus terrible et le plus merveilleux.
Petit garçon vêtu de noir, maigre et rêveur, j’errais souvent à ma guise dans la maison silencieuse que mon imagination sans frein repeuplait de maternités. Je recherchais avec une sombre frénésie tout ce qui pouvait évoquer la présence illusoire de ma mère. Ainsi, trompant la surveillance distraite des bonnes, il arriva que je m’introduisis dans la chambre de mon père et que j’ouvris le tiroir aux reliques, dont l’existence m’était inconnue.
Une main blanche attira mon attention. Je me rappelle le bouleversement profond, le tumulte violent que je ressentis, à la vue de cette main coupée, blafarde, qui était celle de ma divine, de mon adorable maman.
Je n’étais qu’un enfant. J’ignorais ce que c’est qu’un plâtre. Il m’était impossible de comprendre que mon père avait fait mouler, sur le lit mortuaire, la main de sa compagne. Cet objet mystérieux me glaça d’épouvante et de volupté. Une terreur étrange, incomparable, faisait battre mon cœur à grands coups. Mille émotions diverses bousculaient ma pensée. J’aurais été fort incapable d’analyser ce chaos pathétique, où je démêle à présent tout ce que peuvent engendrer dans un esprit impressionnable les idées enchevêtrées de cadavre, de mutilation, de revenants, de pièce anatomique, de survie, de cimetière et d’au-delà.
Longuement je considérai, sans y toucher, la chose sépulcrale, – la chose de cercueil et de caveau, – doutant qu’elle fût là, chez nous, dans un tiroir, parmi des boucles blondes, des dentelles, des gants qu’elle avait épousés, dans ces parfums de femme déjà tout altérés par des senteurs de vieillissement, de vitrine et de poussière. Innocent que j’étais, sa lividité me semblait la couleur même de la mort, sinon la teinte des apparitions. Qu’était-ce que cela ? Était-ce embaumé, préparé, pétrifié ? Cela tenait-il du spectre ?... Non, je n’aurais pas touché cette main-là pour un empire ; et mon effroi se doublait confusément d’une poignante tristesse : celle d’appréhender le contact de ces doigts fuselés dont les caresses m’avaient ouvert, pourtant, le paradis des bonheurs enfantins.
J’étais hypnotisé par cette ombre blanche et matérielle qui éternisait la main exsangue de ma douce maman... Enfin, quelque alerte me fit quitter la chambre précipitamment.
Mais, à dater de ce jour, il y eut dans la maison quelque chose de prodigieux. Il me sembla qu’un peu de ma mère était inhumé dans la chambre de mon père, ou plutôt que sa main, réfugiée là, lui survivait, d’une façon larvaire et inexplicable.
J’avais peur. Le soir, dans ma couchette, quand mon père s’était retiré après m’avoir souhaité bonne nuit, des sueurs froides m’inondaient, à la pensée de dormir si près de la main. Celui qui partageait avec elle la solitude des ténèbres me faisait l’effet d’un héros. Faut-il que l’horreur de la mort soit puissante, pour transformer en épouvantail ce qui fut l’extase de nos sens !
Jamais plus je ne retrouvai l’audace de rouvrir le tiroir tombal qui communiquait avec le pays des trépassés. Mais, souvent, j’allai jusqu’à la porte de la chambre, et, sans oser même l’entre-bâiller, j’écoutai le silence, indéfiniment, dans l’espoir terrifié de percevoir, par delà cette porte, quelque frisselis d’outre-tombe, comme celui d’une araignée livide et monstrueuse en marche vers l’épouvante des petits enfants... Maman m’avait tant aimé ! Pouvait-elle ne pas venir à moi, s’il restait d’elle quoi que ce fût qui pût venir vers quelqu’un ?
Dix-huit mois s’écoulèrent. Mon père était redevenu un homme parmi les hommes. Ses amis avaient reparu. La maison s’animait de leurs visites, parfois bruyantes. Le salon cessa d’être un lieu désolé. De loin en loin, mon père invitait à dîner quelques intimes. Il eut un vêtement rayé. Je me rappelle la première cravate de couleur qu’il remit. Je me rappelle surtout l’après-midi lourde de silence, où quelqu’un, en attendant sa rentrée, prit la liberté d’ouvrir le piano et de jouer.
J’étais au troisième étage, dans la salle d’études, courbé sur un devoir. Le calme avait tant d’ampleur qu’il semblait être une espèce de nuit sans obscurité. Je n’entendais que ma plume grincer. Et voilà qu’une phrase musicale monta vers moi, à travers la solitude des chambres. Le piano de maman !... Résonnait-il seulement dans mon cerveau ? N’était-ce là qu’un souvenir hallucinant ?... Mais, tout de suite, je pensai : « La main ! » Et je me figurai, avec un luxe inouï d’inventions terrifiques, ce que j’eusse sans doute aperçu, caché, par exemple, derrière un rideau : le piano, le tabouret vide et la main agile courant sur le clavier... Cela ne dura que le temps d’en frissonner. La musique affolante se tut soudain. On ferma des portes, en bas. La voix de mon père m’appela...
Je le trouvai dans l’escalier, qu’il montait à grandes enjambées, ayant encore la canne sous le bras et le chapeau sur la tête. Il y avait dans ses yeux une inquiétude que je connaissais bien.
Il me regarda vivement, de toute sa tendresse, et sourit en me voyant sourire.
–  Me voilà, petit ! Ça va ?... Je te reverrai tout à l’heure. Je suis au salon avec M. B...
Aucune allusion au piano. Il n’était pas de précautions que mon père ne prît pour m’épargner l’ombre d’un émoi, d’une frayeur, d’un malaise quelconque.
C’est pourquoi je ne savais pas qu’il sortît, le soir, de temps en temps, pour aller au théâtre et même chez des amis, où l’on dansait. Il eût craint de raviver ma grande peine, en me montrant que les plaisirs l’avaient reconquis et q

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