Maestria
138 pages
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Description

"LIMA 2.0" était toute une série de plans fixes, en grande partie en plongée totale ou en contre plongée. Dans le genre assez bien ficelé. Décors criards à l'esthétique soignée. Des corps en mouvement. Des corps aux gestes latents, comprimés, à l'apparence tout à fait normale et pourtant, il y avait quelque chose d'autre qui dominait. Quelque chose de déguisé, d'illicite, qui se reflétait dans l'œuvre entière. Quelque chose d'impur, de calomnieux, de prohibé. Les séquences se hachuraient dans une lueur stroboscopique. Des coupes franches étaient utilisées pour sublimer des corps vulnérables que l'on torturait, que l'on éviscérait, que l'on démembrait. Des bourreaux invisibles par la déformation de l'image prenaient leur temps et leur rôle à cœur.


Le son hors champ était lui aussi terrifiant, hypnotique. Distordu par des cris empreints de folie et des murmures en boucle tels des litanies.


Rien n'était puéril. Tout était abouti. La séance vorace. Expérimentale. Contemplative. « LIMA 2.0 » était dans la lignée direct des snuff movies encensés par des milliers de personnes sur Terre. Un patchwork de sons caustiques, d'images féroces et de lumière écrasante. Un nouveau monde, un monde de découvertes. Un monde dépouillé de toutes informations trop commerciales et édulcorées. Un monde réel. Un monde interdit, qui avait été réalisé par un homme au cerveau assurément carbonisé.


Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782924550502
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Maestria
Loana Hoarau
© ÉLP éditeur, 2019 www.elpediteur.com ecrirelirepenser@gmail.com
ISBN : 978-2-924550-50-2
Conception graphique : Allan E. Berger
Image de la couverture : © David Heinis, 2017
« Il n’y a pas de maîtrise à la fois plus grande et plus humble que celle que l’on exerce sur soi. »
Léonard de Vinci
PREMIÈRE PARTIE « Détruire »
UN.
« C'est Léandre Lacroix qui a eu le rôle. »
Les mains de Louis tremblaient encore. D'une fièvre absolue. La fièvre de la haine arrivant comme une bouffée d'air acide. Il sentait son flux sanguin battre énergiquement sa gorge, son cœur, ses poignets. Une colère intruse parcourant tout son corps. Ses cris muets et sourds éparpillés aux quatre coins de la pièce. Son silence qui cache tout. Rongé par ce besoin vital d e l'abhorrer. Il n'arrêtait plus d'y penser, à cette défaite, même quelques heures après l'annonce dans le large couloir aux couleurs criardes de l'agence. Dans la rue bond ée, dans le métro, station Cambronne, qui le ramenait chez lui. Enfoncé dans s on siège, à la dérive, il n'avait plus que le visage de son agent face à lui. Cette face i mpersonnelle qui déversait ces mots décourageants.
« C'est Léandre Lacroix qui a eu le rôle. »
Pourtant, Louis Brunel avait bien la tête de l'empl oi pour les casteurs. Une silhouette calibrée, d'une belle homogénéité. De grands yeux b leu vif qui tiraient sur un brun tendre enfoncés dans leurs orbites, ce qui lui donn ait un air angélique et mystérieux. Chevelure boucle d'or à peine repoussée derrière le s oreilles. Un mètre quatre-vingt-cinq et l'allure impeccable d'un modèle de haut niv eau. Vingt-et-un printemps au compteur. Assez de magnétisme pour attirer à lui to us les regards.
Il avait vraiment tout ce qu'il fallait pour plaire et réussir ; sauf une chose essentielle à leurs yeux. Le nom de son rival attitré. Ce Léand re Lacroix. Léandre Lacroix. Encore lui. C'était son point de départ. L'élément déclenc heur qui engloutissait toujours tout. Louis l'avait vu des centaines de fois lui voler le rôle qui lui était dû. Sans lui, Louis aurait été au top de sa carrière. Dans la lumière v ainqueresse. Sous les projecteurs. Sous les flashs crépitants. Devant les caméras. Mêm e dans un petit rôle.
En plus de ses déjà très nombreux rôles principaux ou secondaires dans quelques publicités et films à plus ou moins gros budget, Lé andre Lacroix avait été choisi pour jouer le protagoniste dans «Les perturbateurs» du très populaire réalisateur Laurent Riva. Avec à la clé une trilogie découlant de ce fi lm, déjà prévue et scénarisée, cela incluait un contrat étalé sur un peu plus de quatre ans pour l'acteur principal.
Louis avait travaillé avec acharnement, sans improv isation pour être absolument prêt le jour de l'audition. Des semaines entières de pré paration furent consacrées pour pouvoir espérer obtenir ce rôle tendre et drôle d'u n jeune professeur des écoles des années 1930. Langage, postures, humour, travail de recherche sur l'Histoire de cette époque, tout avait été minutieusement étudié jusqu'au bout des neurones pour pouvoir entrer dans ce personnage, rien n'avait été laissé au hasard.
Il y croyait, cette fois-là. Physiquement et mental ement, il était prêt. Prêt à soulever des montagnes, à faire des ravages.
À ce jour, le seul vrai grand rôle dans lequel il a vait été retenu consistait à apparaître dans une publicité prônant le parfum exceptionnel d 'un adoucissant à la lavande. Quatre secondes. Il avait respiré à pleins poumons une serviette de bain dont on avait
retiré l'étiquette deux minutes auparavant. Avec un bon salaire à la clé, du moins de quoi payer le loyer de sa chambre pour trois mois.
Il avait également eu le privilège de postuler dans un téléfilm à très petit budget, calibré pour une chaîne de la TNT, dans lequel il i nterprétait le rôle d'un chef de chantier un peu bougon et singulier avec une phrase à dire, une seule : « Quelle merde ce chantier, ça n’avance pas ! » Une prestation tra vaillée pendant deux bonnes semaines devant sa glace pour enlaidir ses traits n aturels, avec la fierté de voir son nom au générique de fin. Mais là encore, il avait é té coupé au montage.
Et voilà que se présentait la comédie dans laquelle il fallait paraître, ne serait-ce que pour se faire un nom, voire même une réputation d'a cteurbancable, car obtenir un rôle dans un film de Riva apportait sans l'ombre d'un do ute la notoriété.
En effet, Laurent Riva avait réalisé plusieurs film s humoristiques et familiaux, thèmes dans lesquels il excellait d'instinct, et son règne perdurait depuis quelques années déjà, avec adresse. Il tirait toutes les ficelles e t les codes de ce genre avec virtuosité. Il bouclait des productions où rire et émotion se côto yaient avec habileté. Riva surfait sur la vague de l'humour potache et aseptisé et la popu lace, toujours à son écoute, était au rendez-vous. Des films comme «Jours et nuits» ou encore «Corps accord» avaient battu des records d'audience au box-office. Des fil ms standards, sans excentricité, avec une morale toujours bien cadrée qui assuraient aux spectateurs un bon moment de rigolade en famille et aux producteurs un beau p etit pactole.
Louis pensait avec amertume que ç'aurait été un par fait tremplin pour jouer un vrai rôle de composition, mais aussi une bonne occasion pour supprimer les tensions évidentes entre Léandre Lacroix et lui.
Pour contrer ladite malchance, et pour les besoins du nouveau film de Riva, Louis avait déniché le meilleur photographe de Paris, afi n de se valoriser sur papier glacé. Des clichés plus que parfaits étaient nés de ce sho oting. Des clichés plus actuels pour son book. Il avait tout fait pour être sous son mei lleur jour. Vêtements adéquats, chics et décontractés, posture de conquérant. Le visage l impide et du panache, figé dans le temps, conservant l'écorce intacte de sa fraîcheur. Le regard hypnotisé, tantôt fixé sur l'objectif, tantôt suspendu dans le vide finissant de parfaire son professionnalisme épique.
Sûr de ses atouts cette fois-ci, il avait présenté son book accompagné de son CV artistique à son agent, pour que ce dernier les fas se parvenir au réalisateur tant convoité.
Sans succès.
Toute l'agence adulait Léandre, une force de la nature, de la matière grise, du sourire à revendre. Louis était adroit, Léandre était félin . Louis bien foutu, Léandre svelte. Louis instruit, Léandre expert. Louis déterminé, Lé andre grandiose. Personne ne pouvait surpasser cette stature d'Apollon et d'Herc ule réunis, même avec tous les efforts du monde.
Longtemps Louis avait imaginé ce monde un peu plus ouvert, sans entrave psychologique, un monde qui n'altère pas l'envie, q ui donne du pouvoir à chacun, bien que chacun ne soit pas taillé dans le même roc, car différent malgré les mêmes restrictions, les mêmes rituels, fussent-ils exercé s à plus ou moins grande échelle.
Léandre avait une véritable hygiène de vie. Un coac h sportif, un coach nutritionnel, des parents fortunés. C'était une véritable machine de guerre. Chéri des dieux, le diable au corps, il était habité par mille anges. La nature e st parfois bien cruelle.
C'était un cercle infernal, un cercle qui continuerait jusqu'à la fin des temps, un cercle infini. Et Louis ne tentait même pas de le stopper car ç'aurait été mourir de douleur non pas physique mais morale.
Les castings, briller, bouleverser son monde, pulvé riser des records d'audience, réussir, c'était là toute sa vie.
Louis chercha longtemps des subterfuges à ses doute s afin de tester ses capacités, du moins mentalement, pour être plus rusé et prendre la place de son rival sur le trône. Il avait réfléchi à des stratégies plus invraisembl ables les unes que les autres. Enlever Léandre. Tuer Léandre. Par n’importe quel moyen. Sa ns résultat. Sans grande satisfaction. Et puis il y avait là trop de paramèt res à prendre en compte. Pour lui, tuer quelqu'un était un acte réfléchi, préparé, et non i mprovisé. Tuer quelqu'un, faire disparaître son corps relevait d'un esprit malade e t minutieux. Programmer le lieu, l'endroit et le mobile du délit n'était pas une min ce affaire. Il se fit la réflexion que de toute façon, même avec la meilleure volonté du mond e, il ne se voyait pas faire du mal à autrui, pas même à son pire rival.
Alors il cultivait son amertume.
Il allait être l'outsider, le Poulidor et devoir s' y faire en attendant des jours meilleurs. Rester stoïque face à lui. Insensible à son regard assouvi, son rictus amplifié. Être plus fort que ses moqueries douteuses. Rester maître de lui-même. Rester inaudible face à ses échos de supériorité. C'était justement ce que ce Lacroix voulait. Qu'on le défie du regard avec le geste et la parole. Qu'on le félicite. Qu'on l'encense.
C'était juste d'une intolérable cruauté.
Louis et Léandre avaient fait les mêmes écoles, les cours des mêmes professeurs au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatiqu e de Paris après avoir suivi les mêmes formations théâtrales. Ils étaient passés ens emble en classe libre au cours Florent, ils avaient plus ou moins effectué ensembl e des stages dans le milieu de l'audiovisuel. Puis Léandre a eu de très belles opp ortunités. Louis, quant à lui, a stagné un peu, ne voyant pas les portes s'ouvrir. Tous deu x faisaient plus ou moins leurs preuves, jusqu'à être repérés à deux jours d'écart par l'agence artistiqueRéussir.
Louis avait un book parfait. Celui de Lacroix était exceptionnel. La dizaine de rôles l'étoffant majestueusement lui occasionnaient de be lles garanties de réussite. Il y avait des avantages à être l'héritier d'une famille de ci néastes, avec en plus de cela les mensurations parfaites d'un candidat voué à l'actor at. Louis n'avait pas eu cette chance, même si sa famille était assez aisée, au po int de lui permettre d'asseoir une place très convenable dans la société en effectuant de bonnes études cinématographiques.
Et côtoyant le même milieu, ils étaient pour ainsi dire presque frères. L'angle d'approche était identique. Alors pourquoi tant de différence entre eux ? Pourquoi cette fosse amère, oppressante les séparait ? Et cet agen t qu'ils ont en commun. Ne travaille-t-il pas plus d'arrache-pied pour Lacroix ? Que lui propose-t-il de plus faramineux ? Comment le vend-il ?
Louissupposaquesonagentn’avaitaucunefoienl ui,qu’ilse«farcissait»latâche
Louis supposa que son agentnavaitaucunefoienlui, qu’ilse «farcissait»lache de devoir lui trouver du travail. Il y avait bien c e jour où entre deux portes il l’avait entendu parler à Léandre, ils n’avaient pas à propr ement dit cité son nom mais tous deux semblaient se moquer de quelqu’un. Sans doute se riaient-ils de lui, il en était persuadé. Mais comment s’indigner de quelque chose de si peu établi ?
De plus, il s’était toujours demandé si les parents Lacroix n'abusaient pas de leur fortune et de leur renommée pour placer leur fils e n priorité sur les contrats que l'agent dénichait. Y avait-il favoritisme ? Comment faire j aillir la vérité ? Fallait-il y aller au culot et demander des comptes ?
Louis se savait plus intelligent que ça. Il ne voul ait pas se plaindre comme un petit enfant dans les jupons de sa mère.
À quoi tout cela servait-il, au final ? Léandre Lac roix était toujours sur le podium de toute façon, à la première place, dans tous les cœu rs. Il avait obtenu le rôle, une fois de plus.
C'était percutant de traîtrise. La douleur en plus. Louis avait voulu esquiver ce regard qui sème sa persécution, sa magistrale méchanceté. Le tout en restant le plus neutre possible. Léandre était vraiment très fort à ce jeu -là. Il aspergeait sa répugnance, décapitait le courage.
Son regard était l'emblème de la violence mentale.
DEUX.
Gus Mokovitch avait longtemps laissé tomber l'idée d'être un réalisateur productible. Peut-être n'y avait-il jamais cru. Sa névrose, sa n oirceur ne lui permettaient pas d'être classé dans le top dix des cinéastes à succès toute s générations confondues. Jamais rassasié par ce qu'il entreprenait, révolté par ces bouses commerciales, son choix de vie à l'instar des grands de ce monde lui convenait pleinement. Il était tenace dans sa démence, blasé par ce qu'il voyait autour de lui. N e se nourrissant que de l'envie de voir un jour l’univers totalement détruit et recréé de ses propres mains.
Ce n'était pas une hallucination de plus. Il y croy ait, à son pouvoir éclatant et fracassant. Il avait pour but de produire un exploi t, une performance hors du commun. Quelque chose que personne encore n'aurait capté, q uelque chose d'intégral, d'inhumain. En marge de la société actuelle. Quelqu e chose de si complexe qu'il n'avait pas encore trouvé une façon de le réaliser.
Lorsqu'il ne travaillait pas sur ce projet grandios e, il visionnait des films expérimentaux et de genre à longueur de journée, s' inspirant de ses pères avant-gardistes Andy Warhol, James Benning ou encore le c inéaste soviétique Dziga Vertov, qui qualifiait le « ciné-drame » comme étant « l'op ium du peuple ». Il s'imaginait amplifier des fins et des suspens. Leur trouver de nouvelles progressions, inventant le même dialogue sur un autre fond, avec des trans tra v [1] en plus, des plongées totales, des travellings circulaires [2]... donnant une autr e dimension à un film culte comme «Utopiade Benning ou « » San Diego Surf», s'imaginant avec délice que Warhol blessé lui proposait la direction de la réalisation à la place de ce maudit Paul Morrissey.
Gus ne comptait pas plus sur l'apport financier d'u n producteur véreux qui aurait voulu concevoir le film à sa façon, détourner une s cène, avec l'emprise pécuniaire de produire une merde avec une fin calomnieuse dans un schéma trop aseptisé. Rentier dès son plus jeune âge, ayant économisé la moindre petite pièce toute sa vie, il avait assez de moyens pour financer ses petits films lui- même. Pour lui, nul besoin d’une équipe technique à sa botte. Pour lui, une équipe t echnique ne servait pas à grand-chose, sinon à perdre de l’argent. Payer toutes ces petites mains qui, au final, n’avaient pas leur mot à dire ni leurs compétences à exploiter ? Gus avait ce besoin maladif de tout contrôler, de décider de chaque rus h [3], chaque prise de vue, chaque élément clé de son ouvrage, quitte à s’en mordre le s doigts juste après.
Gus était un peu mégalo et paranoïaque.
Et tant pis si ça faisait de lui un être vraiment à part.
o0o
L eClub Cafétoujours bondé à dix-huit heures. L'heure de pointe des salariés était du secteur qui n'avaient pas très envie de rentrer chez eux tout de suite, préférant un cinq à sept avec la douceur d'une bonne bière, surt out les jours de forte chaleur. Le quartier n'était pas pittoresque pour un touriste, cependant il était vivant et agréable pour le lambda. Ce bar à l'épicentre de toute cette agitation était surtout le QG de nombre d'étudiants fêtant quotidiennement la fin de s cours, terminant leurs devoirs en terrasse ou préparant avec une joie infinie les hos tilités du week-end. Les nuits d’été,
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