Troppmann
242 pages
Français

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Description

Pierre Bouchardon (1870-1950)



"C’était en 1869, dans le département du Haut-Rhin.


Le 25 août, à onze heures avant midi, un monsieur, d’âge mûr, descendit, à la station de Bollwiller, du train de Strasbourg. Il n’avait que des bagages à main : un carton à chapeaux et deux sacs de nuit recouverts de tapisseries aux couleurs voyantes.


Un peu plus tard, en la compagnie d’un jeune homme qui l’avait attendu à sa descente de wagon, il grimpa lestement sur l’impériale de l’omnibus des chemins de fer de l’Est qui faisait alors le service jusqu’à Guebwiller et que conduisait, ce jour-là, le cocher Müllier Ferdinand, mais les deux inconnus s’arrêtèrent, en cours de route, à Soultz, un gros chef-lieu de canton.


– À quelle heure passe la plus prochaine voiture pour Guebwiller ? demanda l’aîné des voyageurs, en posant le pied sur le sol.


Et comme Müller lui répondait : À neuf heures du soir ! il remercia et prit congé en ces termes :


– Alors, le temps ne nous manquera pas, à mon ami et à moi, pour notre petite excursion !


Du consentement de l’employé Sébastien Vogel, il déposa ses trois colis dans le bureau de l’omnibus.


Les deux amis, puisque amis il y avait, poussèrent ensuite la porte de Joseph Loevert, qui tenait boulangerie et auberge. Ils s’attablèrent à côté de la fenêtre et commandèrent, en allemand, des cervelas."



Documentaire. L'affaire Troppmann a défrayé la chronique en 1869. Une famille entière, soit 8 personnes, est massacrée à Pantin...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374639482
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Troppmann


Pierre Bouchardon


Août 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-948-2
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 946
« Répétez-vous à vous-même ce nom composé de deux syllabes ; n’y trouvez-vous pas une sinistre signifiance ? »
(B ALZAC : Z. Marcas.)

I
Prologue

C’était en 1869, dans le département du Haut-Rhin.
Le 25 août, à onze heures avant midi, un monsieur, d’âge mûr, descendit, à la station de Bollwiller, du train de Strasbourg. Il n’avait que des bagages à main : un carton à chapeaux et deux sacs de nuit recouverts de tapisseries aux couleurs voyantes.
Un peu plus tard, en la compagnie d’un jeune homme qui l’avait attendu à sa descente de wagon, il grimpa lestement sur l’impériale de l’omnibus des chemins de fer de l’Est qui faisait alors le service jusqu’à Guebwiller et que conduisait, ce jour-là, le cocher Müllier Ferdinand, mais les deux inconnus s’arrêtèrent, en cours de route, à Soultz, un gros chef-lieu de canton.
– À quelle heure passe la plus prochaine voiture pour Guebwiller ? demanda l’aîné des voyageurs, en posant le pied sur le sol.
Et comme Müller lui répondait : À neuf heures du soir ! il remercia et prit congé en ces termes :
– Alors, le temps ne nous manquera pas, à mon ami et à moi, pour notre petite excursion !
Du consentement de l’employé Sébastien Vogel, il déposa ses trois colis dans le bureau de l’omnibus.
Les deux amis, puisque amis il y avait, poussèrent ensuite la porte de Joseph Loevert, qui tenait boulangerie et auberge. Ils s’attablèrent à côté de la fenêtre et commandèrent, en allemand, des cervelas. Ce fut la femme de l’aubergiste, née Caroline Maugeney, qui leur servit cette nourriture indigeste ! Ils mangèrent au galop, mettant les bouchées doubles et conversant à demi-voix, mais en langue française.
L’un avait dépassé largement la cinquantaine. Il grisonnait fort et portait les cheveux presque ras. Basané, large d’épaules, les mains velues, les pommettes saillantes, l’œil vif sous l’arcade de sourcils broussailleux, le nez pointu et cassé à la racine, il ornait son visage d’épaisses moustaches, sans mouche, ni impériale, mais avec une dizaine de poils très longs qui venaient, de chaque côté, se coller contre la joue. Il était confortablement vêtu d’une jaquette en drap noir à six poches, et de l’une d’elles émergeait le tuyau d’une pipe. Enfin, il avait noué sa cravate avec une certaine recherche et coiffé son chef d’un chapeau de soie à haute forme.
L’autre, beaucoup plus jeune – presque un adolescent – faisait figure d’un être chétif. Mais, à observer ses gestes, on s’apercevait vite que, sous cette apparente faiblesse, il était bien découplé et tout en muscles. Ses cheveux châtains, abondants et soignés, se dressaient en touffe sur sa tête, avec une raie tracée très bas. De lourdes paupières lui tombaient sur les yeux et ses oreilles, mal ourlées, s’étalaient comme des plats à barbe. Il n’avait pas, au visage, moins de treize grains de beauté, dont sept à la joue droite. Le nez, assez gros à la racine, s’effilait vite et s’incurvait du bout en bec d’oiseau de proie.
Son menton ne nourrissait qu’une barbe naissante. La moustache, encore maigre, ombrageait à peine une lèvre trop grasse et des dents trop larges.
Décharnées et osseuses, ses mains attiraient l’attention, quand il les étalait sur la table. On remarquait surtout ses pouces, des pouces terminés en spatules et atteignant l’extrémité de la phalange supérieure de l’index. L’écartement entre ces deux doigts apparaissait énorme, monstrueux, et cette difformité faisait songer à une pince de homard. À regarder, on éprouvait une impression de malaise, de dégoût et d’horreur.
Le propriétaire de ces pouces géants parlait le français avec un accent alsacien aussi prononcé que possible, celui de Schmucke dans le Cousin Pons. Par exemple, il disait : Foulez-fous pour voulez-vous , bromenate pour promenade et pédisse pour bêtise.
Les deux hommes avaient des allures si mystérieuses et ils apportaient, à expédier leur repas, une précipitation si peu en rapport avec les habitudes paisibles et ordonnées du pays, que la femme Loevert ne cessa de les observer. Même, quand elle eut à se rendre à la cuisine, elle continua de jeter un coup d’œil par le vasistas de surveillance pratiqué dans la porte.
Lorsque le plus âgé eût réglé la dépense, elle les vit s’éloigner dans la direction de Wattwiller. Ils couraient presque. Là-bas, la région devenait mélancolique et sauvage, avec ses forêts de sapins ou de hêtres. Encore plus loin, sur la cime du Herrenflüh, contrefort oriental de la chaîne des Vosges, se dressait un minuscule squelette de pierres, au-dessus duquel tournoyaient des oiseaux criards. Cette ruine avait été jadis un pesant château féodal.
Il était environ trois heures du soir...
II
Le champ Magnin

À la veille de la guerre de 1870, la gare de Pantin se trouvait quelque peu isolée du reste du monde. Là où ont été percées de larges voies que bordent des maisons de rapport, s’étendait la plaine nue : végétation triste et pauvre, des champs de luzerne, des labours, des jardins, des terrains vagues, avec le fort d’Aubervilliers pour toile de fond. À travers ce désert, serpentaient des chemins aux noms pittoresques : le chemin Vert, la sente des Marglats, le chemin Pouilleux. De-ci, de-là, quelques réverbères à huile.
On n’imagine pas aujourd’hui ce que pouvait être, il y a soixante-deux ans, ce coin de la banlieue. Les habitants y chassaient l’alouette dans la saison. Les Parisiens ne le fréquentaient guère, et ils ne connaissaient pas beaucoup mieux l’agglomération pantinoise, déjà hérissée de cheminées d’usine. Ils se contentaient de fredonner la spirituelle chanson de Francisque Sarcey :

À Paris, près de Pantin,
Je naquis un beau matin de décembre.

Le lundi 20 septembre 1869, vers sept heures du matin, Jean-Louis-Auguste Langlois, cultivateur à la Villette-Paris, se rendait à ses travaux, avec sa voiture et ses instruments. Il longeait, sur le territoire de Pantin, à un kilomètre environ de la gare, le chemin Vert, lorsqu’il remarqua, dans une luzerne qui lui appartenait, plusieurs flaques de sang. Il s’approcha. Nul vestige de lutte, mais une traînée rouge, mêlée de fragments de cervelle, qui paraissait se diriger vers une terre voisine et fraîchement labourée, appartenant à une vieille femme d’Aubervilliers, Marie-Elisabeth Boimeau, veuve Magnin.
En suivant la piste, Langlois aperçut une bosse, nouvellement poussée. À cette place, le sol avait été remué depuis la dernière pluie, tombée la veille. Il n’offrait pas, en effet, la teinte grise uniforme et l’aspect boueux du reste du champ, car un peu de terre sèche apparaissait, provenant du sous-sol, mais on s’était appliqué à refaire les sillons tels que la charrue les avait creusés. On avait même dû, pour cette opération, se tenir sur la luzerne, afin de ne pas laisser de traces de pas.
D’un coup de pioche, il gratta le monticule. Le coin d’un mouchoir apparut. Il creusa plus profondément et mit au jour une partie de visage : des cheveux et une oreille.
Tout frissonnant, il refit le sillon et courut avertir le premier agent qu’il rencontra.
Informé d’urgence, le commissaire de police de Pantin, M. Agénor Roubel, se transporta sur les lieux, assisté du docteur Cyprien Lugagne. Et, pendant que les soldats du fort, baïonnette au canon, éloignaient les curieux qui commençaient à affluer de toute part, il organisait une fouille complète du terrain.
Dans une fosse longue de trois mètres, large de soixante centimètres et profonde de quarante, étaient enfouis pêle-mêle, plusieurs cadavres encore tièdes. Et comme il avait été difficile de les loger tous dans cet espace étroit, on avait piétiné pour les mieux tasser.
Aucun signe n’indiquait que les victimes eussent livré bataille. Tout se réunissait, au contraire, pour démontrer qu’elles avaient reçu, à l’improviste, des coups immédiatement mortels.
On déterra d’abord un petit garçon. Cinq ans, six ans peut-être. Le larynx était ouvert, de nombreuses plaies apparaissaient sur tout le corps, dont l’une très profonde, à la nuque. Des vaisseaux avaient é

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