Saladin de Saint-Josse ou l adieu aux géraniums
358 pages
Français

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Saladin de Saint-Josse ou l'adieu aux géraniums , livre ebook

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Description

« Il n'y avait aucun doute. C'était bien à moi que l'insecte s'adressait. Et c'était moi qu'il appelait Sidi. Il me regardait avec des yeux tristes. Il attendait certainement que je dise quelque chose, mais j'étais occupé à penser à la manière dont je devais l'écrabouiller. Devais-je l'écrabouiller tout de suite ou m'amuser à collaborer ? Collaboration rime, de toute façon, rarement avec sincérité. Quand bien même j'aurais vu les deux petits, j'aurais dit “non”. On ne sait jamais. Ça permet d'éviter les problèmes. Surtout lorsqu'on a affaire à des gens du bled, ce qui était apparemment le cas du cafard. Une demande de renseignement n'est jamais anodine. Elle est souvent suivie d'une accusation. Le dernier à avoir vu quelqu'un qui a disparu est toujours le suspect numéro 1. Et c'est lui que la police commence par cuisiner en premier. De toute façon, ce que j'avais vu ou n'avais pas vu ne regardait que moi et je n'avais de compte à rendre à personne, surtout pas à un cafard. » "Saladin de Saint-Josse", ou la folle dérive d'un journaliste marocain, du cœur de Bruxelles jusqu'au Cambodge... Lorsqu'un cafard l'aborde dans sa cuisine, ses ennuis ne font que commencer, à l'image de sa paranoïa. Mais tout n'est-il que le fruit de son imagination ? Que cache le Dr Mosbeh ? Qui est vraiment la ravissante Larissa ? Pourquoi les services secrets s'intéressent-ils à lui ? Comment se retrouve-t-il impliqué dans un sombre complot terroriste ? Mêlant avec brio fantaisie et gravité, humour absurde et cynisme provoc', l'auteur donne vie à un roman délicieusement kafkaïen, délirant, grinçant et plein d'audaces.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 mai 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342051261
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Saladin de Saint-Josse ou l'adieu aux géraniums
Messin'Issa
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Saladin de Saint-Josse ou l'adieu aux géraniums
 
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
 
 
 
 
Avertissement
 
 
 
Toute ressemblance avec l’auteur de ce livre est risquée.
 
 
 
Remerciements
 
 
 
Je tiens à remercier M. Guillaume Studer sans le soutien et le précieux concours de qui ce livre n’aurait  pu voir le jour tel qu’il est, tant dans son contenu que dans sa présentation.
Je lui exprime ma sincère gratitude.
 
 
 
I
 
 
 
— Pardon, Sidi , tu n’aurais pas vu deux petits par ici ?
J’étais dans la cuisine pour me servir un verre de vodka quand j’entendis cette voix. C’était un dimanche. Le dernier dimanche du mois de juin. Il devait être 18 heures passées. Il faisait très lourd. Le ciel au-dessus de Bruxelles semblait de plomb. La météo avait annoncé un orage pour la soirée. On l’attendait avec impatience. Seule une bonne drache belge pouvait adoucir l’atmosphère oppressante.
Bien qu’elle semblât toute proche, la voix ne pouvait provenir que de l’extérieur. J’habitais au 8 e étage d’un immeuble de 15 à Saint-Josse, une petite commune très peuplée et très bruyante. De cette hauteur, on perçoit très nettement les bruits de la rue. Le son monte, dit-on. Il a tendance à prendre de l’altitude. Il y avait un tintamarre continu dans les environs, mais cette voix se laissait facilement capter par une sorte de musicalité de fond, comme si on soufflait dans un kazoo. C’était un pur parler du bled. Ce qui n’avait rien d’étonnant. Le dialecte marocain est très en vogue à Bruxelles. Ça venait donc d’un compatriote qui, apparemment, s’adressait à quelqu’un d’important puisqu’il l’appelait Sidi . Ce terme, qui a valeur de « Monseigneur », est très prisé au pays pour sa forte teneur en obséquiosité dont les Marocains sont si friands.
Je ne pus m’empêcher de sourire. « Pas vu des petits par ici ? » Quelle question ! On ne voit que ça. Des petits et des moins petits. C’est ce qui m’avait particulièrement frappé à mon arrivée à Bruxelles, un mois et demi auparavant. Dans les rues, un défilé incessant de femmes, jeunes et moins jeunes, voilées pour la plupart, circulant avec une poussette devant, un enfant ou deux de chaque côté, et un bébé en gestation dans le ventre. C’est ainsi que Saint-Josse se retrouve avec la densité démographique la plus forte au monde : près de trente mille âmes agglutinées dans un espace de moins d’un kilomètre carré. Bombay, en Inde, avec à peine vingt mille habitants par km2, vient bien loin derrière. Saint-Josse, c’est un Bombay et demi en plein Bruxelles.
Je m’approchai, par pure curiosité, de la fenêtre grande ouverte. Il y avait bien des gosses qui se disputaient autour d’un vélo dans la cour en bas de l’immeuble, mais personne qui semblât à la recherche de petits. La voix de kazoo devait certainement provenir d’une télé des voisins. Ici, tous les habitants sont branchés sur les chaînes mères, marocaines et turques. J’allais quitter la cuisine quand j’entendis de nouveau comme un murmure : « Deux garçons, petits comme ça. »
Il fallait me rendre à l’évidence. La voix, chétive et hésitante, provenait d’à côté. D’à côté de moi. Pas d’un satellite. Quelqu’un qui devait être juste là , dans ma cuisine, mais qui était invisible. Plaisanterie ou hallucination ?
Les appartements dans les centres urbains semblent être devenus des lieux propices aux rencontres surnaturelles. Les cimetières sinistres et les châteaux hantés n’ont plus la cote. Aujourd’hui, on trouve plus facilement un fantôme dans les meubles de son salon. C’est dans une penderie que Marc Levy a fait cacher Lauren, l’héroïne de son roman Et si c’était vrai  avant qu’elle ne soit découverte par Arthur, même si la jeune femme, se sachant invisible, n’avait absolument aucune raison de se cacher, d’autant qu’elle se trouvait chez elle. C’est bien là la véritable énigme du livre qui a remporté le Prix Goya du premier roman.
J’avalai d’un trait mon verre de vodka et balayai les lieux doucement des yeux, fouillant les coins et les recoins de la cuisine. D’abord dans le sens des aiguilles d’une montre, puis plus doucement encore dans le sens inverse. C’est généralement dans le sens inverse et à contre-courant qu’on trouve ce qu’on cherche. Et je le vis. Bien en évidence sur le plan de travail, à quelques centimètres du chauffe-eau. Il dodelinait de la tête, un regard las posé sur moi. Un cafard ! Je n’en revenais pas. Pour une fois que j’entendais des voix, c’était un cafard. Pas de chance. N’est pas Jeanne d’Arc qui veut. Ni Sainte Fatima. Peu de chances que je sois un jour canonisé pour avoir entendu la voix d’un cafard qui cherchait ses deux petits. À quoi pouvais-je m’attendre ? Il n’y a pas d’apparition miraculeuse le dimanche. Dieu se repose. Quand les églises fonctionnent à plein régime, lui se repose. Et il a raison. C’est le pape qui travaille ce jour-là.
Je m’approchai. Le cafard libéra une patte et s’en frotta le visage comme avec un essuie-glace. Il devait avoir la vue embuée par les émanations d’alcool que je dégageais.
— Je suis vraiment désolé de te déranger, Sidi , balbutia-t-il d’une voix craintive.
Il n’y avait aucun doute. C’était bien à moi que l’insecte s’adressait. Et c’était moi qu’il appelait Sidi . Il me regardait avec des yeux tristes. Il attendait certainement que je dise quelque chose, mais j’étais occupé à penser à la manière dont je devais l’écrabouiller. Devais-je l’écrabouiller tout de suite ou m’amuser à collaborer ? Collaboration rime, de toute façon, rarement avec sincérité. Quand bien même j’aurais vu les deux petits, j’aurais dit « non ». On ne sait jamais. Ça permet d’éviter les problèmes. Surtout lorsqu’on a affaire à des gens du bled, ce qui était apparemment le cas du cafard. Une demande de renseignement n’est jamais anodine. Elle est souvent suivie d’une accusation. Le dernier à avoir vu quelqu’un qui a disparu est toujours le suspect numéro 1. Et c’est lui que la police commence par cuisiner en premier. De toute façon, ce que j’avais vu ou n’avais pas vu ne regardait que moi et je n’avais de compte à rendre à personne, surtout pas à un cafard.
— Ils ont dû s’égarer, Sidi , continua l’insecte. Ils n’ont pas l’habitude de sortir seuls.
Il me fit comprendre, en reniflant, que ses deux petits étaient sortis la veille, samedi, et qu’ils n’étaient toujours pas rentrés.
— C’est de ma faute. Oui, de ma faute, se lamentait-il de façon abusive comme font les humains quand ils veulent absolument se faire pardonner.
Que mon cafard soit un humanoïde n’avait rien d’étonnant. Des hommes qui deviennent des cafards et inversement, ça n’arrive pas souvent, mais ça existe bien. Et ça peut arriver à tout le monde. Franz Kafka en donne un exemple dans La Métamorphose . C’est l’histoire d’un jeune représentant de commerce, Gregor Samsa, qui se réveille un beau matin en découvrant avec stupeur qu’il s’était métamorphosé en un monstrueux insecte, une hideuse coquerelle. L’écrivain tchèque n’en avait pas fait un drame. Juste une nouvelle. Mon cancrelat humanoïde tenait, lui, à respecter les proportions. Un peu dodu, certes, mais il ne devait pas faire plus de 3 cm de longueur avec une vingtaine de grammes de chair et d’os.
— On les retrouvera, fis-je sèchement pour abréger les jérémiades agaçantes de l’insecte.
Et, aussitôt dit, aussitôt je me rendis compte qu’il y avait danger. Il n’était pas dans mon intérêt qu’on les retrouve, ces deux petits. Qu’ils reviennent d’eux-mêmes, va encore, mais si jamais c’est la police qui les retrouve et les ramène, elle ne manquerait pas d’enquêter sur les occupants de l’appartement, moi en l’occurrence, et cela pourrait me valoir des ennuis. La situation n’était pas aussi amusante que je l’imaginais.
— Ils reviendront, rectifiai-je promptement comme pour exorciser une sérieuse menace.
Voyant que le cafard ne réagissait pas, je dus faire sortir difficilement une crotte d’ inchallah comme après une constipation. Là, il se cabra, parut se remettre, sourit.
— Qu’Allah te bénisse, Sidi .
Et il se confondit en remerciements.
— Ça fait longtemps que tu es là avec la famille ? l’interrompis-je brutalement en faisant cesser cette effusion.
— Nous sommes juste de passage, murmura-t-il. Nous ne tenons à être un fardeau pour personne. On s’en ira très vite.
Je l’espérais bien. Bien que vivant seul, je me sentais assez à l’étroit dans cet appartement. Je n’avais nul besoin de colocataires. Et encore moins d’être impliqué dans une disparition de petits.
Le cafard s’excusa de devoir rentrer pour rassurer la maman qui, dit-il, « était dans tous ses états ». Il prononça le traditionnel « Que Dieu te vienne en aide, Sidi  », se retourna et disparut en se glissant sous la plinthe derrière le chauffe-eau.
Je me demandais si j’avais bien fait de le laisser partir. Je pouvais plaindre ce cafard pour la disparition de ses enfants, c’est humain, mais ce n’était pas une raison pour qu’il ait la vie sauve. Il avait franchi le Rubicon en venant s’installer chez moi. En d’autres temps et d’autres lieux, je l’aurais tout de suite aplatie, cette bestiole. Sans sommation. C’est un principe chez moi. Un cafard, ça n’augure rien de bon. C’est une malédiction. Il faut l’écrabouiller.
Mon pays pul

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