Au bout de ma souvenance
103 pages
Français

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Au bout de ma souvenance , livre ebook

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Description

Hélène ressentit une vive douleur aux tempes, un cri de femme déchirant hurlait « Mario ! » dans sa tête, comme un écho lointain. Marina venait d'entrer en elle et allait y ressurgir, toute sa vie, par périodes. Dans ces états seconds, la jeune femme parlait un dialecte italien jamais appris. Des images d'une autre époque l'assaillaient : une Fontana di Diavolo, des hommes en uniforme poursuivant un jeune homme en révolte, Mario, qu'elle aimait. Au « réveil », Hélène ne se souvenait de rien. Marina s'installa dans le corps, dans la vie d'Hélène, de plus en plus souvent, lui volant des pans entiers de son existence, la vivant à sa place. Lutte impitoyable de deux âmes pour un seul corps. Giovanni, intrigué par cette Française répétant le chant des pleureuses que sa grand-mère psalmodiait, dans ses Pouilles natales, décida de l'accompagner Au bout de sa souvenance. Y trouvera-t-elle la folie ou les vestiges d'une vie antérieure ?

Informations

Publié par
Date de parution 31 octobre 2013
Nombre de lectures 1
EAN13 9782312014838
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0012€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Au bout de ma souvenance

Michèle Letellier
Au bout de ma souvenance















LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-01483-8
Chapitre 1
Pas de chape de pierre, juste un parterre de myosotis. Comme un édredon touffu et bleu, une mer d'écume azur, moutonnée. Un appel au souvenir. Giovanni murmure « non ti scordar di me », le nom italien du myosotis, ne m'oublie pas. Il réalise que la traduction est la même en anglais : forget me not. Une plaque ronde et blanche en haut de l'édredon bleu, comme un oreiller pour son repos éternel. Hélène LEBRUN née RUBIAC, et deux dates qui ne correspondent à rien d'autre qu'à l'espace temps entre deux cris. Giovanni avait assisté au dernier.

Le petit cimetière n'avait pas été difficile à trouver, au bout du village accroché au piton rocheux surplombant la rivière. Couleur pays, pierres blanches et terre ocre. Couleurs aussi de ses Pouilles italiennes. Giovanni sourit. Le Destin ou le hasard s'était amusé jusque sur la palette finale à réunir Hélène et Marina dans un même décor... Giovanni avait toujours éprouvé une sensation de sérénité devant les tombes. Toutes ces vies dans une même mort, bien rangées les unes à côté des autres, fleuries ou austères, au gré des souvenirs qu'elles ont laissés. Mais la mort est-elle bien la même pour tous ? Est-elle sereine ? Existe-t-elle seulement ? Aujourd'hui, Giovanni en doutait. Le jeune italien dépose l'ex-voto au milieu des fleurs : « A MARINA. L'alma alla sua stella riede. Dante ». Hélène. Marina. Deux prénoms sur cette tombe en bleu, pour un seul corps. « L'âme retourne à son étoile »... Mais vers quelle étoile s'en était bien retournée l'âme d'Hélène ? Celle de Marina ? Faisaient-elles enfin une dans la mort, après s'être tant déchiré les morceaux d'une vie ?
Les fleurs bleues frissonnent sous la bourrasque de printemps. Le soleil se voile. Les Saints de glace sont au rendez-vous. Giovanni ferme son blouson. Un mois de mai d'automne. Il en est des vies comme des saisons, avait écrit Marina, sa dernière nuit. Il avait lu et relu ces mots en poème. « Il en est des vies comme des saisons. Les trop belles pour durer éternelles. Les pluvieuses, nuageuses, pas heureuses. Les rebelles qui tempêtent, s'entêtent et explosent d'un coup de grêle, d'un coup de sang, d'un coup de tête. Les frileuses qui, d'ombre en ombre, passent, trépassent et s'effacent sans une trace. Les surfaites qui vous éblouissent un instant et s'évanouissent, chimères éphémères, l'instant suivant. Les ventées qui décoiffent, vous assoiffent et vous lâchent, le cœur dévasté. Puis, il y a celles qui vous saisissent, vous kidnappent, vous emplissent, vous échappent, vous rattrapent, vous soulèvent et vous poussent, hors de vous, vers une parcelle d'éternité. » La vie d'Hélène Rubiac avait été de celles-là. Et Giovanni savait que son mystère l'avait imprégné à jamais, que plus rien ne serait pour lui comme avant. Qu'elle avait emporté avec elle un bout de lui-même, un bout de nous tous, parce que cette vie avait effleuré la réponse aux interrogations de chacun.

Tout avait commencé ici, à St Martin, dans ce village ardéchois où Hélène était née. Tout avait commencé par un matin ensoleillé d'adolescence. Ou peut-être bien avant. Avant sa naissance. Avant sa conception même. Peut-être à la mort de Marina. Sait-on quand une vie commence ? Quand une autre se termine ? Peut-être n'y a-t-il jamais ni commencement, ni fin, ni naissance, ni mort. Peut-être n'est-on que cette paillette d'âme déchue qui essaie, au fil des vies, de retrouver son étoile ?

Des enfants jouent sous le grand olivier, au lieu-dit la Pierre Pointue, parce qu'un gros rocher en forme de proue de bateau y surplombe la rivière en contrebas... là, justement où tout avait commencé pour Hélène, l'été de ses douze ans.

Jean avait étalé sur la Pierre Pointue le bracelet de graines qu'il s'appliquait à peindre. Trois rouges, trois vertes, trois jaunes, trois bleues. Graines de melons, de pastèques, qu'il avait récoltées, laissées sécher, puis enfilées comme des pierres précieuses sur un fil de coton mercerisé, dérobé dans la trousse à couture de sa mère. Elle n'y avait vu que du feu. De toute façon, sa mère ne voyait jamais rien de ce qui le concernait. Trop préoccupée par ses comptes, le prix du kilo de pêches, ou d'abricots, toujours plus élevé que ne l'annonçait le producteur, compte tenu des fruits talés qu'on ne pouvait vendre, des pas assez mûrs dont les clients ne voulaient pas, et des vicieux qui dissimulaient, près du noyau, un de ces vers capables de vous faire perdre, d'un coup de dent, réputation et clientèle... Alors, madame Lebrun bichonnait ses fruits mieux que son mari et son fils, les vaporisait, les essuyait, les éventait, les couchait avec précaution dans leur petite collerette de papier blanc, bien calés au fond du cageot, les dorlotait, les retournait de temps en temps, s'inquiétait à la moindre tâche, au moindre pigment. Elle n'en avait pas fait tant quand Jean était rentré de l'école, le genou écorché et le visage en sang, après être tombé du cheval d'arçon au cours de gymnastique. Jean avait compris depuis longtemps qu'il comptait moins dans le cœur de sa mère que les beaux fruits de saisons, auxquels il n'avait d'ailleurs pas droit. À la famille les fruits pourris, aux clients les beaux juteux... avec lesquels il devait parfois partager sa chambre, lors des grandes livraisons, quand la réserve était pleine, ou que le soleil était trop chaud, sa chambre était au Nord. Avec ordre de n'en manger aucun, évidemment ! Une vraie torture quand les hébergés étaient de belles et bonnes nectarines aux joues pleines et orangées, comme celles d'Hélène.

Mais, aujourd'hui, Jean s'en fichait. Du haut de ses quatorze ans, il avait acquis trois certitudes : il n'aimait plus les fruits, ne serait jamais épicier et épouserait Hélène. C'est pour Hélène qu'il avait enfilé les graines. Pour lui faire un collier et un bracelet. Trempant son pinceau dans son pot de yaourt rempli d'eau, il se dépêchait de terminer le bracelet.

Hélène aussi se dépêchait.
« Alors, Hélène, on va retrouver P'tit Jean à la Pierre Pointue ?
− C'est pour lui que tu t'es faite toute jolie ? »
Ses éternelles lunettes rondes de myope sur le nez, Hélène dévalait le raccourci qui mène, à travers champs, de St Martin à la rivière. Les paysans aimaient bien Hélène et sa mère, Simone, restées seules depuis la mort du père Rubiac, il y avait deux ans. Tombé comme ça, de toute sa hauteur, en sortant de Chez Victor, le bistrot du village. Il avait tout juste eu le temps de dire : « qu'est-ce qui m'arrive ? », que c'était déjà arrivé. Le docteur Meillant n'avait rien pu faire, que constater. Depuis le temps qu'il l'avait prévenu... Bien sûr, Victor avait servi moins de pastis pendant une semaine ou deux. Puis, la vie avait repris et les tournées aussi. Simone avait vendu son champ au voisin et s'était lancée dans la couture à domicile pour une société de Lyon qui envoyait le tissu, les patrons et la payait à la pièce. Elle y passait ses journées, parfois ses nuits, y usait ses yeux et ses doigts, mais était fière de pouvoir offrir à sa fille les dernières tenues à la mode avec les restes de coupons. Financièrement, elle arrivait à joindre les deux bouts. Certains mois, elle parvenait même à mettre deux ou trois billets de côté. Pour les études d'Hélène, plus tard. Mais Hélène n'était pas très douée pour l'école. Elle allait redoubler. Toutes ces absences depuis l'enfance n'avaient rien arrangé. Des migraines surtout. Le docteur Meillant n'avait jamais rien trouvé de grave, ni même une vraie maladie. Disons qu'Hélène était une enfant de santé fragile. Timide, toujours un peu morose... Cela lui donnait un côté diaphane et romantique qui plaisait justement à Jean.

« Elle est super belle, ta robe !
− Maman vient de la finir. C'est pour ça que je suis en r etard. »
Lui n'avait pas fini et, dès qu'il avait aperçu Hélène, en haut du champ de L

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