Chroniques Verticales - Saison 2 épisode 3

Laurent Copet

Description

Alors que le clan traverse une zone désertique et que l’ascension se fait de plus en plus difficile, la folie de Lost Arrow se révèle.

Pour les rebelles, il est temps de passer à l’action, ou de rejoindre le Néant.

Sujets

• Fantasy
• Fiction
• Fantasy (canción de Mariah Carey)

Informations

• Publié par: Realities inc
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9791095442332
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 3 Mo

Extrait

Chroniques verticales
Laurent Copet
Saison 2 - Épisode 3
1
 
Plus tard dans la soirée, le clan se rassembla pour la veillée traditionnelle. Les cordées élargies avaient établi une aire de campement sur la cassure. Nul besoin d’enclos cette fois-ci, Brouillard Givrant le savait. Les individus se surveilleraient entre eux, trop soucieux de progresser dans la hiérarchie. Encore une trouvaille géniale de sa part.
Lors de la cérémonie, il expliqua son idée. « En ces temps difficiles, nous avons besoin d’être unis. La réussite du clan dépendra de votre dévouement. » Il s’arrêta. Ses paroles lui semblèrent usées, comme s’il avait passé toute la saison à mettre en garde les uns et les autres. Il était temps de passer aux choses concrètes. « À partir de ce soir vous sera attribuée une place dans la cordée. Bien entendu, le chef de cordée se trouve en première position, avec femme et enfants.
» Votre position pourra bien sûr évoluer en fonction de votre dévouement envers le clan. Désormais, les numéros un et deux de chaque cordée siégeront au Conseil. Ce classement est accessible à tout le monde, y compris aux saisonniers.
— Et aux femmes ? »
Brouillard Givrant tourna la tête, cherchant du regard la personne qui avait osé prononcer de telles paroles. Raja. La fille de la sorcière. Il ne prit pas la peine de répondre pour autant.
Attends voir un peu ce qui t’attend.
« Le temps des privilèges est terminé, reprit-il. Soyez loyaux, servez le clan et vous vous rapprocherez de la tête de la cordée. Par exemple, Raja se classe en douzième position. Juste avant sa mère. Après elles, tout au bout, il n’y a que les anciens. Pour vous autres, pas de numéros. Ce n’est pas la peine.
— Qui décide de ce classement stupide ? »
La phrase claqua dans l’air. Brouillard Givrant ne put s’empêcher de baisser les yeux. Puis il s’efforça de regarder Chilam Balam qui se dressait face à lui, fière et glaciale. « Notre chef, Lost Arrow, répondit-il. C’est lui qui décide. »
Sur proposition de son chiffreur.
Il esquissa un petit sourire intérieur. Un vent chaud et poussiéreux souffla sur la cassure. Les flammes du brasier vacillèrent.
« Les événements de la précédente intersaison appartiennent au passé. Nous n’en parlerons donc pas… Néanmoins… Gringo Loco… »
Tous les regards se tournèrent vers le tanneur. Assis sur une souche, misérable, le dos voûté, il mâchonnait une herbe de jha. Il leva des yeux vitreux vers Brouillard Givrant.
« Gringo Loco, tu as perdu ta place au Conseil. Il te faudra prouver ta fidélité au clan pour la regagner. En attendant, tu prendras place en cinquième position au sein de ta cordée. »
Gringo Loco haussa les épaules en poussant un soupir désabusé. Brouillard Givrant se détourna de lui et prit un air solennel.
« Tournebrosse… Voilà un exemple pour nous tous. Tournebrosse est un saisonnier. Désormais, les saisonniers, je vous l’ai dit, peuvent envisager une place au Conseil. Tournebrosse n’a pas cessé de nous prouver sa loyauté. Il a travaillé dur, il a obéi, il n’a pas hésité à se sacrifier. Et pour toutes ces raisons, Tournebrosse est maintenant en deuxième position dans sa cordée. Il prendra la place de Tandem pour l’Évidence. Et il fera partie intégrante du Conseil. »
Pendant une bonne longueur de temps, concentré, minutieux, Brouillard Givrant classa les individus au sein des cordées. Certains hommes tremblèrent et prièrent en silence de voir leur place préservée, jurant de s’investir comme jamais si Brouillard Givrant les laissait siéger au Conseil. D’autres, blessés, reçurent la sentence de l’éviction comme un coup de poignard, s’inquiétèrent de pouvoir un jour reconquérir leur statut de membre. Enfin, les derniers sentirent comme un gonflement agréable qui n’en finissait plus de prendre toute la place dans leur corps, dans leur esprit dilaté de joie. L’orgueil. L’accession au Conseil. Impossible quelques saisons auparavant, voilà que Brouillard Givrant réalisait leur rêve le plus fou, les couvrait de gloire et de reconnaissance.
Pour mieux signifier leur intronisation aux quatre nouveaux membres, Brouillard Givrant leur proposa de réciter eux-mêmes la prière à la gloire des Dieux du Sommet. Le clan n’avait plus de shaman pour le faire.
Après ça, le chiffreur jeta une grande quantité d’herbe de jha dans le feu.
 
2
 
Tournebrosse s’appliqua à garder un visage sérieux, austère. Celui qui convenait à un membre du Conseil. Il lutta de toutes ses forces pour contenir ses souvenirs, pour empêcher le passé de ressurgir du Néant, mais les images étaient là.
Il se revit enfant. Les innombrables nuits passées dans le filet, à flanc de Falaise, pour laisser les vires aux autres , ceux qui possédaient le savoir-faire, ceux qui siégeaient au Conseil et prenaient les décisions. Envieux, il avait souvent épié les enfants de son âge ; pendant d’infinies longueurs de temps il les avait regardés apprendre à tisser, à guérir, à tanner le cuir. Il avait même essayé en secret de fabriquer une corde, pour un résultat si piteux qu’il s’était empressé de tout jeter dans le Néant, tremblant de rage.
Plus tard, lorsqu’il eût atteint l’âge, son père lui avait ordonné de se mettre à disposition du clan lors des intersaisons. Corvée de chasse, corvée de bois, corvée d’eau… Après la saison éreintante, continuer, grimper, redescendre, repartir, se mettre en danger pendant que les autres se prélassaient. Tout ça pour espérer glaner un piton rouillé ou une corde de seconde main. Tout ça pour ne pas pouvoir espérer mieux qu’une fille de saisonnier comme épouse.
Mais Brouillard Givrant avait changé tout ça. Et aussi vrai qu’il siégeait dorénavant au Conseil, Tournebrosse, une fois l’émotion dissipée, était bien décidé à oublier ces saisons d’humiliation, les laisser une bonne fois pour toutes là où elles ne surgiraient plus jamais.
À cet instant, alors que le chiffreur en terminait avec son classement, il se promit de garder sa place au Conseil.
 
3
 
L’intersaison. Le moment pour le guérisseur de faire le tour des campements. Remettre d’aplomb les uns, vérifier l’état de santé des autres, réconforter les anciens, ceux qui décideraient de ne pas repartir. ChanThé s’attelait à sa tâche avec rigueur. Cette fois-ci, la saison avait été bien trop éprouvante. Il avait demandé à son père de l’épauler.
Chaxi l’ancien sillonnait donc le camp lui aussi, comme à la bonne époque, ce temps qu’il évoquait parfois en lui-même. Mais les souvenirs revêtaient trop souvent la teinte du deuil, car il fallait alors prendre conscience de ce qu’on avait perdu, de ce changement dans les esprits et dans les conditions de subsistance.
Personne, au sein du clan, n’aurait reproché à un ancien de s’égarer dans les limbes du passé. Lui-même s’accordait ce plaisir amer avec parcimonie, pour avoir la force de repartir le jour venu. D’ailleurs, combien ne repartiraient pas ? Beaucoup, sans doute, au vu de la saison effroyable qui venait de s’écouler.
Les anciens, en bout de cordée, avaient souffert mille maux ; les chutes de pierres, la chaleur, les humiliations avaient achevé des organismes épuisés par plusieurs dizaines de saisons d’ascension. Bien souvent, ceux qui avaient tenu bon et rallié l’intersaison subissaient le contrecoup de leurs efforts. S’imaginer repartir, vivre une nouvelle fois le même calvaire relevait pour eux de l’absurdité pure et simple. Chaxi le savait bien. Contrairement au temps où il exerçait en tant que guérisseur en titre, ses interventions se résumaient désormais le plus souvent à tenter de soigner l’âme des gens. Les morsures de la Falaise n’avaient plus aucun secret pour lui depuis longtemps ; pour chaque situation, il connaissait un remède, une plante, une mixture appropriée. Mais ces blessures-là étaient bien plus profondes.
Lui-même se posait de trop nombreuses questions. Il avait encore au-dessus de lui plusieurs saisons d’ascension et faisait partie des anciens les plus en forme. Peut-être conservait-il au fond de lui l’espoir d’un changement. Peut-être lui restait-il encore suffisamment d’énergie pour repartir,