Il venait de l océan…
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Il venait de l'océan… , livre ebook

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Description

« Il venait de l’Océan » est une ballade à deux voix entre deux adolescentes que la mort et un demi-siècle séparent.
Mélodie douce-amère pour l’une, romance magique pour l’autre.
Avec la mer omniprésente et l’espoir en filigrane.

Informations

Publié par
Date de parution 24 octobre 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312054780
Langue Français

Extrait

Il venait de l’océan…
Chantal Laborde
Il venait de l’océan…
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2017
ISBN : 978-2-312-05478-0
Chapitre I. Jade

Fonçant vers le sud, la voiture engloutit les kilomètres. Depuis des heures.
Ses parents sont silencieux. Comme elle, ils s’isolent, reclus dans leur bulle de tristesse. La dernière fois qu’elle a observé son père, elle a remarqué les mâchoires crispées, le regard dur qu’il fixe sur la route, comme si celle-ci motivait sa colère.
Chacun réagit à sa manière aux dégâts infligés par la mort. Jade subit son chagrin, son père intériorise sa colère. Elle pleure sa grand-mère, Nicolas enrage du décès de sa mère. La première n’a plus de larmes, l’autre n’a plus de mots.
« Il faut que je dorme, il faut que je dorme, il faut… »
Paupières serrées, Jade chuchote la même phrase à l’infini. Mais le mantra a perdu ses pouvoirs spirituels et le sommeil se disperse, chassé par la souffrance.
Pire : en dépit de son désir de ne rien voir, par instant ses yeux s’ouvrent d’eux-mêmes, comme aimantés par les repères du paysage. Et chaque fois, elle reçoit le choc en plein cœur. Décors familiers, précédant autrefois de merveilleuses vacances et à présent entachés par l’absence. Souillés pour toujours…
A soixante-deux ans, Anouck Gautier s’est éteinte deux mois plus tôt, dans sa maison au bord du Bassin d’Arcachon. D’une maladie « longue et douloureuse » qu’elle a soigneusement cachée à sa famille. En secret, et stimulée par sa combativité habituelle, elle a été soignée dans les règles de l’art.
Malgré tout et pour la première et dernière fois, son énergie s’est tarie et le cancer l’a anéantie.
Jade étouffe un sanglot. Même pas vieille, bien trop jeune ! Elle avait encore tellement à apporter à sa famille. Surtout à elle, Jade …
Sa mère se retourne et lui demande doucement :
– Il reste une bonne centaine de kilomètres, ma chérie. Veux-tu que nous nous arrêtions un moment sur la prochaine aire de repos ? Ça ne fera pas de mal à ton père…
– Merci. Mais je préfère continuer. Enfin, si papa…
– Pareil ! coupe son père.
Jade croise le regard désolé de sa mère. Pauvre Béatrice ! Entre une fille pleurnicheuse et un mari blessé, elle ne s’amuse pas tous les jours. Surtout qu’elle a du chagrin, elle aussi. Sa belle-mère était son amie. Leur relation n’était pas fondée sur un attachement filial. Dès le mariage de Nicolas, Anouck avait déclaré son amitié à sa bru. Avec sa franchise habituelle, elle lui avait expliqué qu’elle n’avait que faire d’une nouvelle fille, mais qu’elle accueillerait une amie avec bonheur. Jade sourit malgré elle. Sa Nanou. Quel personnage !
*
Tant pis ! Elle ne dormira pas. Jade se redresse sur son siège et promène un regard méfiant sur le paysage. La rocade de Bordeaux , maintenant. Pas trop douloureux, ça. Le pire reste à venir.
Ils sont partis de Paris tôt ce matin. Et depuis, Jade se demande si les décisions prises deux semaines plus tôt ne les conduisent pas tout droit à la catastrophe.
Fils unique, Nicolas Gautier a hérité de la maison familiale du Cap - Ferret . Jade , ses parents et son frère Théo s’étaient affrontés lors d’une réunion familiale houleuse. Le problème, c’est que la famille n’est pas riche. Ce sera dur de payer les impôts et l’entretien d’une résidence secondaire. Et le terrain acquis autrefois par l’arrière-grand-père pour quelques sous, a atteint de nos jours une valeur vertigineuse. Alors , vendre ou ne pas vendre ? Quelquefois , les mots dépassent la pensée quand on est malheureux. A la fin, ils étaient pourtant tous d’accord sur deux points : pour rien au monde, ils ne souhaitaient se séparer de la maison, et dans l’immédiat, personne ne se sentait capable d’y remettre les pieds.
Jade avait donc passé le mois de juillet à Paris – le premier depuis sa naissance –, l’esprit noyé dans un brouillard diffus, fluctuant : de la profonde tristesse au déchirement, sur fond d’ennui et de nostalgie.
Ses meilleures amies étaient absentes de la capitale, en vacances aux quatre coins de la France. Il restait bien quelques esseulées parmi les filles de sa classe, mais elle n’avait ni l’envie, ni l’énergie d’aller au-devant d’elles. Ses parents travaillaient et Théo sortait avec sa nouvelle copine. Alors elle se morfondait dans l’appartement, gobant des programmes de télé débiles, commençant des bouquins qu’elle abandonnait aussitôt, faute d’intérêt.
Sans cesse, les souvenirs survenaient, impitoyables. Elle revivait tous les instants délicieux, aventureux, affectueux ou fantaisistes, partagés avec Nanou . Puis la réalité revenait en force, la laissant malade de l’absence. Comment faire le deuil des rires de sa grand-mère, de son imagination débridée, de la douceur de ses câlins ?
Un beau soir, au dîner, son frère avait explosé :
– J’en ai marre ! J’ai changé d’avis. C’est idiot de rester ici. Il faudra bien qu’on y retourne un jour. Alors, je pars demain. J’irai aérer la maison, faire le ménage. J’ai téléphoné à Michaël. Il viendra m’aider à débarrasser… enfin, ranger… certaines choses. Vous pourriez venir me rejoindre dans une dizaine de jours…
Pauvre Théo ! C’est tout lui, ça ! Prendre sur ses épaules toute la misère du monde. Elle l’aime, son grand frère. Ses copines passent leur temps à détester leur fratrie. Théo et Jade, eux, sont toujours complices ; peut-être ont-ils les bonnes différences : d’âge, de caractère, de scolarité… A 21 ans il a réussi brillamment sa deuxième année de médecine. Elle en a quinze et passe de justesse en seconde. Il est sérieux, elle est légère.
Il n’ignore pas que son entreprise ne sera pas une partie de plaisir. Il a proposé, ni plus ni moins, de faire disparaître toute trace douloureuse de Nanou, de dissimuler ses objets quotidiens, d’éliminer les détails susceptibles de raviver les chagrins. Il culpabilisera à chaque seconde, en exorcisant les lieux de la présence sacrée de son inoubliable propriétaire…
Rien que d’y penser, Jade s’est mise à pleurer et Théo a passé un bras autour de son cou.
– Il faut le faire, Jade. Tu comprends, n’est-ce pas ?
Sans prévenir, l’image du vieux fauteuil de rotin dans la véranda s’impose à l’adolescente. Tout déglingué et inoccupé, il n’a plus lieu d’exister. Que décidera son frère ? Probable qu’elle ne reverra jamais le siège fétiche de Nanou . Les larmes coulent de plus belle.
Béatrice a tenté d’accompagner son fils. Mais Théo a été inflexible :
– Non maman, toi tu restes avec eux, a-t-il dit en nous désignant, mon père et moi. Ce sera plus facile avec Michaël. Il n’est pas impliqué lui, vous comprenez…
Le père a gardé les yeux baissés sur son assiette. Gênée, Jade a deviné sa honte. Il se déchargeait sur son fils d’une corvée qu’il se sentait incapable d’assumer. Elle aurait aimé le convaincre qu’il n’a pas besoin d’être toujours un super-héros pour qu’ils l’aiment, mais, avec Nicolas, on n’ose pas dire ces choses-là.
Théo a téléphoné il y a deux jours. Le 1 er août, quand débutaient les congés de leur père. Il leur a fallu quarante-huit heures pour démarrer.
*
Le cœur de Jade bat tellement fort que sa poitrine lui fait mal. La voiture s’est arrêtée en bas du chemin qui grimpe vers l’entrée située derrière la maison. La façade se trouve côté mer. La grosse moto de son frère est garée là, et toutes les fenêtres et la porte sont grandes ouvertes. Jade tente de reculer le moment fatidique.
– Je vais d’abord aller faire un tour sur la plage, annonce-t-elle d’une voix tremblante.
Et sans attendre de réponse, elle commence à marcher dans le sable pour longer le flanc de la bâtisse. La marée descend et une large frange de sable mouillé s’étend entre le muret du jardin et la mer qui reflue paresseusement. Jade enlève ses chaussures et franchit le portillon. Tête baissée, elle marche un moment dans l’eau tiède. Puis elle prend une profonde inspiration et se décide enfin à lever les yeux sur la maison.
Dur dur ! Elle ne s’en sortira jamais.
Non, ne pas capituler ! Elle fixe les vieilles pierres sans faiblir. Si elle a très mal maintenant, si elle se force à souffrir encore et encore, ça ne pourra plus être pire ensuite…
Et soudain, surprise ! A la peine qui la meurtrit depuis deux mois, se mêle un timide espoir. Ici, c’est chez elle. Et quoi qu’il lui en coûte d’y vivre sans Nanou, elle va devoir apprendre à faire avec ! Peut-être même qu’un jour, elle acceptera avec reconnaissance d’y retrouver l’

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