La Desistence
144 pages
Français

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La Desistence , livre ebook

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Description

Il s’agit ici d’un contrôle plus efficace que celui décrit par Georges Orwell dans « 1984 » ; plus intime encore que celui qu’on trouve dans « 2084 » par Boualem Sansal. Lui résister devra donc passer par une attitude extrême...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 septembre 2016
Nombre de lectures 2
EAN13 9782312047447
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Desistence
Rémy Roussetzki
La Desistence
LES ÉDITIONS DU NET 126, rue du Landy 93400 St Ouen
© LesÉditions du Net, 2016 ISBN : 978-2-312-04744-7
The Time is out of joint. O cursed spite That ever I was born to set it right. Shakespeare,The Tragedy of Hamlet
Le temps est sorti de ses gonds. Quel malheur Qu’il me faille le remettre en place. Traduction de l’auteur.
Chapitre 1
Etienne s’assoit dans le compartiment et sa première réaction au contact douillet du velours synthétique sous ses fesses est de penser : il ne faudrait pas se plaindre, c’est mieux que les trains qui allaient à Auschwitz. Chacun son siège, enfin, presque. Chacun sa place, et puis, c’est propre. On n’est pas traité comme du bétail. Non, pas comme des animaux – mais comme quoi, alors ? Etienne se réfugie à l’intérieur de lui-même. Au moins, il semble encore permis de penser sans que personne n’interviennepour vous en empêcher. Vous les troubler, ces pensées qui ne sont déjà pas si claires. Sommes-nous des prisonniers de l’ère digitale, des déportés du cybernétique ? Mais nous ne sommes pasprisonniers. Pas exactement. Aucun garde n’est venu avec des chiens nous pousser dedans à coups de crosses. Pas nécessaire puisque nous suivons le mouvement. Nous arrivons là où la marée humaine nous charrie. Il serait impraticable et peut-être risqué de remonter le courant. Tiens, d’avoir refusé de rester dans ce train une seconde de plus. D’avoir essayé de sauter par la fenêtre, de s’être faufilé à rebours de la file qui venait occuper les places assises, les gens se bousculant pour arriver les premiers. Au risque… Au risque de quoi ? Des agents seraient-ils intervenus comme lors de la confiscation ? Disons que cela aurait réclamé du courage, de remonter le courant, d’avoir redescendu le marchepied contre la multitude qui montait, pour se retrouver à nouveau dehors, seul, sur l’asphalte d’un quai de gare. Maintenant, bien sûr, il est trop tard puisque nous fonçons à travers les gares de banlieues. Mais toujours est-il que nous ne sommes pasenfermés, les portes de notre wagon ne sont pas verrouillées. Pour preuve, certains ont été admis à l’intérieur jusqu’à l’ébranlement, d’autres ont sauté sur le marchepied et se sont tenus debout dehors tandis que la machine s’emballait déjà. Ensuite, lorsqu’on a ralenti, ils se sont faufilés à l’intérieur.
Chapitre2
Le train était bondé, plein d’hommes et de femmes, quelques enfants et, dans son compartiment, une adolescente. Sur l’avant et l’arrière du wagon, et devant les portes, des personnes se tenaient debout ou avachies au sol. On évitait de les regarder, pour ne pas avoir à confronter leur regard d’envie et de reproche. Par la suite, certains parmi eux auront les moyens de se payer une place assise, puis ils reviendront se tenir debout, ou s’avachir. S’asseoir sur une banquette se vendra à la minute. Le train allait si vite que, en très peu de temps, Etienne crut reconnaître les blés autour d’Auxerre, puis Mâcon entre les collines boisées. Bientôt, s’il en était ainsi, viendraient les tourelles, les ogives et les flèches s’élevant dans le ciel de Dijon. Il se rappela que quand son père prenait l’Autoroute du Sud, après Lyon dans la brume, Valence laissait tout d’un coup un grand soleil illuminer le paysage méridional. La France basculait dans une douce chaleur, les champs de tournesols, les vignes et un ciel tout bleu… Sauf qu’ici on passa peut-être bien par Dijon, mais ensuite le paysage cessa d’être lisible à ciel ouvert. Etienne ne comprit plus rien aux montagnes et aux vallées qui défilaient à grande vitesse. Et il n’était pas le seul. À les voir paniquer, il était clair que personne parmi les gens assis autour de lui ne parvenait à s’orienter dans le défilé de collines, champs cultivés ou sauvages, vieilles montagnes et jeunes vallées qui se développait de l’autre côté des fenêtres panoramiques. Les uns disaient qu’on était en Allemagne, en Suisse, en Autriche, au Lichtenstein ; d’autres au contraire qu’on avait bifurqué et était monté sur la Belgique, alors que pourtant chacun sait que la Belgique est plate. Cette interrogation, cette angoisse qu’on ressentait à ne pas comprendre où on allait, unirent soudain des visages qui s’étaient instinctivement évités, regardés, sinon avec suspicion, du moins une certaine gêne. Une sorte d’entente sourde, le sentiment qu’on entrait dans un abîme. C’est à ne pas croire, pensait Etienne, qu’en plein cœur de l’Europe, juste aux portes de la France, il y ait un monde aussi inconnu. Peut-être qu’on leur passait un film, voilà, un film digital en 3D si bien fait que le paysage y apparaissait en profondeur et plus vrai que le vrai. Mais d’un autre côté, vrai ou pas vrai, filmé ou pas, c’était un drôle de paysage, et qui retenait l’attention. Les verts tendres de l’herbe drue et humide sur les bas-côtés, le brun foncé de l’écorce mouillée des arbres, chaque caillou reluisant dans la lumière acide d’une fin d’orage, et là haut, le gris effiloché et cotonneux des nuages… tout cela était si captivant, qu’Etienne se demandait si les autres voyaient bien la même chose que lui. Peut-être, en gros, oui, ils voyaient le même paysage triste, et quand on approchait d’une agglomération, les mêmes hautes cheminées noires, les gratte-ciels lugubres en premier plan, avec au fond, coincée dans la vallée serpentine, la même zone industrielle. Mais dans le détail, lui, Etienne Frumm, s’arrêtait àcettevolute baroque danscenuage, cette nuance de bleu aigu dans le ciel – qui étaientsiennescar relevant de la sensibilité qui le caractérisait, lui, Etienne. Sauf que cette conclusion était sans le moindre intérêt en l’occurrence car on pouvait dire cela de n’importe quel paysage traversé par lui. Ceci pour conclure que le paysage de campagne et de zone urbaine se déroulant de façon inhabituelle à l’extérieur de leurs vitres pouvait bien être tout à fait réel.
Chapitre3
Combien étaient-ils ? Plus d’une soixantaine par wagon. Pas tant que ça, mais il était clair que ce wagon n’avait pas été conçu pour tant de monde. Et ne voulait d’ailleurs pas donner l’impression qu’il fût conçu pour tant de monde car c’était du haut standing. Chaque compartiment (6 par wagon), n’accommodait que 8 personnes, 4 sièges bien marqués dans le molletonage de la banquette. Aucune raison de penser que les autres wagons soient différents. Combien de wagons ? On n’en voyait pas la fin dans les courbes. Donc, nous sommes 48, plus les avachis. Disons, en fait, une vingtaine d’avachis, 70 par là… Où allaient-ils ? Et pourquoi les avait-on mis dans ce train, pourquoi eux ? Entre une adolescente aux cheveux poil de carotte, comme il y en avait une assise deux sièges à droite de lui, et lui, Etienne, un homme de plus de cinquante ans bedonnant et grisonnant, quoi de commun ? D’autres rails sur d’autres voies partaient ou bien venaient se fondre rapidement dans la leur. C’était sans fin le même talus de graviers et de broussailles reluisant dans une lumière acide de fin d’orage, la même écorce violacée des arbres imbibés de pluie. Il se perdit dans le brouillard des poteaux et s’endormit. Quand il se réveilla, Etienne trouva la campagne plantée de pancartes amovibles sur lesquelles apparaissaient des images changeantes comportant parfois des mots écrits ne les concernant pas, eux, ceux du train, et ayant sans doute cessé de concerner quiconque. Des morceaux de noms passaient rapidement dans l’écran alors qu’on allait plus rapidement encore en sens inverse. Certains parmi ces vocables semblaient correspondre à des localités, des villes, des agglomérations qu’Etienne devait bien supposer avoir été autrefois peuplées, grouillantes et florissantes, et maintenant inexistantes et seulement mythiques, c’est à dire utilisées à des fins publicitaires… On approchait de Zurich, puis de Frankfurt, des villes qui existaient pour de vrai, elles. Mais aussitôt, les choses prirent une tournure plus slave et on entrait soit en Pologne, soit en Yougoslavie avec Jvitvsk, Lublonic, Zmetinski… bien qu’Etienne doutât qu’il s’agisse de villes existant ailleurs que sur une vidéo de pub ambulante. Le plus déroutant, c’étaient les aspects désuets, défaits du paysage. Les poteaux, les pancartes, et au loin, les lignes électriques, les cheminées, les écrans géants, les routes, les voitures parquées devant les supermarchés – tout était fatigué, rouillé, en état avancé de détérioration. Outre la direction qu’on prenait dans ce tombereau de train, une question leur restait dans la gorge, leur faisait monter la salive et fermer les lèvres : mais qu’est-il donc arrivé ici ? Chacun s’arrangeait pour éviter l’interrogation inquiète, le visage blême et défait des autres. À la dérobée on entrevoyait à coté de soi une mâchoire serrée, un poing crispé à rentrer les ongles dans la peau, des yeux aveuglés par la peur. Il était évident qu’il ne s’agissait pas d’un film sophistiqué car les fenêtres coulissantes devaient être refermées aussitôt qu’ouvertes. Elles laissaient entrer un vent torturé qui leur sifflait des notes hurlantes aux oreilles. Dehors, ce n’était que crissement de roues sur les rails et vent qui fouette la machine.
Chapitre4
Assis coincé dans son coin feutré près de la fenêtre, Etienne ne se plaignait pas, même après trois heures resté sans boire ni manger (ni être allé au petit coin). Ce train avait beau avoir l’air ultra-moderne, un TGV dernier cri, chaque place avec sa tablette amovible, entourée de panneaux gris et bleus, et d’un matériau apaisant, avec au-dessus de chaque siège un mini-écran offrant des boutons qui se laissaient toucher… le fait est qu’on n’y annonçait pas de wagon-bar et ne recevait la visite d’aucun personnel. Et pour autant qu’on puisse voir, il n’y avait pas de toilettes ! C’est comme ça. Pour le moment, on ne veut pas que nous ayons accès à des réconfortants, et encore moins des accommodations. Etienne leva le nez et s’amusa du fait que les élégantes partitions aménagées dans les hauteurs du compartiment étaient inutiles : ils n’avaient pas de bagages. Mais elles donnaient l’illusion d’un voyage d’agrément. Elles étaient comme le capitonnage des sièges, les mini-écrans aux murs et les couleurs pastel. Il fallait donner l’illusion d’un voyage d’agrément. Mais la donnerà qui? Avachis ou assis, personne ne se berçait d’illusion. Ils n’étaient pas là pour leur agrément. Arrachés de leur sommeil en pleine nuit, ils n’allaient pas vers une destination heureuse, mais comme des feuilles secouées de la branche et jetées dans la tempête par une main indifférente à leur sort et cruelle envers chacun d’eux. Juste à côté de lui, à son épaule gauche se tenait un de ces écrans encastrés dans le mur. Dés qu’on approchait, il en sortait un clavier aux touches larges, bien adaptées à vos doigts – à la forme même de vos doigts, qu’ils soient carrés, ronds, minces ou bien gros et boudinés. Mais l’adolescente poil de carotte et son frère idiot assis en face avaient beau s’acharner sur le clavier qui leur correspondait, les touches n’effectuaient pas les fonctions qu’ils tapaient. On pouvait toujours taper, rien n’en sortait. Cette haute technologie inaccessible était agaçante et Etienne s’imagina manier un de ces bons vieux outils tels qu’un marteau ou une manivelle, et fracasser le mur. Il lui arrivait encore de se demander si tout cela n’était pas un cauchemar. Peut-être, mais pas un cauchemar au sens ordinaire, c’est à dire habité par lui seul. S’ils rêvaient tous éveillés – ce qui était possible car la notion même du possible s’était élargie aux yeux d’Etienne depuis sa confiscation – s’il s’agissait d’un rêve, c’était un mauvais rêve partagé et par bon nombre. Tous autour de lui avaient une tête hagarde, livide – femmes et hommes, petits et grands – les yeux hors de la tête, une immobilité forcée. Le regard douloureux car ouvert sur un intérieur rempli de suppositions, d’hypothèses et de débuts de réponse qui s’effritaient et les laissaient crouler plus bas dès qu’ils s’appuyaient dessus. Il s’échangeait, d’ailleurs, très peu de mots articulés. Des onomatopées, des exclamations, des soupirs de fatigue, des grognements. Etienne mit du temps avant de connaître les noms de ceux immédiatement autour de lui. Tous serraient les gencives pour mieux conserver l’énergie vitale qui leur serait bientôt nécessaire. Devant lui, assis en sens contraire du mouvement, il y avait un type d’une quarantaine d’années. On aurait dit qu’il souriait malignement de tout ce qui arrivait, comme s’il l’avait prévu et pire encore. Sorte de mauvais prophète, les yeux bleu clair derrière de fines lunettes sans support, les blue jeans fendus et rapiécés, baskets à moitié lacées, grand, mince et dégingandé. L’air d’un Américain revenu au vestimentaire, peut-
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