LE Meunier de la pree ronde
270 pages
Français

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LE Meunier de la pree ronde , livre ebook

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Description

Déçu de sa mauvaise étoile, Pierre Thibaudeau s’embarque pour le Nouveau Monde, une Acadie encore toute naissante. Lui-même début vingtaine, il compte y exercer son métier de meunier et fonder une famille. Mais il n’a qu’une vague idée du labeur qui l’attend et de la guerre que se font Anglais et Français pour la possession du territoire ; et il est à cent lieux d’imaginer que le roi Louis XIV lui donnera une seigneurie, que ses descendants se feront outrageusement voler leur héritage, et que, des centaines d’années plus tard, son nom figurera parmi ceux des fondateurs d’un pays.
C’est toute l’histoire de l’Acadie que l’auteur nous raconte, du point de vue de quatre hommes unis par les liens souvent discordants mais toujours indestructibles entre père et fils. Et c’est précisément
ce point de vue de générations d’individus soudés à la communauté par instinct de survie, que l’auteur s’est efforcé de reconstituer le plus fidèlement possible, sachant que, s’il est nécessaire de rendre
compte avec précision des événements historiques, il est encore plus captivant de voir, par exemple, l’exutoire trouvé par un sportif boute-en-train d’aujourd’hui né dans une colonie du dix-septième siècle, ou les recours d’une femme dont le mari batifolait avec une autre femme de la même maisonnée, ou ce qui bouillonnait dans
le coeur et dans l’esprit des hommes pendant leur réclusion dans l’église de Grand-Pré. S’ajoute à cela une qualité d’écriture rappelant celle des auteurs romantiques qui ont su le mieux raconter cette époque, mais sur l’ancien continent.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 novembre 2020
Nombre de lectures 2
EAN13 9782925117025
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1300€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Première partie
1 pierre
P ar une journée de mars 1654, deux hommes discutaient dans une auberge en bordure du port de La Rochelle.
Le premier se nommait Emmanuel Le Borgne. De stature imposante, il posait les yeux tantôt sur les feuilles qu’il tenait d’une main plutôt habituée à tenir l’épée, tantôt sur l’aubergiste qui vaquait à ses occupations, tantôt encore sur le deuxième homme.
Ce deuxième homme, de la même taille que Le Borgne, avait une silhouette beaucoup plus frêle qu’excusait sa jeunesse, mais que compensaient la bouche étroite et le regard droit de la résolution.
— Donc, tu n’as ni femme ni enfants, mais tu laisserais derrière toi tes parents, tes amis, ta patrie, pour venir avec moi de l’autre côté de la mer m’aider à bâtir un nouveau monde, résumait Le Borgne. Tu sais que tu ne pourras point revenir avant trois ans. C’est la durée du contrat. Tu sais aussi que les hivers là-bas sont rigoureux. Tu vois comme nos rues sont sèches depuis quelques semaines ? Là-bas, elles seraient enneigées. Et je dis seraient, car il n’est point de rues. Il n’est point d’auberge non plus. Il n’y a que le travail de la terre. Mais aussi, l’office du dimanche, ajouta-t-il en baissant la tête avec respect. Tu es bien catholique ? Sa Majesté le roi ne veut que des sujets catholiques en son nouveau pays.
— Je suis catholique.
— Parfait ! Pour ma part, je ne veux que des sujets loyaux. D’autres comme toi ont cru qu’il n’y avait plus d’issue en France pour eux, qu’ils avaient tout vu, tout essayé, alors qu’ils n’avaient même pas idée du visage de notre roi et n’avaient seulement jamais mis le pied dans Paris. Alors ils m’ont accompagné. Mais ils ont voulu revenir au bout d’une saison, au bout de quelques jours, en s’embarquant sur des bateaux de pêcheurs qui regagnaient notre continent ou, s’ils étaient moins chanceux, sur de pauvres bateaux de sauvages. Et j’ai dû faire une croix sur l’avance que je leur avais versée. Pourtant, la terre d’Acadie est cent fois plus riche que la terre de France. Et pour ce qui est du froid, on n’a qu’à s’habiller plus chaudement. On se drape de fourrures, vois-tu. Que sais-tu faire ? As-tu un métier ?
— Je suis meunier.
— Nous avons besoin de meuniers ! Mais tu ne seras point meunier en arrivant. Es-tu assez robuste pour labourer un champ à toi seul ?
— Pas en une journée. Mais à temps pour les récoltes. Et sachez que j’ai bonne idée du visage de Sa Majesté. Il n’y a que la couleur de ses yeux que je n’ai point vue, pour ce qu’elle dormait.
— À temps pour les récoltes : j’aime ta réponse. Alors je t’engage, déclara Emmanuel Le Borgne. Tu recevras une avance de trente livres tournois sur la somme totale de huitante livres par année. Ton aller et ton retour seront payés. Tu seras logé et nourri sommairement par une famille déjà installée, mais tout cela, tu devras le gagner par ton labeur. Cela te convient-il ? As-tu des questions ?
Une longue inspiration précéda les paroles du jeune homme.
— Quand vous dites « les sauvages »… parle-t-on de monde dangereux ?
— Non, fit aussitôt Le Borgne. Les Mi’kmaq et les Malécites sont nos amis. Nous pratiquons un commerce constant et facile avec eux. Le danger vient plutôt des Anglais. Ceux-ci croient avoir des droits sur nos terres, pour ce qu’un dénommé Giovanni Caboto, un Italien à leur service, les aurait parcourues avant Cristoforo Colombo, un Italien au service de l’Espagne. Mais ni les Espagnols, ni les Anglais, ni même les Italiens n’ont jamais songé à les exploiter avant notre arrivée. Et des trois peuples, seuls les Anglais ont encore du regret. Mais puisque la France et l’Angleterre sont en paix depuis quelque temps, tu ne devrais point te faire de mauvais sang.
Le Borgne attendit une prochaine question puis, comme elle ne venait pas :
— Le roi dormait ? reprit-il en alignant ses feuilles devant lui. Tu l’as donc vu voilà quatre ans, n’est-ce pas ? Ce devait être lorsque la petite famille était retenue prisonnière au Palais Royal par le Parlement, et que la reine voulait rassurer le peuple en lui montrant un roi de douze ans qui ne songeait pas le moins du monde à s’enfuir pour rejoindre le cardinal Mazarin. Il faisait semblant de dormir. Qui diable pourrait dormir devant un défilé de spectateurs ? Le départ se fera demain à bord du Châteaufort . Apporte ton habillement le plus chaud, car le voyage durera plus d’un mois et le vent est glacial en mer. Quel âge as-tu ?
— Si le voyage dure plus d’un mois, j’aurai vingt et trois ans accomplis à bord du Châteaufort .
— Donc, tu en as vingt et deux. Mais devrais-je inscrire vingt et deux ou vingt et trois sur le contrat ? Bon, allons pour vingt et trois, puisque cette copie a trois ratures. Et tu te nommes Pierre, m’as-tu dit. Mais Pierre comment ?
Et comme la réponse tardait :
— Quel est ton autre nom ? demanda Le Borgne en levant sa plume et ses yeux.


2 Son père
S i on regarde une carte, on verra que La Rochelle, où Pierre venait de tirer un trait sur sa première vie, se trouve à la limite d’une ancienne province de France nommée le Poitou. La totalité des hommes qui s’embarqueraient avec lui à bord du Châteaufort , ainsi que la plupart des Acadiens qu’il rencontrerait en mettant pied à terre, venaient de cette région. Cependant, Pierre ignorait dans quelle ville précisément il était né, son père optant parfois pour Luçon, parfois pour Poitiers.
C’était un chirurgien. Il avait pratiqué sa science en nomade, veillant tout d’abord sur la santé du baron Hercule de Charnacé quand celui-ci, ambassadeur de Louis XIII, était allé conclure une alliance avec le roi de Suède ; puis l’accompagnant jusqu’aux Pays-Bas espagnols ; puis, après que le baron eut été tué d’un coup de mousquet, accompagnant le commandant d’armée Urbain de Maillé dans ses batailles contre l’Espagne ; puis enfin, accompagnant d’Artagnan : oui, le fameux capitaine des mousquetaires, dont il avait guéri les blessures. Sauf qu’avec cet itinéraire digne des plus honorables membres de sa profession, son père n’avait jamais trouvé le temps, ou le goût, de s’occuper des siens.
Donc, Pierre était venu au monde, et son père était ailleurs. Sa mère était morte peu après son accouchement, et son père n’avait pu la soigner, lui pourtant mieux qualifié que quiconque. Pierre avait été sauvé de l’orphelinat par son oncle Mathurin, le frère de sa mère, un meunier de Moutiers-les-Mauxfaits, et son père s’était contenté de lui verser une pension.
C’est avec son oncle qu’il avait appris le métier de meunier. Ses jeunes années n’avaient été troublées que par deux malheurs : celui d’être arraché à sa famille d’accueil pour être admis au séminaire du Saint-Sulpice sous l’ordre de son père absent ; et celui, beaucoup plus vaste, beaucoup plus cuisant, de ne partager avec l’auteur de ses jours que le blâme pour la mort de sa mère.
Puis voilà quatre ans, une invitation lui était parvenue de le rencontrer à Paris et de passer du temps avec lui. Gonflé d’une fierté subite et d’un espoir presque douloureux, il avait emprunté à son oncle son meilleur cheval et franchi, en onze jours, les cent lieues qui le séparaient de la ville. Mais c’était pour apprendre, en arrivant, que son père avait dû partir avec la suite du cardinal Mazarin, exilé.
C’était une époque cahoteuse où le Parlement reprochait à la royauté d’accorder trop de place aux nobles et au clergé. C’était une époque appelée la Fronde qui, traversée par les guerres contre l’Espagne, achevait d’exaspérer le peuple et générait un engouement pour le Nouveau Monde.
Il ne restait plus à Pierre qu’à visiter le cœur de la ville royale avant de retourner piteusement chez son oncle. C’est à cette occasion qu’il avait vu le jeune Louis XIV, son cadet de sept ans, dormir devant la foule, ou plutôt faire semblant de dormir, car il s’agissait ostensiblement d’une mise en scène.
Et maintenant que son père venait de mourir, Pierre n’avait plus espoir de le connaître jamais. C’est ce qui l’avait poussé à mettre à exécution le projet qui le tourmentait depuis plusieurs années, celui de tout laisser derrière lui, tout ce qui évoquait cette triste histoire de père invisible. Alors bien entendu, il ne pouvait tout laisser, mais garder son nom ?… Il lui fallait en prendre un autre. Celui de son on

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