Les Paradis perdus
302 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Les Paradis perdus , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
302 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

« À l’heure où de nouvelles pensées posent des œillères sur les yeux des hommes et rendent les merveilles invisibles, enfant, je te donne la vue que tu transmettras à tes descendants. Jamais vos esprits ne seront ceints de frontières. Tu verras les prodiges que les autres ne verront pas. Et tu les conteras. Maintenant, va, joue ton rôle, parcours ce monde, cultive ton art et surtout, fais-en bon usage. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 31 décembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334073394
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
CopyRight
Cet ouvrage a été composér Edilivre 175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50 Mail : client@edilivre.com www.edilivre.com
Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
ISBN numérique : 978-2-334-07337-0
© Edilivre, 2016
Pour Lucie, Pour Kassandra, Pour Léa, qui avez connu les premiers moments de vi e de ces petits personnages de papier, et qui avez été les première s à leur donner vie en les rencontrant.
En adressant mes remerciements à Dalila qui m’a aid ée à prendre confiance en mon écriture durant ses ateliers, ainsi qu’à M.D ucom pour m’avoir encouragée à partager mes écrits avec les autres.
Enfin, pour tous ceux qui ont su m’inspirer ou me s outenir pour terminer ce projet.
Prologue
« Foutez-lui la paix ! Vous voyez pas que vous êtes en train de le tuer ? Foutez-lui la paix, je vous dis ! – Mais c’est qu’elle montrerait les dents, la petite ! Ingrate ! » Elle m’avait envoyé rouler par terre d’un revers de gifles. « Vous avez de la chance d’être là, vous deux ! Tu sais ce qu’elles deviennent,sinon, les créatures comme vous ? » Par la fenêtre, derrière elle, on voyait les chemin ées, dehors. Je n’avais rien dit. Elle avait eu un sourire de triomphe. Un large sourire desaurien. Puis elle était sortie. Daphnis était sous la lucarne. A côté de la pierre sculptée avec des monstres mythologiques. Il m’avait dit qu’avant, les créatur es magiques marchaient, nageaient, volaient sur cette terre parmi nous. Un jour, elles furent menacées d’extinction. C’est pour cela qu’elles se changèrent en pierres. En dessins immuables pour gr aviter désormais dans les imaginations. Là où on ne pourraitplus jamaispourchasser. les Plus jamais! Là où on sesouviendraitd’elles. Il souffrait sous ses fards ! Il en pleurait. J’en suis sûre. Je l’ai serré dans mes bras. « Je les laisserais pas te détruire ! On va libérer les autres. On va partir. On sera plus jamais des bêtes curieuses.Plus jamais! – Partir où ? On n’a nulle part où aller… » Il s’affaiblissait. Je le voyais. Et c’était invivable. « On part ! Je t’en supplie, Daphnis ! Renonce pas ! Souviens-toi de notre Atlantide, souviens toi de nosracines, de cetteterre de nos ancêtresdont tu me parlais quand c’était moi qui perdais espoir ! Bientôt, on sera libres,libres! » Déjà, il crachait du sang. Le début de la fin, comme ils disaient.
* * *
« Oh la sale gosse ! Elle est encore sortie sous la pluie ! Au dortoir ! Dépêche-toi ! Tu vas attraper la mort ! – Oh, mais je l’ai déjà attrapée, la mort, et plusieurs fois ! Tu sais bien qu’en course à pied, c’est toujours moi qui gagne ! D’ailleurs, je lui ai même donné un gage… »
En fait, je n’ai rien répondu. La dernière fois, c’est comme si j’avais été une bo mbe ; au moment précis où elle explose et souffle tout ce qui l’entoure… Commeomme si j’avaisça. D’un coup. Sans que personne ne s’y attende. C été… Peu importe ! Je m’en fiche de ce que j’ai pu être. Quand cette femme en blouse blanche est entrée dans ma chambre avec son plateau garni, comme tous les jours quand elle m’a dit : « Allez mange ! Regarde comme t’es maigre ! » Je me suis jetée sur elle. C’est le plateau qui a tout pris. Je me suis vengée sur les assiettes que j’ai fracassées l’une après l ’autre sur le parquet
soigneusement ciré. Fracasséesdélectation comme ces vessies qu’ils avec explosaient pour s’entraîner… Elles vomissaient pour moi leurs mixtures bourratives destinées à étouffer mes voix intérieur es. Encore une fois, elles ont été les plus fortes. J’ai continué en piétinant les débris de mon carnage. Des morceaux de porcelaine me tailladaient les pieds ; les fruits éclataient sous mes talons, mes orteils giclaient dans les sauces. Ma c hemise, mes mollets étaient maculés de cette charpie organique. Une peinture ab straite de ce que j’avais dans les tripes, peut-être. Cette femme ! Je la secouais ! Je la secouais jusqu’à ce que sa tête, son cou, ses bras dessinent des courbes dangereuses. « C’est pas de bouffe dont j’ai besoin ! Tu penses qu’à nous engraisser comme des porcs ! Qu’à me bourrer pour ne pas voir que jemeurs! C’est comme les fleurs que tu noies dansl’eau.Alors que ce qu’elles ont besoin, c’est desoleil. C’est ça !De soleil! Moi c’est pareil. J’ai pas besoin de ça.Pas besoin de ça ! » J’ai fini par la lâcher. J’avais des fourmis dans l es yeux, dans les mains… Pourtant, je continuais, je ne pouvais plus m’arrêter. « Ce dont j’ai besoin, c’est pas d’embourber mes ma xillaires dans du cadavre ! Ce que jeveux… C’est juste…Quelqu’un. Quelqu’un qui me réapprenne la confiance. Quelqu’un qui me prenne pa r la main et me dise regardei sculpte de la vie” en me montrant la beauté des choses. Quelqu’un qu dans mon cœur vide ».
* * *
Je me suis enfuie. Une fois de plus. J’ai trouvé refuge dans mon coin, là dans tilleul d e la maison abandonnée. Tournant et retournant ma petite chaîne entre mes mains.« La médaille magique qui transforme le mal en bien », comme il m’avait dit. Il me l’avait offerte le jour où on s’était rencontrés, il y a longtemps, lors d’une de mes fugues hors de cet horrible pensionnat. Quand il était sur scène et que, bien cachée, je l’épiais. Puis quand il venait méditer près des tombes. Je revois sa silhouette élancée. Son sourire. Sa chaleur. Ses blessures aussi. « N’aies pas peur ! Comment tu t’appelles ? – Cloé. (C’est pas vrai. Je m’appelais Cippora à l’époque) – Cloet qui ? – Cloépersonne. – Clo et personne… Si tu le veux, ce sera Clo et mo i. Appelle-moi Daphnis, petite sœur. »
Ici, personne n’oserait me chercher des noises. Les gens racontaient tout ce que vous voulez comme abominations sur cet endroit. Ils l’appelaient lamaison du crime et disaient qu’elle était hantée.Hantée! Ils ne savent pas ce que c’est qu’une véritable hantise ! Debout, contre le mur, jamais je ne me lassais de c ontempler la cabane de planches branlantes au fond du jardin, les cordes g risâtres de ce qui furent des balançoires, la fontaine à bec de cygne, le rideau de vigne vierge pendant d’une poutre… Ces ruines si familières… Le soleil se couchait. Ça fait combien de temps que je vis ma vie d’animal nocturne ?, Je me
demandais comme je me demande encore des fois… Un bruit spongieux avait accompagné ma chute sur le sol détrempé. A chaque pas, mes orteils pataugeaient au bout de mes chaussures. Un volet avait claqué. Me précipitant sous la fenêtre responsable, je m’étais hissée sur le rebord et avais collé mon visage contre le verre. Tout ce qu’on peut voir dans l’ombre de carreaux cr asseux ! Des esprits en tous genres. Des visages d’enfants du passé – à moins que ce ne fut la petite fille du reflet… Les palpitations fantomatiques des pierres crayeuse s et poudreuses… Les plantes grimpantes s’abreuvant des rires d’hier et d’aujourd’hui pour les confondre en un instant de rencontre avec un inconnu arborant nos traits… J’ai essuyé la vitre avec ma manche. J’ai distingué un homme assis sur une chaise vide, la courbe d’une femme tricotant près de la cheminée… Le battant s’était ouvert. Je suis rentrée. Il n’y avait personne, si ce n’était l’odeur âcre, rance de cendres et de chair inerte o ù se mêlaient des fragrances sucrées de lavande, de patchouli, de menthe… Soudain, j’avais entendu des notes dans le couloir. Quelqu’un jouait de la musique… Le cœur comme un fauve enragé derrière les barreaux de ma cage thoracique, j’ai suivi la mélodie. Un musicien avait installé son piano à la cave. Jus te sous la croisée d’ogives. Au milieu, il jouait. Il jouait les compagnons, les gueux, les bâtisseurs, les croisades, les guerres et le droit d’asile. Il joua it les incendies et les fêtes de moissons, les croyances populaires, les sylphes et les pixies. L’avant. J’ai pas osé rentrer. J’avais peur. Non. C’est pas ça avoirpeur. En fait, je crois que je n’osais pas briser l’espac e ; bousculer la danse des notes. Perturber leur histoire. Il m’aurait incendié, le musicien ; et ça aurait été légitime. Je ne voulais pas prendre de risque. Assise sur la dernière chaise comme si c’était la s eule de libre. Car c’étaitla seule. Lamienne. Au milieu des visiteurs venus de tous les mondes. Avec de grands gestes de magicien, il a fait frémir les touches. Alors l’instrument a pris vie. Un serpent rouge, épais comme un tronc d’arbre, a déroulé ses anneaux lentement en gémissant. Puis le vent a rugi. J’ai vu des oiseaux voler en spirale. Vite, vite ! De plus en plus vite . Une tornade d’oiseaux. Des oiseaux aux ailes tranchantes. Des oiseaux aux aile s d’acier. J’ai fermé les yeux. J’ai entendu les airs jazzys se transformer en halè tements de machines de guerre. Des taches rouges dansaient sous mes yeux tellement je serrais les paupières. Des braises se rallumaient quelque part dans mon corps. Non ! C’était pas possible.Pas possible!
* * *
En fuite. Courant sur les rails de la Voie Qui Ne Mène Nulle Part. « Ton ami est mort »Mort! MORT ! Mon bras me faisait souffrir. Quatre vers bleus grouillaient dessous. On venait de me les tatouer.
« Tu n’as pas été sage ! Tu as encore voulu t’évader ! On t’avait prévenue ! » Le drapeau du centre de commandement s’agitait sous les rafales maussades : un hideux arachnide estropié roulant da ns une flaque sanguinolente. Debout dans une boîte noire. Marchant de long en la rge dans l’obscurité. Au pied d’un mur immense. Couleur rouille, comme les m achines à tuer qui pourrissent dans les sous-sols des arsenaux. Entre les briques entassées à la hâte – comme si les constructeurs devaient rapidement en finir – quelques petites fleurs rouges. Petites pousses de mouron sur les murs du mouroir. J’avais quitté mes souterrains etj’avais vu. Oui, j’ai vu leurs visages. Je les ai vus me regarder. Suivre mes pas sur le bitume recouvert de poussière. Au début, j’avais attendu qu’ils bougent. Un hochem ent de tête ? Un clignement ? Non.Rien.leurs Seuls yeux. Leursvisages. Leurs commissures crispées sur leur douleur. Ce qu’ilsétaient. Fiers. Ombres, lumières. Carbonisés contre les murs de chaux. Leurs histoires. Ce qu’ils furent. J’ai entendu leur chant, leurs battements vasculair es, leurs pas, leurs courses. J’avais vu. J’avaisentendu. J’ai vu les yeux de l’homme dans la cage de bois. Et les échardes sur sa figure. J’ai senti leur sang se battre pour ne pas qu’on le chasse de leurs cœurs. Qu’ilsne le chassent de leurs cœurs. Ils.Eux. Ceux qu’on sentpartout. Qu’on ne veut pas voir. L’invisible angoisse s’infiltrant lâchement dans les entrailles. J’ai vu. J’ai entendu mon souffle. Le jour allait se lever. Au loin, je voyais déjà le soleil rouge inonder le ciel. Toute sa sève couler dans les étoiles. Ma peau alla it brûler, se couvrir de plaques. De plaques rouges et mordantes. Chaque ray on tel un coup de glaive. Et alors ? Après tout, qu’il me crame une bonne foi s pour toutes, ce soleil ! Allez ! Comme ça je saurai jusqu’où, jusqu’à quand je peux tenir loin de mon obscurité ! J’ai mis la tête dans mes genoux. Mes cheveux blanc s renversés en arrière. La nuque découverte, offerte au couperet. J’avais honte. Honte de vivre encore, moi. Honte de mon monde souterrain, de mes étoiles filantes. Honte d’être couleur blanc -peur. Pas blanc pur, non. Blanc-peur. Albinos de cœur ! Fuyant comme un lézard des cavernes. Les lézards blêmes aux yeux rougis. Ceux qui ne voient jamais le soleil. Ce foutu soleil ! C’est lui qui rend fous les homme s ! Il les nargue, caracole tout puissant dans son char, accroché là-haut, en s écurité. A regarder les hommes se battre pour l’égaler. Méprisant. Il n’oserait pas poser un seul orteil sur la terre, ce couard ! Il les dessèche, il les assoiffe, les crame, ou mie ux : il les fait se cramer entre eux. Comme ça, il n’a qu’à regarder le spectacle, s e repaître de sang et resplendir, gros et gras sur son trône. Tout puissant soleil…! C’est ridicule ! Il y en a des milliards, de soleils Pff dans l’espace ! Et même des plus jeunes, des plus g rands, des plus vaillants ! Peut-être même des meilleurs. Qui rendent heureux, gentils, qui font pousser les fleurs, les fruits. Qui
sourient, font danser chanter. Qui ne brûlent pas la peau, mais la colorent… Devant moi, les cheminées se dressaient vers le cie l gris. D’immenses trachées difformes. Ce qui reste des têtes arrachée s d’une hydre monstrueuse. Cette hydre agonisait. Vomissait en spasmes de fumé e noire les débris de sa dernière ripaille. Quelqu’un était étendu à terre. Un dernier bouillonnement de sang est sorti de sa blessure béante. Les yeux grands ouverts, j’ignorais alors que ce pa ysage de charpie se gravait dans mes prunelles. C’était terminé. Cette fois, j’en étais sûre. Je le savais. Je n’entendais plus rien. Rien que le bruissement de ma respiration légère… Légère…
* * *
Il m’avait dit, Daphnis, que jamais il ne se marier ait. Qu’il ne m’abandonnerait jamais. Il me disait qu’on vivrait ici pour toujour s, lui et moi, et les gens qui nous aimeraient. Qu’il ne me laisserait jamais toute seule. Jamais ! On prenait la pente crayeuse, accidentée, jusqu’en haut de la falaise, là où le roc s’est coupé d’un choc, comme si un géant avait croqué dedans du temps où ils existaient encore. Il paraît que la craie des f alaises, c’est tout ce qui reste aujourd’hui des animaux disparus. Un résidu d’ossem ents durs, poudreux, friables et volatiles. Si Daphnis l’avait su ! Il se serait arrangé pour l es faire revivre ! Il m’aurait appris une danse d’incantation, on aurait poussé de s cris sauvages au rythme de nos pas ; La terre aurait grondé, les monstres, réveillés aur aient jailli tels des geysers d’écailles, de calcium et de silicates en claquant leurs dents tranchantes… Et on aurait galopé, galopé, galopé… Galopé dans les rues de la ville… et… A l’époque, déjà, j’avais l’impression, en grimpant , quand les graminées sèches me piquaient les chevilles, de marcher sur l e dos rond d’un immense animal sommeillant là depuis des millénaires. On allait saluer les étoiles. Les dernières de l’au be. Les premières du crépuscule. Les doigts solidement liés autour des poignets comm e sur les cadres des fresques gréco-romaines. Il y avait des criquets. I l y avait les lucioles, l’écoulement de la cascade, les vocalises fluides d u rossignol… Alors là, je lui demandais : « Daphnis, tu ne te marieras jamais ? Jamais, il me répondait. – Même si tu rencontres une belle femme ? – Je me fiche complètement des femmes. – Même si c’est la Sombre Passante ? – Androïde misanthrope, androgyne et misogyne ! Ha ha ! » Il déclamait en tournoyant et se laissait dégringoler dans la pente. A chaque fois, il faisait semblant d’être mort. A c haque fois, je courrais le rejoindre. Je m’asseyais, je le regardais, étendu dans les her bes hautes. Des fois, il avait des égratignures. Les pierres acérées jonchan t le chemin devaient lui
rentrer dans la chair, mais il jouait le jeu. Pour moi. J’ébouriffais son opulente crinière couleur sépia e t on remontait en courant jusqu’à la cassure. Je l’aimais, ce grand frangin fantasque ! Il me disait que je ressemblais à une fée sélénite. Et je m’endormais. Blottie contre lui, entre les racines du chêne au-dessus du ravin. Je ne retournerais plus au pensionnat ! Plus jamais ! Plus jamais on ne m’insulterait parce que je suis c e que je suis… Plus jamais on ne m’enfermerait dans la cave humide et sombre après m’avoir volé mes vêtements. Plus jamais je ne recevrai de douche froide. Plus jamais on ne pisserait sur mes draps avant l’extinction des feux. Plus jamais on ne me forcerait à ingurgiter des bou illies glaireuses et sanguinolentes de limaces et de vers de terre écras és… Plus jamais ! Plus jamais ! Plus jamais !
Peut-être que la vieille iguane me ferait rechercher… Ils ne me retrouveraient jamais ! Daphnis et moi, on irait vivre dans une forêt profonde, assez sombre pour que je vive le jour, on vivrait dans les arbres, on aur ait des vêtements tissés de feuilles. Tous les soirs, on grimperait jusqu’à la cime des séquoias millénaires pour regarder les étoiles s’allumer. Ou s’éteindre. Comme là, on les appellerait par leurs noms. Comme elles, un jour, on s’éteindra it ensemble. Il me l’avait juré. Il ne m’abandonnerait jamais.Jamais !
* * *
Pendant longtemps, je me suis dit que je devais venir d’un autre monde. Celui de l’air. Celui de Daphnis. C’est que j’aurais tant voulu qu’il m’y ramène un jour, pour fuir à jamais l’horreur et la barbarie de celui-là ! J’étais presque fière que le soleil me traque, pour revenir me blottir sous sa chevelure sombre et tout oublier. J’ai finalement compris pourquoi il fallait que je reste. Que mon rôle serait d’être là devant vous, à jouer des contes, ceux qu’il me racontait pour que je garde espoir. Pour que je tro uve la force de continuer à vivre quand tout semblait perdu. Souvent, encore, je sens dans ma poitrine battre de s ailes le sphinx sombre. Le papillon aux ailes de jais qui continue à me don ner son énergie, au-delà des frontières de la mort, comme il m’avait dit. Et ce moment, je les vois, ces énigmes, cachées dan s le quotidien, qui attendent que quelqu’un les déchiffre. Toutes ces p ortes, ces mystères qui m’entourent, ces passages vers l’imaginaire où déso rmais, avec tous ceux qui sont morts, il continue à vivre.
1 L’Elf Shot
« L’homme arrive dans les vestiges d’Avalon au mili eu d’une jungle hostile. Il s’arrête sur la place d’une ville abandonnée, construite d’objets hétéroclites dont les fantômes restaurent les joies anciennes à leur façon. Il s’assoit près d’une fontaine, fait tourner un pinceau entre ses doigts, songeur. L’ondine de la pierre s’anime, psalmodie un chant de sirènes. Ce chant mé tamorphose l’homme en enfant. Il parcourt du regard les ruines de ce mond e lacustre et sait soudain que sa vie doit continuer ici. Il prend sa tête dans se s mains. Il se souvient que la solitude change l’orphelin en gladiateur. Alors il se lève. Se promène autour des chênes centenaires, les dote de visages. Des notes s’échappent des feuilles. L’enfant étreint deux troncs enlacés puis s’endort l’oreille montre l’écorce, bercé par les organiques palpitations des cœurs des hamad ryades. »
er 1 septembre :
* * *
Je viens de ranger mes derniers effets au presbytère. En entrant dans la sobre pièce où je serai censé do rmir, une vive envolée de sphinx tête de mort m’a accueilli. Ces papillons de nuit, attirés par la poussière et l’humidité avaient élu domicile au plafond et dans les rideaux… Maintenant ça y’est.J’y suis. J’ai encore du mal à réaliser que ce que je vis est bien réel. Mais oui, c’est vraimentmoi. C’estdéjàmoi, là qui écris dans ce journal de bord. Mon nom est Gwendal Jackson O’Ready, je viens d’avo ir vingt-deux ans et je suis officiellement pasteur proposant dans ce templ e aux murs blanchis à la chaux. Demain, j’officierai pour la première fois. Pensif depuis tout à l’heure, je déambule entre les bancs de la nef. J’ai plaisir à contempler les restes de ce qui sans doute, jadis fut un arbre, dans une forêt chatoyante… Le bois clair de leurs longs corps rigides porte encore les stigmates d’une vie antérieure. Les nœuds et les rainures som bres me font penser à des cartes de contrées inconnues… Sur l’estrade d’instituteur début de siècle, après avoir gravi les trois marches, j’ai pris place derrière la chaire octogonale, de f acture aussi austère que les bancs. J’aime cette frugalité matérielle qui nous oblige à nous concentreruniquement sur lerationnel, et nous empêche d’être séduits par un décorum tro mpeur. Faire résonner les paroles en nous,rien que les paroles neutres, universelles. Les paroles s’accordant à chaque histoire et parlant à chaque cœur. J’ai le trac… NON ! Il ne faut pas ! Jesaispourquoi je suis là. J eveux être missionnaire du respect, de la tolérance, de la liberté ! Jeveux œuvrer pour ces réunions du dimanche, dans un siècle où plus personne ne se parle. Dans les rayons sécurisants du soleil matinal, j’en seignerai le respect de la
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents