Les pirates du temps
254 pages
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Les pirates du temps , livre ebook

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Description

Sous le soleil de Coricancha, Delcano, laissé pour mort, se voit sauvé in extremis par une jeune fille aux oreilles d'or !

« Il n'y a de chance que pour la racaille », assure son chef De Decker avant de le précipiter aux trousses d'un étrange et dangereux « pirate », surgi du passé.

Ballotté avec Shimro de l'Empire inca au quarante-neuvième siècle, longtemps jouet d'un conflit déployé sur l'Histoire, confronté à des ennemis sans âme pour qui la Terre n'est qu'une hypothèse, Delcano doit finalement se rendre à l'évidence : une fois de plus, le voici en première ligne, seul bipède de cet univers en mesure de faire basculer le destin de l'humanité !

Après quoi, qui l'empêchera de gagner le cœur de la fille aux oreilles d'or ?

Bon d'accord, ceci est une tâche nettement plus délicate...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 7
EAN13 9791090931077
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Raymond MILÉSI
LES PIRATES DU TEMPS
Delcano – 3
(extrait)
Éditions ARMADA www.editions-armada.com
1 - Suivez le guide
«Pardon mon brave, pourriez-vous éviter de me march er sur le pied droit ? C'est l'un de mes préférés. » Au cœur de la fournaise, le distrait tourne la tête et me consulte à la volée, les yeux baissés, étant de ces citoyens hors norme qui s'aligneraient sans mal pour la photo dans une équipe de basket. L'expressi on inchangée, il décolle sa sandale de ma bottine et continue de fendre la foul e massée à l'orée du site. Tandis qu'une brise étonnamment fraîche me caresse pour s'estomper aussi vite, deux particuliers profitent de la brèche pour emboîter le pas de mon piéticide : un jeune type à l'œil dédaigneux et une épaisse matrone qui doit se hâter sans cesse afin de recoller au peloton. À mon tour, je m'installe dans leur sillage, mon re gard s'attardant sur la nuque de l'écraseur. Deux ou trois pouces au-dessus de la masse – y compris de la mienne – ce dernier offre à la lumière une ch evelure luisante, tortillée en longues tresses d'un noir de corbeau qui lui dégoul inent sur les joues. J'ai eu le temps de remarquer les nombreuses ficelles qui se b alancent sur sa poitrine et de noter la peau de son visage, à ce point tannée e t cuivrée qu'on la croirait prélevée sur la momie de Ramsès II. Les autres mout ons humains qui arpentent les allées de Paccari-tambo se sont vissés comme mo i un chapeau sur le crâne car ça cogne dur sur la plaine caillouteuse cet apr ès-midi. Le grand gaillard, lui, est l'un des rares à traiter en ligne droite avec l e soleil de Coricancha. C'est son problème… Dès la première halte, je me retrouve à la hauteur du jeune prétentieux qui le talonne. Les lèvres pincées, ce dernier toise les e stivants en multipliant les efforts pour se démarquer de la piétaille. Un teign eux, que je range d'office dans la catégorie des cancrelats à deux jambes, le genre qui vous donne envie de chercher d'instinct quelque chose à broyer du talon , pour compenser. Vous avez remarqué à quel point les nuisibles affichent leur malfaisance au lieu de la masquer ? Le bellâtre venimeux dans toute sa gloire , à soigner d'urgence au lance-flammes. Cheveu gélifié sur les tempes, épaul es rembourrées au coton, bottillons étincelants à talons forts. Je l'imagine étudiant sa morgue toutes les deux heures, à l'affût devant son miroir. Comme le guide impatient multiplie ses appels afin de nous convier à son prêche, je lui prête une oreille miséricordieuse, e n bâillant déjà. Voilà une bonne semaine que je traîne mes guêtres sur cette planète en écoutant pousser ma barbe, ceci explique cela. La majorité des visiteur s, eux, débordent d'enthousiasme et babillent à outrance. À les enten dre, je réalise que je suis mêlé à un groupe de familles en provenance de la Te rre ; elles viennent de débarquer et entament aussi sec leur gymkhana par l e morceau de bravoure des excursionnistes, du moins les jours d'ouverture : Paccari-tambo, en plein désert aux antipodes de Pachacuti, la capitale et u nique cité. De cette dernière, port à touristes – après avoir honoré sa plage où j e me suis laissé rôtir recto verso – j'ai déjà fait le tour en long, en large et surtout en travers… Le bavard de service raconte qu'on a dénombré sur l e site près de cinq cents pierres dressées ou « hommes de pierre » et qu'elle s sont disposées en plusieurs cercles concentriques, autour d'une énorm e roche taillée en pyramide qui a l'air de veiller sur le peuple minéral. Merci : ça se voit. D'après lui, la
plupart des menhirs à tête humaine, s'ils conserven t vaillamment leur forme cylindrique, ont été rabotés par les siècles ; tout efois, dans l'anneau intérieur, certains affichent un poli et une brillance étonnan ts. Il a oublié combien au juste et donne l'air de s'en foutre, mais on ne lui en ve ut pas. La procession repart. À mes côtés, un gamin ignore superbement les cailloux plantés autour de lui pour s'acharner sur la mini-h olo que ses parents viennent de lui acheter : le Grand Jeu de Paccari-tambo ! Je déguste ses bip-bip opiniâtres, tandis que les monolithes 3D volent en éclat sous ses doigts. Au fond, c'est peut-être un bon plan d'abrutir très tô t les enfants : ça permet aux adultes de se sentir moins seuls. D'ici, on a un panorama imprenable sur le cromlech et les allées qui y mènent. Sur pas mal de planètes, les sites millénai res semblent avoir mieux résisté à la Grande Panne que les constructions mod ernes. Remarquez, ce que je dis est idiot : il y en a peut-être un paquet qu i ont disparu ; forcément, on visite ceux qui ont tenu le coup. En gros, cet endroit a u n côté Stonehenge sophistiqué, la chaleur en plus et l'herbe en moins . Et aussi la bière en moins : celle d'ici est presque imbuvable, au point que je me suis rabattu sur le cidre local. Docile, je prends la file et passe à la poin teuse pour flairer un monolithe de taille respectable, strié sur le volet, au pied duq uel notre cicérone est en train de s'extasier en récitant sa leçon, intonations compri ses. Redémarrage du train à pas lents. Une station plus loin, nous opérons une jonction momentanée avec un groupe qui termine sa t ournée, dans le sens inverse. C'est l'heure pleine à Paccari-tambo, les wagons se chargent et se déchargent sans cesse. Un ressac de la foule jacass ante m'entraîne alors juste derrière un nouveau spécimen de la race humaine, qu i me réconcilie avec l'espèce. Il s'agit d'un échantillon extrêmement fé minin, parfumé à point, découpé et même découplé avec un souci de finition qui honore sa maman, et aux oreilles en or ! Je me penche sur le sujet afin de parfaire ma culture : la belle inconnue arbore en fait de magnifiques disque s auriculaires, épinglés à des lobes qui ont été élargis pour la circonstance. Joli travail. Au moindre mouvement de tête, la charmante enfant disperse les rayons solaires en tous sens, avec un franc succès qui fait paradoxalement de l'ombre à notre guide. Je me demande par quelle astuce engager la conversatio n avec Miss Lampadaire avant que la vie nous désunisse, lorsque mon grand ami le jeune arrogant se dresse devant elle. Aussitôt, la lumineuse enfant pousse un petit cri e t se jette à son cou pour lui rouler un baiser ventouse de compétition. Manifeste ment, elle ne partage pas mon aversion pour les rouleurs de caisse. Grand dom mage ! Je hais davantage le gominé, d'urgence, l'impression que sa bonne for tune est à déduire de mon compte. Tandis que les deux cortèges reprennent leur chemin de croix, l'un allant l'autre venant, je remarque que les tourtereaux opt ent pour un itinéraire bis. En soupirant, je me dis qu'ils ont mieux à faire, mais déjà le couple se sépare : la fille gagne en solo la sortie sur un geste d'adieu. Bien fait ! Tiens, au lieu de nous rejoindre, le gars choisit u ne nouvelle voie. Sa conduite désinvolte aiguise l'attention au lieu de l'endormir : trop en recherche de neutralité, le gars s'oriente comme au hasard ve rs un amoncellement de rochers. Je piétine un instant : dix contre un qu'i l va y avoir une rallonge au programme ! Elle ne tarde guère. La grosse femme en trevue tout à l'heure se
laisse peu à peu distancer en fin de colonne, manœu vre répétée bientôt par le basané aux tresses noires. À votre avis, que ferait dans ces circonstances un enquêteur désœuvré, mais fouineur de nature ? Le te mps de me poser la question, me voilà lancé sur les traces de ces vaca nciers insolites, qui en font trop pour se donner l'air de tout le monde. La bana lité, ça ne s'improvise pas : on « est » banal ou non une fois pour toutes. De loin, je vois l'imposante matrone prendre la tan gente, rattrapée par son compagnon aux longues enjambées. Le monsieur se pen che sur la dame, comme pour lui délivrer quelque directive… Adoptant à mon tour la nonchalance d'un promeneur en rupture, je réduis la distance qu i nous sépare, à l'abri des roches complices. Là-bas, confirmant mes pronostics , le trio vient de se reformer et les deux messieurs entament une confére nce rapprochée, à mots hâtifs. Le bellâtre tend la main, dans laquelle l'h omme à la peau cuivrée déverse de menues offrandes. D'où je me tiens, pas moyen de préciser leur nature, mais je vote pour des pièces d'or ou d'argent, sans gara ntie. Curieux manège… Fin du conciliabule. Les joyeux compères rappliquen t déjà dans ma direction, au moment où le vent coulis nous remet un vilain co up de fraîcheur, aussi bref qu'auparavant. Vite, je m'accroupis, l'oreille en b atterie, captant des bribes de phrases. « …regagner la Terre sans tarder, Accla Inti (là, ricanement que je ne m'explique pas).Tu connais ta tâche. En attendant… » Malgré la maigreur du butin, je remercie au passage le nouveau modèle personnalisé et sélectif d'implant-trado dont le se rvice m'a doté. À moins bien sûr que je décide de le débrancher – c'est toujours possible – sa mise en action est automatique au reçu d'une expression en langue étrangère, comme dans le cas présent ; et peu importe que mon « interlocuteu r » en possède un ou non : un seul – le mien en l'occurrence – me suffit désor mais pour tout percevoir dans ma langue et être compris de tous. Du tonnerre ! J'ai quand même une moue aux lèvres en me relevant… À temps pour constater que, si les deux messieurs se replongent dans la meute qui progresse le long des pierres aux visages sévères, la morne s uiveuse, elle, oriente son quintal vers une file de Terriens sur le départ, qu e l'on va reconduire d'office à Pachacuti. Là-bas, rien de plus facile pour elle qu e de prendre place à bord du premier transport à destination de la mère planète… Et après ? Elle a le droit, non ? Un peu déçu, l'impression qu'on a sonné la fin de l a récré, je rattrape au vol une deuxième horde d'estivants et retrouve en leur compagnie le cœur de Paccari-tambo. Étant donné que j'ai déjà bénéficié du commentaire, j'abandonne la procession pour franchir en solo les cercles con centriques jusqu'au plus petit d'entre eux. Un endroit tranquille, qui attire moin s le chaland. Divers mégalithes non sculptés, en effet, y affichent l'éclat du neuf , sous le patronage d'une pyramide centrale qui tient en respect la ménagerie . Je lui tourne le dos afin d'aller promener la main sur le pourtour d'un des c ylindres incongrus : lisse et froid, un lustré étonnant en comparaison des autres statues grossières, râpeuses et rongées par l'érosion ! Je fais le tour , en comptant les cylindres qui ont l'air d'avoir été frottés à la peau de chamois. Il y en a cinquante-six, tant mieux pour eux. Juste après avoir terminé ce stupid e exercice, je repère de l'autre côté des piliers mon grand gaillard aux che veux d'ébène. Son regard
acéré croise le mien : j'ai aussitôt la sensation q u'on me racle l'âme à l'aide d'un poignard. C'est bref, mais violent. À son côté, le mannequin continue de se donner des airs d'Al Capone… Je soulève un instant mon chapeau afin de m'éventer car les rayons sans cœur ont encore poussé le chauffage d'un cran. Aprè s tout, cet intermède caniculaire m'aura valu quelques minutes de vague i ntérêt. Mieux que rien. Un brusque frémissement à mon poignet m'arrache à ma p hilosophie de comptoir. Je quitte les hautes rangées de pierres, remonte à nouveau la cohue en sens inverse, et gagne sans me presser l'entassement de roches éloigné, qui offre son abri aux esprits libertaires du quartier. Une f ois assuré de l'exclusivité, je lève mon émetteur-récepteur à hauteur des lèvres, m e racle la gorge et adopte un ton enjoué pour lâcher : — Salut patron. Quel bon vent ? — Pas possible ! Vous manquez à votre légende, Delc ano ! Je n'ai guère l'habitude de vous dénicher du premier coup. Pile à l'endroit où je pensais vous trouver ! D'ordinaire, pour vous joindre, il faut l ancer un avis de recherche à travers la Galaxie ! En forme, le bouclé. Je le laisse reprendre son sou ffle… Il redémarre, dans un registre paternel : — Comment se déroulent vos congés, vieux garçon ? V ous vous la coulez douce sur Coricancha ? Voilà un paradis de renom où je n'ai jamais mis les pieds… — Je reconnais bien là votre goût sans faille… La p lage est belle et la mer fait glouglou. Pour le repos, rien à redire, mais c ôté distractions, j'envisageais de recenser les grains de sable ou de commencer à me réciter la Bible à l'envers. — La « quoi » ? — Laissez tomber. Il revient à la charge, impitoyable. — Je me disais que vous alliez écumer l'un après l' autre les bouges de Pachacuti et je m'attendais à recevoir les plaintes de la population locale. — Vous confondez avec Shimro. Les bouges, je les ai passés en revue dès le premier jour. Tous les trois… À la rigueur, il y en a un qui me paraît supportable, sans plus. On m'a bien proposé de la c ocaïne à plusieurs reprises car la vertu ne semble pas être la valeur dominante dans ce port, mais je ne suis pas client. Actuellement, je savoure une exposition de pierres millénaires. Question rigolade, j'aurais meilleur compte à me ch atouiller avec une plume d'oie. — Dans ce cas, réjouissez-vous : j'ai une heureuse diversion à vous soumettre ! En fait, il s'agit, euh… d'un service p ersonnel, une broutille pour un malin de votre trempe. J'aurais pu envoyer quelqu'u n d'autre, mais puisque vous êtes sur place… Un coup de veine, hein ? — Ouais… Je me souviens tout à coup que c'est vous qui m'avez chaudement recommandé les délices de Coricancha ! S ur la foi d'excellents guides de voyage, je suppose ? — Pure coïncidence. Pas de mauvais esprit. Et il y aura une rallonge pour vous. — Je vous écoute, chef vénéré. Un moment !… Un quidam espérant sans doute lui aussi un peu de s olitude est en passe d'envahir ma retraite avec vue sur le désert, shoot ant dans un gravier. Il s'avise
que la place est prise et, freiné par mon regard gl acial, tourne les talons afin de se chercher un nouveau havre de grâce. Je patiente vingt secondes. — Il y avait un spectateur. Allez-y : la voie est libre. Le révérend s'éclaircit la voix. — J'aurais besoin de votre… sens de la persuasion, Delcano. Le but est de convaincre une certaine personne de ficher la paix à une certaine autre personne. Dans vos cordes, non ? — Ça dépend. Annoncez les « personnes ». — Il se trouve que j'ai un excellent ami, et que ce t ami subit en ce moment une légère contrariété. J'en ai d'ailleurs hérité m a part, bien malgré moi… Je contemple mon récepteur en silence. On dirait qu e De Decker tourne autour du pot, non ? — Cet ami a une fille, Coya, qui me connaît puisque je fréquentais la famille lorsqu'elle était enfant. Une gamine de vingt-cinq ans à présent, tout à fait capable, intelligente, n'ayant pas froid aux yeux e t qu'on peut lâcher sans crainte dans le grand monde. C'est du moins ce que croyait le père jusqu'à présent. La fille en question séjourne elle aussi sur Coricanch a, depuis un bon mois. — Elle a du mérite. Quinze jours, c'est le tarif ma ximum que je m'autorise avant l'overdose. — C'est ce qui était prévu dans son cas. Mais juste ment, voilà où les choses se gâtent. Au terme prévu de son séjour, il y a deu x semaines, au lieu de rentrer sur Terre, Coya a prévenu son père qu'elle avait dé cidé de prolonger un peu sa villégiature. Quelques jours plus tard, elle a enco re annoncé une rallonge. C'est alors qu'à la demande de mon ami, inquiet, j'ai con tacté la gamine, qui a fini par reconnaître qu'elle avait sympathisé avec un lousti c du crû qui ne la laissait pas indifférente, et vice versa. Pas moyen de la faire changer d'avis : vous savez comment sont les femmes ! — Franchement, le rôle ne m'attire pas. Si la fille a envie de se payer un matou, c'est son droit non ? — Attendez. Je me suis informé auprès des autorités locales. En quelques minutes, ils m'ont renseigné : le « matou », pour reprendre votre terme, s'appelle Mirsk Hovan et avait déjà attiré leur attention. C' est, m'a-t-on dit, une de ces ordures de seconde zone, un gars à l'avenir forteme nt compromis, qui doit déjà avoir un peu de sang sur les mains, même si jusqu'à présent on ne l'a épinglé que pour des broutilles. J'ai donc eu un nouvel éch ange avec Coya, en lui expliquant de quel truand elle s'était amourachée. Ce fut une erreur : au lieu de mettre fin à l'idylle bancale, elle a appuyé sur l' accélérateur, en s'affichant le plus possible avec son mauvais garçon. Un défi à sa famille, si vous voyez… — Je vois. Et alors ? Elle est majeure. — Nous sommes d'accord, c'est pourquoi j'étais prêt à ranger l'affaire aux oubliettes. Seulement, peu après notre bavardage, C oya m'a joint de son propre chef. C'était il y a une dizaine de jours. Nous avo ns eu un tête-à-tête… curieux. D'abord, je n'ai pas bien compris où elle voulait e n venir. Elle m'a parlé de mon travail, de cette charge qui me pesait en permanenc e sur les épaules, de tous ces gens qui trimaient sous mes ordres… jusqu'à ce que je réalise qu'elle était tout bonnement en train de me tirer les vers du nez ! À moi ! J'ai mis évidemment fin à l'interrogatoire ! — Hum ! Si je me souviens bien, c'est en gros à ce moment-là que vous m'avez vivement conseillé de venir prendre du bon tempsici,n'est-ce pas ?
— À peu près. Mais ne m'interrompez pas à tout bout de champ. Nos correspondants de Pachacuti, à qui j'ai demandé un petit reportage discret, n'ont pas tardé à confirmer mon sentiment : c'est de tout e évidence ce Mirsk Hovan qui a fait pression sur la fille afin qu'elle m'app elle. Qu'il recoure à la menace ou use de moyens plus subtils, peu importe, cet homme cherche à obtenir par l'entremise de Coya des tuyaux sur nos services. J' ignore pourquoi, mais je déteste ça ! Les gars du coin sont d'avis que Mirsk Hovan, qui manque d'envergure, n'agit pas pour sa paroisse ; ils le v oient plutôt comme un relais. Ils ne sont pas sûrs que Coya soit consciente du rôle q u'on lui fait jouer, et je partage leur avis. Là-dessus, voici quelques heures à peine, la jeune écervelée me contacte de nouveau. C'est son père – prévenu en premier – qui a insisté auprès d'elle pour qu'elle me rappelle. Avec un peu de retard, elle prétend qu'elle vient enfin de comprendre qu'elle s'était f ourrée dans le pétrin. Il faut dire que les demandes du soupirant ont pris un peu trop d'ampleur, ce qui lui a ouvert les yeux. Un bon point : elle a joué franc j eu et m'a informé directement, même si j'étais déjà au courant. Un mauvais : elle refuse toujours de rentrer sur Terre. — Vous voulez que je la kidnappe ? — Il y a de ça. Mais ce n'est pas le plus urgent. D ans l'immédiat, puisquepar chancevous vous trouvez sur place, je souhaite vivement que vous ayez une… entrevue « solide » avec Mirsk Hovan. Le contenu es t livré à votre appréciation mais, à l'issue de cette mise au point, il faut – v ous m'entendez : il faut ! – que l'individu ait perdu à jamais l'envie de casser les pieds à Coya. Et à nous par la même occasion. Vous m'avez compris ? — Remarquablement bien. En résumé, vous désirez que j'interrompe mes vacancessemi-officielles pour lafaire pression sur ce truand qui devra, après thérapie, mener une existence chaste et conforme à la morale, sinon exemplaire ! — Voilà. Montrez-vous persuasif. Carte blanche : je vous fais confiance. Vous voyez que ce n'est pas sorcier. Je vais vous i ndiquer les coordonnées de ces messieurs dames. Agissez vite, en évitant de me ttre les pieds dans le plat et d'alerter les services locaux déjà sur le qui-vi ve. Je ne trouverais pas cela judicieux. — Voyons patron : tout dans le velours, c'est ma de vise. Vous me connaissez ! — Hélas, oui.
2 - Un doigt de porto
L'après-midi touche à sa fin quand je range mon gli sseur urbain non loin de l'adresse indiquée. Je ne risque pas d'être surpris en y découvrant un hôtel, puisque ces dignes bâtiments occupent les deux tier s de la surface à Pachacuti. Pas seulement pour raison touristique : la majorité des habitants de ce patelin vit à l'hôtel. Une drôle de règle de vie, si vous voule z mon avis. La différence avec mon pied-à-terre est que celui-ci est beaucoup plus luxueux. Il se met bien, le petit truand… À peine au bas de l'immeuble, qui vois-je escalader les marches quatre à quatre ? Mon ami l'Apollon de Paccari-tambo ! Je so uris car la vie me plaît bien lorsqu'elle m'accorde de tels clins d'œil de conniv ence, et je m'engage à la suite du client pressé, profitant du mouvement de la port e tournante, de pur style « palace colonial ». À la réception, un employé habillé comme un pingoui n et à peu près aussi chaleureux ratifie sans hésiter ma conviction naiss ante : oui, c'est bien l'honorable Mirsk Hovan qui vient de traverser le h all et de pénétrer dans l'ascenseur. Et est-ce que le respectable monsieur souhaite lui rendre visite ? Je souhaite. Dans ce cas, ma grandeur est priée de patienter. Le concierge en smoking se récite l'alphabet en silence, le temps que son loca taire réintègre ses pénates, puis pianote sur une ligne tactile masquée par le c omptoir en bois blanc. Suite à quoi, il me demande si mon éminence veut bien décli ner son identité et le motif de sa demande. Je consulte mes neurones. — Dites simplement que je suis un ami du basané qui adore lui offrir des cadeaux. Le cerbère fronce imperceptiblement les sourcils ma is restitue ma tirade au complet dans son émetteur. La recette a l'air bonne , puisqu'il met fin à l'intermède en m'annonçant qu'on accepte de donner audience à ma sainteté au Septième, entrée Deux. Il me communique en outre un code d'accès modifié chaque matin, qui me permettra de franchir le derni er palier avant l'accès au sanctuaire. Je me dirige à mon tour vers l'ascenseur, en fourbi ssant mes pensées, qui s'égarent vers plusieurs scénarios. Réflexion faite , inutile de me bâtir un roman : je ferai au mieux… Le code transcrit, une paroi blindée coulisse en si lence et me voici devant la porte du gaillard d'avant. Là, plus besoin de serru re, juste une poignée. Pas de sonnette, je frappe sur le mode classique et la voi x du locataire me crie d'entrer. C'est un appartement coquet, dans les tons clairs, meublé à grands frais. La place n'y manque pas. Au bout d'un large couloir do nnant sur deux pièces closes, je découvre un salon éclairé par une baie v itrée, découpée sur l'entière paroi qui me fait face. En bras de chemise, le prop riétaire est en train de s'abreuver d'un liquide ambré, affalé dans un faute uil profond. Mon regard acéré photographie le local et repère aussitôt sur une ta ble basse, mal cachés par un coussin balancé à la hâte, de petits sachets blancs qui à mon avis ne doivent pas renfermer du sucre en poudre. J'en tire deux en seignements majeurs en une seconde : mon client donne dans la drogue – act ivité moins répandue qu'à
mon époque, mais toujours florissante pour le petit commerce – et il ne craint pas de le laisser entendre au premier visiteur venu . Trop confiant peut-être ? C'est lui qui brise la glace. — Vous êtes un ami de Huascar, paraît-il ? Il est p arti sans rien me dire. Je m'empresse de confirmer, en apprenant le nom du cuivré. — On a été à l'école ensemble, c'est vous dire ! Ma is pour l'heure, j'ai surtout un message urgent à vous livrer. Le voyou a un petit tremblement des lèvres et repos e son verre un peu trop vite, plongeant l'autre main derrière son dos. Mais son expression soudaine m'a alerté. Puisque dans le geste il s'est penché vers moi, je lui expédie sans hésiter mon pied droit en pleine figure. Un-zéro ! Toujours avec un temps d'avance, je bondis et l'empoigne par le cou, tout en fouillant à l'arrière de son siège, où il avait planqué un laserjet que je balance au loin. V oilà la conversation lancée sur une base que j'aime ! Le sournois rassemble ses esp rits en grognant mais je pousse mes feux, la prise assurée. — Tu sens bien mes doigts ? C'est une de mes prises favorites : la carotide est juste en dessous. Je pourrais te l'arracher ava nt que tu aies remué un pouce. Il bat des cils en rêvant très fort à ma mort. — Parfait. Après chaque question, je veux une répon se rapide, sans faux-fuyant. Débrouille-toi pour t'extraire les mots de la gorge. En préambule, il serait bon que je t'explique à qui tu as affaire, afin de clarifier nos débats. Gargouillement inaudible sous ma paume. Je desserre un poil l'étreinte de mes doigts, afin d'entendre l'objection soulevée pa r le visage pâle. Mirsk Hovan tousse, éructe et parvient à graillonner : — Pas la peine, comique : je sais qui vous êtes… Je dois opposer une figure étonnée car il se permet de ricaner tout en me précisant, les yeux dans les yeux : — Vous êtes un futur cadavre qui croyait que j'étais seul chez moi. Le temps que je réalise, mon crâne explose : feu d' artifice sanglant ! Je me répands à la fois sur la moquette et en injures internes. Crétin de Delcano ! Au cœur de la nuit rouge qui m'enveloppe, je perçoi s, venues de très loin, quelques bribes de phrases. «rétin… Débarrassez-de la Terre… écusson officiel… un paquet de ce c  … moi de lui. Je ne veux aucune…» On dirait que mon avenir vient de s'assombrir. Un à un, je m'efforce de rassembler les morceaux de mon puzzle personnel. La douleur opère alors une entrée en force sous ma crinière, talonnée par la c onscience d'avoir oublié le B-A BA de la profession, à force de somnoler du matin au soir et de me faire dorer aux ultraviolets. Le bellâtre avait des collègues à domicile, qui se sont planqués à ma venue dans l'une des pièces de l'entrée. Vu la tournure des événements, l'un d'eux a jugé opportun de m'abattre un wagon pl ombé sur la tête. J'essaie de remuer ou de balbutier, mais un mourant me plaquera it au sol sans effort. Pas la peine, j'y suis déjà… Incapable de participer activement à la fête, je me sens traîné, retourné, ballotté. Une haleine parfumée au porto se promène alors à portée de mes narines. — Salut l'abruti ! me lance Mirsk Hovan. Pour toi c 'est le terminus, mon ami Gygax va s'occuper de ta santé. Mais auparavant…
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