Proche fiction
186 pages
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Proche fiction , livre ebook

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Description

Jonathan, un photographe de quartier, découvre que son voisin journaliste a disparu depuis plusieurs jours. Au fil de son enquête pour le retrouver, il passera de surprise en surprise et décidera, après avoir tenté d'alerter les médias et contre l'avis de ses proches, de se lancer seul dans l'aventure. Une projection un peu inquiétante mais très réaliste, dans un futur proche, de ce que pourrait devenir notre société privilégiée à force de supporter des différences sociales si criantes qu'elles pourraient bien engendrer des conséquences insoupçonnées.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 14 décembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342059144
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Proche fiction
Philippe Collet
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Proche fiction
 
I
Lundi soir
Madame Madeleine est repartie à la charge ce matin. J’ai beau lui expliquer que tout peut se régler par moniteur, elle a quand même tenu à se déplacer pour « voir de près ». Le portrait qu’elle a finalement choisi est trop avantageux et j’en ai peur, bien banal. Je l’ai prévenue :
« Il sera sûrement rejeté pour similitude par l’analyseur. » J’ai dû ajouter, sans lui dire, quelques grains de beauté et une cicatrice, imperceptible à l’œil mais décelable par la machine, pour que l’analyseur appose son OK. C’est un peu dommage d’en arriver là, mais comme les goûts des clients se montrent presque identiques, on doit parfois tirer sur les petites ficelles du métier. Finalement, peu importe le moyen, l’essentiel demeure que Madame Madeleine se croit unique… et que je conserve ma réputation de franchir allègrement le contrôle de l’analyseur.
Monsieur Anatole, au téléphone, a encore insisté pour son changement d’identité. Il sous-estime les difficultés qu’il aura à affronter avant d’obtenir le feu vert. Souvent je comprends mal les clients. Ils ont hésité pendant des jours sur leur portrait. À partir de la photo base, on a tout essayé : allonger le visage, agrandir la bouche, réduire le nez et des dizaines d’autres coquetteries ; et la couleur de la peau, des yeux, des cheveux et « je vous recontacterai, il faut que je réfléchisse » et « je me demande si finalement… » Certains osent même avouer qu’ils ne se reconnaissent plus. En modifiant chaque élément, le contraire surprendrait.
D’ailleurs, en me fondant sur l’expérience, plus les années passent, plus les images des identités sont différentes des « originaux ». À croire que les gens se moquent de ce qu’ils sont, que seule leur image compte. Une dame m’a confié un jour :
« Vous ne me croirez pas, Monsieur Jonathan, mais je ne me regarde jamais dans un miroir », en ajoutant, capricieuse :
« Je préfère mon image d’identité. »
Et puis aussi, on gomme les particularités. Comme si la moyenne satisfaisait tout le monde, comme si tous les caractères un peu singuliers devenaient bannis. Le « trop » long, court, saillant, rentrant, et je ne sais quoi encore qui s’éloigne des standards, ne recueille aucune faveur.
Les contrôles de similitudes ne sont pas si anciens. On les a instaurés quand l’actrice Béatrice Bornan a explosé. L’état civil a recensé des centaines, des milliers de Béatrice, indiscernables les unes des autres. On ne pouvait pas représenter toute une population avec la même image. Et pour nous, les fabricants d’identité, quelle ruine ! Il suffisait que la cliente reproduise elle-même l’image de Béatrice… ou d’une autre figure à la mode et la profession périclitait dans les deux ans. Pour une fois l’État nous a bien aidés, sans le savoir… ou sans le vouloir, mais la corporation est sauvée par cette loi anti-similitude.
Il y a aussi ceux qui regrettent, comme Anatole :
« En me regardant je vois quelqu’un d’autre ». Un aveu en guise d’explication. Oui, mais il devait réagir plus tôt, d’autant qu’il avait une semaine pour se rétracter.
« Je n’arrive pas à m’habituer » presque des sanglots dans la voix. Qu’y puis-je, aucun retour possible, l’identité est enregistrée pour dix ans.
Là encore, la loi nous sauve de bien des tracas. Imaginons que les clients puissent revenir sur leurs choix, quelle galère ! Heureusement, quand le portrait sort, accepté par l’analyseur, il est rare que le client, trop content d’avoir échappé à la similitude, veuille modifier immédiatement son image d’identité. Une petite semaine après c’est trop tard. On a alors beau jeu de rétorquer :
« C’est la loi, Monsieur Anatole, nous n’y pouvons rien.
— Mais vous qui êtes dans le milieu, une intervention auprès de… ?
— Vous savez, cela devient difficile, impossible même avec les nouveaux enregistrements… »
Et c’est tant mieux. D’un autre côté, quand j’ai fini avec un client, dix ans sans le revoir. Mais souvent il parle de moi à ceux qui renouvellent leur image d’identité. De fil en aiguille, tout le monde frappe à ma porte de la part d’un ancien identifié.
Madame Madeleine, flattée par son image, m’a invité à dîner pour exprimer sa gratitude. Ce n’est pas si souvent qu’un B convie quelqu’un de catégorie inférieure. Pourtant, je ne peux pas dire que l’invitation m’enchante, mais c’est une habituée. Toute sa famille a eu recours à mes services et on se doit d’entretenir une clientèle. De plus, les B paient rubis sur ongle. Si je pouvais faire mon trou chez ces gens-là… J’étais tellement étonné que j’ai oublié de demander un laissez-passer. Il y a bien Richard, mon voisin journaliste, qui en possède toujours quelques-uns encore valides dans ses poches, mais il vaudrait mieux se conformer aux règlements.
Mercredi soir
Heureusement que le missile est tombé sur un entrepôt désert. On a frôlé la panique. Comment a-t-il pu échapper aux défenses dont on nous vante l’efficacité dans la présentation des plans quadriennaux ? D’autant que c’est la seconde fois en une semaine. Les guerres font partie du paysage maintenant. Il faut dire que, si j’ai bien compté, c’est la sixième en dix ans. Toujours contre un pays inférieur, secondaire ou tertiaire, histoire d’entretenir notre armée, qu’elle ne rouille pas d’inactivité. Pourtant le missile vient de le rappeler : aucune sécurité ne garantit une totale efficacité, ou alors les radars ont été abusés, ce qui fait craindre le pire pour l’avenir, ou encore les militaires nous mentent.
Bilan : un blessé léger et tous les canaux du moniteur pour l’interroger. Le pauvre homme passait là par hasard, il n’avait rien à dire d’autre que « je promenais mon chien ». Le chien va bien, mais le propriétaire n’a rien vu. Il l’a dit et répété : « Un missile, ça va tellement vite. »
Dix minutes aux informations pour comprendre qu’une victime n’est pas un témoin. Les généraux nous ont rassurés ensuite en parlant d’exceptions inévitables, de la bonne marche des opérations offensives et de l’affaiblissement de l’ennemi. Cela fait plus d’un mois qu’on nous le serine : les forces ennemies sont sérieusement endommagées. Il ne devrait donc plus rien en subsister, et c’est justement maintenant que les missiles nous fondent dessus. Richard m’a assuré qu’au journal ils n’en savaient pas plus que moi. Chaque fois, en période de guerre, on ferme le robinet des informations. Les militaires deviennent la seule source de renseignements et les journalistes sont incapables de passer outre. La démocratie a ses limites, m’a dit Richard, celles des conflits, et comme les guerres se succèdent à un tel rythme…
Jeudi matin
Menu d’exception. Monsieur Madeleine insupportable, suffisant, à la limite du mépris. Je me demande si, à l’avenir, je ne gagnerais pas à éviter ce genre de soirée. La conversation a porté, une fois de plus, sur les E. Monsieur Madeleine s’interroge, comme s’il parlait d’une maladie, par quel moyen on pourrait s’en débarrasser. Il affirme que les femmes E enfantent sauvagement au rythme des lapins, accouchent comme des animaux.
La fécondation in vitro a tout de même des avantages évidents, surtout celui du contrôle des naissances. On peut régler le flux comme on le souhaite. Depuis de nombreuses années, l’État essaie de réduire la population en accordant les autorisations d’enfants au compte-gouttes et voilà maintenant que les E n’en font qu’à leur tête et font plonger les statistiques.
Madame Madeleine, que ces problèmes ne préoccupent guère, a gardé le silence. Son mari, pour étaler sa réussite, a exhibé tous ses biens à s’en montrer indécent. Il sait très bien que les C comme moi ont du mal à joindre les deux bouts. Que cherche-t-il à me prouver par ces démonstrations ?
Je n’étais pas allé dans ce quartier depuis longtemps. Il a bien changé. Les arbres ont poussé et les espaces verts qui donnaient l’impression d’une nature anémiée ont maintenant l’air de parcs luxuriants. Les rues, un peu léchées à mon goût, ne manquent pas de charme. Et quelle propreté ! Je m’étais déshabitué des trottoirs lisses, de l’absence de papiers qui virevoltent dans les courants d’air, des immeubles presque luisants avec des portes qui glissent comme en apesanteur. Ils ont réussi à créer leur petit monde, les B, en se gardant de toutes les calamités qui nous dégringolent dessus.
Monsieur Madeleine s’est aussi vanté d’avoir des amis parmi les A. Au début je ne l’ai pas cru, mais il donne tellement de précisions, il affiche une telle sûreté de lui que j’ai fini par penser qu’il disait vrai. J’en ai profité pour lui parler de ma demande d’enfant, persuadé qu’il fallait saisir l’occasion au vol, flatter mon hôte, lui donner l’importance de rendre service, lui permettre de déballer son pouvoir. Malheureusement, m’a-t-il objecté, sans mariage ou femme à demeure ou encore revenus suffisants, toute démarche est vouée à l’échec. De plus, la conjoncture est tellement mauvaise avec cette guerre qui ne tourne pas comme on le prévoyait ! Le pays s’appauvrit. Les enfants coûtent cher à l’État, a-t-il cru bon d’ajouter d’un ton condescendant. En revanche j’ai vu au moins trois gamins gambader dans l’appartement, tellement grand, il faut dire…
« Comment se portent les identités ?
— La loi anti-similitude nous a bien aidés, mais de plus en plus de citoyens les fabriquent eux-mêmes. Bien sûr ce n’est pas du travail d’orfèvre. Ça nous fait beaucoup de tort. Il reste le pas

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