Sortie des sables
179 pages
Français

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Sortie des sables , livre ebook

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179 pages
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Description

Né dans la cité ensoleillée de Tès où la fortune sourit à ceux qui ont l'audace de défier leur destin, Aspel menait une vie paisible au sein d'une famille heureuse. Seulement, le bonheur a un prix dans le royaume du Sud et Aspel en fait la rude expérience à la mort de son père, lorsque leurs créanciers menacent de livrer sa famille à la misère et à la mendicité.


Pour sauver sa mère et ses frères de la ruine, il vend sa vie à une guilde d'esclavagistes, conscient pourtant du sort funeste qui l’attend. Mais sans autre choix possible, il renonce à sa liberté et est emporté loin de sa ville natale, en direction des mines de fer où l'on meurt d'épuisement. Les routes dangereuses qui y conduisent l'amènent aux portes du Désert Nébether, que l'on dit peuplé de sorciers et de mauvais esprits. Des périls l'y attendent et l'ombre de la mort plane au-dessus de sa tête, aussi fatale que le soleil accablant sur les étendues arides.


Cependant il advient parfois que le sort récompense favorablement ceux qui s'en remettent à lui, et il sourit à Aspel sous la forme envoûtante d'un guerrier du désert.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 janvier 2016
Nombre de lectures 28
EAN13 9791092954975
Langue Français

Extrait

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Victoriane Vadi

Sortie des sables




MxM Bookmark


Le piratage prive l'auteur ainsi que les personnes ayant travaillé sur ce livre de leur droit.

Cet ouvrage a été publié en langue française

sous le titre :

Sortie des sables

MxM Bookmark  © 2016, Tous droits résérvés

Illustration de couverture © Naty Sorokina

Responsable éditoriale  ©  Laura D.

Correction ©  Emmanuelle Lefray 

* * * * *

Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit est strictement interdite. Celà constituerait une violation de l'article 425 et suivants du Code pénal. 

Chapitre I ~ Le présent de la Sphinge


* * *

« La devise d’Idac eût pu être : « Nous connaissons le prix de toute chose ». Car Idac manie le commerce comme aucun autre royaume.

Il y a plus de fourrures de loups blancs sur les marchés d’Ocreval que sur ceux de Valfroid, plus de porcelaine de Cynienne dans le désert Amarah que dans les salons d’Osgholt, et plus de boucliers de Dolmont aux bras de la milice du port d’Ourand qu’à ceux de la milice d’Aumasque.

Pour les marchands d’Idac, tout se monnaye, même l’âme humaine. Les seuls trésors qui échappent à leur folie mercantile sont la lumière du soleil, les secrets des dragons et l’héritage de Nébether. Quoiqu’ils se seraient emparés de ces trois exceptions, s’ils en eussent eu le pouvoir. »

Hermothis d’Aumasque

Chronique des guerres marchandes

Publié en 830 du Calendrier des Havres


* * *

Tès était une ville étouffante de chaleur et de bruits, bariolée de couleurs et d’accents étrangers. Alors que les premiers rayons du soleil effaçaient les dernières étoiles, un vent sec et chaud comme l’haleine d’un dragon brûlait déjà les murs ocre et soulevait la poussière chargée de sable dans les rues étroites des bas quartiers.

Il était à peine l’aube, mais les grands axes étaient déjà animés. Tès grouillait toujours de vie. Sa population, que grossissait l’incessant ballet de marchands et de voyageurs exotiques, arpentait à toute heure les larges quais du port.

Deux silhouettes s’engagèrent dans une rue sale et sinueuse des docks, la chaude lumière de l’aurore n’éclairait pas encore les murs des façades trop proches. La plus petite des deux ombres prit la main de la plus grande qui la précédait.

— Nous y sommes presque, assura sans joie le jeune homme qui menait la marche.

Une grande porte en fer marquant l’entrée d’un vaste entrepôt vétuste se découpa dans l’ombre au bout de la rue. Les deux silhouettes s’y arrêtèrent et la regardèrent avec hésitation. Puis l’adolescent leva le poing et frappa contre le métal.

Après un court silence et une série de bruits secs, une lucarne s’ouvrit sur un œil noir.

— C’est pour quoi ? demanda une voix marquée de l’accent chaud de Carqaram, une cité à l’ouest du royaume.

— Je suis Aspel, fils d’Amset, le ferronnier. Je viens pour affaire, répondit l’adolescent d’une voix claire et ferme.

Il y eut un murmure derrière la porte. L’homme de Carqaram semblait discuter avec quelqu’un. Puis la porte s’ouvrit dans un grincement sinistre.

— Entre, petit, appela une voix amicale.

Aspel passa la porte. La main de sa petite sœur agrippait toujours la sienne. La salle dans laquelle ils entrèrent était quasiment vide, à l’exception d’une table de mauvaise facture sur laquelle s’entassaient divers registres, des clefs, une rapière et une outre de vin. Quelques torches brûlaient dans les coins, laissant de larges traînées de suie sur les murs de grès.

Le portier de Carqaram, un homme massif au crâne chauve, referma la porte derrière eux et croisa les bras sur son torse en s’appuyant contre un mur. Un autre homme s’avança et sourit à Aspel. Il portait une simple armure de cuir sombre. Un sabre recourbé battait son flanc. Quelques mèches de cheveux collés par la transpiration tombaient devant ses yeux perçants. L’adolescent rassembla tout son courage pour prendre l’air assuré.

— C’est Kelt l’armurier qui m’a conseillé de venir vous trouver, il m’a assuré que vous étiez un homme de parole.

Son interlocuteur hocha la tête, mais ne répondit rien.

— Je voudrais que vous m’achetiez, monsieur.

Cette fois l’homme haussa un sourcil, il baissa un instant les yeux vers la jeune fille qui tenait toujours la main de son frère, puis revint vers le visage de l’adolescent.

— Tu veux devenir esclave ? s’étonna l’homme.

— Mon père, Amset, est mort la semaine dernière. Nous ne possédons rien. Ma mère a dû emprunter de l’or pour payer les rites funéraires, résuma Aspel d’une voix mesurée et sans émotion. Mais nous ne pourrons pas rembourser, nous gagnons trop peu et deux de mes frères sont encore trop jeunes pour travailler. Nos créanciers finiront par prendre notre maison. Si vous acceptez de m’acheter, la somme devrait suffire à rembourser notre dette.

Le marchand d’esclaves hocha à nouveau la tête. Il n’était pas rare que de pauvres hères vendent leur vie pour sauver leur famille. Dans le royaume d’Idac, où l’esclavage était courant, il s’agissait de l’ultime recours qu’avaient les gens trop pauvres. Lorsque l’on ne possédait plus rien, il était encore possible de monnayer sa vie, sa liberté, sa dignité. Aspel s’efforçait simplement de ne pas penser à ce qui l’attendait.

— Tu devrais plutôt vendre ta sœur, proposa l’homme d’une voix conciliante, elle est jolie, je pourrais la vendre ici même à Tès.

— Je refuse que ma sœur se prostitue, déclina Aspel sans colère.

— Je comprends, mais pour toi ce sera les travaux forcés, ou l’arène…

— Je sais, souffla le jeune homme.

Sa sœur étouffa un sanglot contre le dos de sa main.

— À combien s’élève votre dette ?

— Trente pièces d’or.

Le marchand caressa la courte barbe râpeuse de son menton.

— La semaine prochaine, je remonte en direction de la Côte Brise-Lames. Les villages miniers manquent de main-d’œuvre. Tu as l’air jeune et robuste… Quel âge as-tu ?

— Dix-sept ans.

L’esclavagiste plissa les yeux, calculant en silence.

— Je devrais pouvoir te vendre pour soixante pièces d’or environ aux villages miniers de la Côte Brise-Lames. Si on compte ce que tu me coûteras pendant le voyage… Je peux te donner tes trente pièces d’or, fils d’Amset. Si c’est vraiment ce que tu veux… Mais réfléchis bien. Si tu deviens esclave, tu ne reverras jamais ta famille, ni Tès ; et tu ne retrouveras jamais ta liberté.

À ces mots la petite sœur d’Aspel se pressa un peu plus contre lui, ravalant un sanglot. Le jeune homme, lui, demeura stoïque, il s’était déjà résigné. C’était la seule solution pour protéger sa famille.

— Oui, c’est ce que je veux, répondit fermement l’adolescent. Donnez l’argent à ma sœur, s’il vous plaît.

L’homme hocha à nouveau la tête, mais un peu comme à contrecœur. Il ordonna au portier d’aller lui chercher trente pièces d’or et rédigea un acte de vente en plusieurs exemplaires. Aspel qui ne savait pas écrire recopia seulement son nom en bas des parchemins comme lui demandait le marchand.

Le portier revint avec un petit lingot d’or qui tenait dans la paume de sa main. Il le tendit à la sœur d’Aspel.

— Tenez mademoiselle, dit-il de son accent rocailleux, ce lingot vaut trente pièces et il sera plus facile à cacher qu’une bourse d’or, les rues du port ne sont pas sûres pour une jeune fille.

La jeune fille le remercia timidement, un peu surprise de cette sollicitude. Le marchand lui remit un parchemin roulé, marqué du sceau des esclavagistes.

— Voilà une copie de l’acte de vente qui prouve que ton frère n’a pas été enlevé contre sa volonté par ma guilde.

Elle hocha la tête et se tourna vers Aspel.

— Mère ne se remettra jamais de t’avoir perdu, dit-elle d’une voix blanche, cet argument dit du bout des lèvres sonnait comme un dernier effort désespéré pour convaincre son frère de renoncer.

— Elle s’en remettra mieux que si tous ses enfants mouraient de faim dans la rue, assura l’adolescent. Il n’y avait rien d’autre à faire… Tu l’embrasseras pour moi.

Elle enroula une dernière fois ses bras autour du cou de son frère, puis recula vers la porte. Elle ne le remercia pas, elle murmura simplement qu’elle était désolée et essuya ses larmes d’un revers de manche. Aspel lui offrit un pauvre sourire. Puis le portier déverrouilla la porte et la lumière du matin emporta la jeune fille.


* * *

La Côte Brise-Lames était à près de quatre-vingts jours de Tès, à travers une route de feu et de poussière. Aspel passa quatre jours et trois nuits dans les cachots de l’entrepôt des esclavagistes avant que la caravane marchande ne l’emporte loin de sa ville natale. Ils quittèrent la cité à la tombée du jour. Leur convoi n’était constitué que d’esclaves mâles, enfermés entre les barreaux de vastes cages transportées sur les chariots de la guilde.

Les jours se succédèrent, interminablement ponctués par les cahots de la route qui se déroulait à perte de vue, entre les montagnes désolées de l’Échine à l’ouest et les sables arides du désert Nébether à l’est. Les hommes entassés dans les cages semblaient pour la plupart avoir renoncé à recouvrer un jour leur liberté. Certains venaient de Sacarnac, de Carqaram ou d’Ourand ; il y avait même parmi eux des esclaves du lointain Royaume de Dolmont, par-delà la mer Scorpion. Ces hommes qui n’avaient pas été vendus sur les marchés aux esclaves des autres grandes villes du royaume d’Idac étaient souvent des vieillards ou des infirmes, des criminels ou de futurs gladiateurs que l’on destinait aux arènes d’Ailée d’Est.

Aspel remarqua également un enfant, un garçon de moins de dix ans qui s’appelait Khepri et ressemblait à l’un de ses frères. Il avait entendu murmurer que le garçon devait être vendu à un riche bourgeois de la Côte Brise-Lames qui affectionnait particulièrement les enfants… Aspel en fut dégoûté.

La caravane progressait depuis des jours sous un soleil qui cognait si fort sur la route de terre battue qu’on eût dit qu’un orage de feu venu du désert menaçait à chaque instant de s’abattre sur la lande aride. On apercevait au loin, dans l’ondoiement de l’air brûlant, les premières dunes de sable ocre, aux portes de Nébether.

Aspel protégeait comme il le pouvait sa peau des meurtrissures du soleil en se recroquevillant dans ses maigres vêtements de toile, terrassé de chaleur. Dans la cage où les barreaux semblaient sur le point de fondre, les esclaves abattus, faibles et transpirants, étaient assommés par la soif. Et les nombreuses outres et tonneaux d’eau emportés par les esclavagistes étaient depuis longtemps vides.

— Nous arrivons près d’une source d’eau, nous nous y arrêterons jusqu’à la tombée de la nuit, leur annonça finalement Lykaïos, le chef du convoi monté sur un cheval noir. Vous pourrez boire à satiété, tenez bon.

Aspel devina que ces paroles de réconfort étaient plus dues à la crainte de perdre ses précieuses marchandises qu’à un réel souci de la santé des esclaves. Cependant, la nouvelle redonna espoir aux hommes épuisés et les heures qui suivirent se passèrent dans l’attente de voir apparaître la source d’eau promise.

Enfin, quand les hommes commencèrent à désespérer et à plonger dans une angoissante torpeur, l’éclaireur du convoi, un jeune Tesséen sur une jument nerveuse, siffla trois fois entre ses doigts.

— Nous y sommes ! annonça Lykaïos satisfait.

Les esclaves se redressèrent et tendirent la tête. À quelques distances, sur le côté droit de la route de terre, des hommes en armure de cuir clair et à la tête enturbannée dans des étoffes de coton blanc gardaient, arbalète au poing, ce qui semblait être l’entrée d’un village en ruines. Lorsqu’ils arrivèrent à leur hauteur, les gardes parurent reconnaître Lykaïos qui était descendu de cheval pour venir à leur rencontre et ils le saluèrent d’une poignée de main amicale.

Le chef de la caravane détacha une bourse accrochée à la selle de sa monture et la tendit aux gardes.

— Quarante pièces d’argent, nous avons besoin d’eau pour les hommes et les chevaux. Nous resterons jusqu’à la nuit, déclara-t-il.

Les gardes soupesèrent la bourse, acquiescèrent et invitèrent la caravane à passer. Il n’était pas rare, sur ces routes pratiquées uniquement par les marchands et les bandits, loin des grandes villes et de la protection de leurs gardes ou de la puissante armée d’Idac, que des mercenaires s’approprient un lieu de ravitaillement ou de passage et y établissent un péage.

Le convoi pénétra dans le village en ruines. Les carcasses de pierre et les arches brisées de ce qui avait dû être une petite bourgade s’élevaient vers le ciel comme les os blanchis d’un antique dragon. Des marchands et des voyageurs se pressaient autour de plusieurs puits, sommairement creusés dans la terre. On en tirait des seaux, on remplissait des outres, des gourdes, des tonneaux ainsi que des bouteilles, sous l’étroite surveillance de la bande de mercenaires armés.

Quelques personnes se reposaient dans l’ombre des murets encore debout. Des hommes dormaient au milieu de leurs chevaux et de leurs marchandises. Aspel vit même une famille, qui voyageait avec trois enfants et une vieille femme, se reposer à l’ombre d’une tourelle effondrée.

Les esclavagistes remplirent des tonnelets et des seaux et les firent passer aux esclaves qui burent comme ils purent, portant difficilement la précieuse eau à leurs bouches asséchées, tout entravés qu’ils étaient par les chaînes de fer. Aspel saisit non sans difficulté le petit tonneau ouvert que lui tendait son voisin d’infortune. L’eau y était grise et trouble, salie par la poussière du visage et des mains des autres esclaves qui y avaient bu avant lui. Mais Aspel, trop assoiffé, ne put faire de manières et but autant qu’il avait soif, avant de se renverser ce qui restait d’eau sur la tête et les épaules.

Puis les esclavagistes conduisirent les chariots à l’écart des autres voyageurs. Ils les placèrent à l’ombre derrière de hauts murets, dételèrent les chevaux et les firent boire et reposer. De l’endroit où il était, la tête lourdement appuyée contre les barreaux encore chauds, Aspel observait distraitement les marchands qui se pressaient autour des puits. Habitués au spectacle du transport d’esclaves, ces gens du voyage ne s’étaient même pas arrêtés pour regarder les lourds chariots de la guilde et leurs sinistres marchandises.

Il observa un groupe de voyageurs étrangers qui repartait après avoir rempli plusieurs outres et se demanda si le monde leur semblait vaste comme il lui avait semblé qu’il l’était, autrefois, quand il rêvait de visiter un jour les royaumes voisins ; quand il voulait voir les mers et les forêts du nord, les immenses prairies du Dolmont, les surprenantes citadelles d’Osgholt… Aujourd’hui l’univers lui semblait être entré tout entier dans cette cage, s’être soudé à ses chaînes et n’exister qu’à travers des barreaux.

Les mercenaires levèrent la tête quand un cavalier mit pied à terre devant un puits. Sa jument avait une crinière couleur feu et une robe pourpre telles qu’Aspel n’en avait jamais vu. Elle n’était pas sellée, une épaisse couverture de coton sombre la couvrait et des sacs en toile étaient jetés en travers de son dos. L’homme était drapé de larges vêtements noirs et seuls ses yeux d’onyx perçaient entre les couches de coton.

Aspel devina qu’il appartenait au peuple des nomades du désert, ces sorciers montés sur des chevaux des dunes qui ne craignaient ni le feu du soleil, ni la sécheresse des terres désolées. On les disait guerriers et magiciens, voleurs et aventuriers, parcourant les immensités vides à des desseins connus d’eux seuls.

Les marchands et voyageurs, qui ne s’étaient pourtant pas tournés pour regarder la caravane des esclaves, s’arrêtèrent tous pour observer le nouveau venu. Un mercenaire lui tendit un seau contre une poignée de pièces et l’homme le remercia à voix basse. Il agissait tranquillement et ne semblait pas avoir remarqué l’attention dont il était l’objet – ou feignait de n’en rien voir. Il mouilla le museau de sa jument et la bête fit mine de vouloir boire un peu, s’approcha, se laissa caresser par l’eau fraîche et sortit la langue. Mais lorsqu’il renversa plus d’eau, elle secoua brusquement la tête, signifiant la fin du jeu. Aspel observa avec fascination le nomade qui semblait s’amuser, doucement secoué d’un rire bas. Il flatta avec tendresse l’encolure de sa jument et remplit une outre d’eau fraîche. Il dégagea sa bouche pour boire, dévoilant un visage à la beauté mâle, sombre et mystérieuse. Sa mâchoire carrée, son nez anguleux, l’aura de force et de dureté qui émanait de lui, contrastèrent avec le sourire bienveillant avec lequel il remercia le mercenaire en lui rendant le seau. Aspel, fasciné par son allure et son assurance, ne le quitta pas des yeux alors qu’il repartait.

Le nomade remonta agilement sur le dos de la jument et retraversa le village en direction de l’Est. Il passa devant les chariots de la guilde et s’arrêta brusquement. Son regard glissa, stupéfait, sur la misère des corps entassés entre les barreaux noirs. Et Aspel qui l’avait trouvé captivant, l’envia douloureusement d’être libre. Il détourna son regard du nomade, parce qu’à travers ses yeux, il réalisait qu’il était dans une cage. Le monde lui sembla à nouveau vaste, il lui sembla à nouveau qu’existaient les forêts septentrionales et les vertes prairies du Dolmont, les riches cités d’Osgholt et là, juste à ses pieds, l’immense désert Nébether, aux secrets enfouis sous les sables.

Et jamais il ne pourrait rien voir de tout cela.

Le cavalier lança sa monture et s’en fut vers l’Orient. Et Aspel baissa les yeux sur les fers qui rongeaient ses poignets.


* * *

À la tombée de la nuit, la caravane de la guilde des esclaves se remit en route. Les chariots furent à nouveau secoués par les irrégularités du chemin de terre, de cailloux et de sable. Les heures s’étirèrent, les lunes se levèrent et un vent frais descendu des monts de l’Échine rendit le voyage moins pénible. Aspel observait le ciel en somnolant par moments.

Soudain, surgissant des ombres, face à la caravane, deux cavaliers éperonnant frénétiquement leur monture bondirent presque sur le chariot dans lequel se trouvait Aspel. Ils évitèrent la collision à la dernière seconde en déviant la course folle de leur monture, effrayant les hommes et les chevaux du convoi. Ils s’enfuirent sans dire un mot à la même vitesse effrénée, dans la direction opposée à celle des esclavagistes.

En relevant la tête au moment où ils passèrent à la hauteur de son chariot, Aspel put distinguer dans l’agitation les traits terrifiés du second cavalier, éclairés par la lumière d’un objet brillant qu’il serrait contre lui et à demi couvert d’un morceau d’étoffe. Il lui sembla qu’il jetait d’incessants regards angoissés derrière lui. Et le cœur d’Aspel se serra d’un sombre pressentiment.

Les esclavagistes mirent quelques minutes à calmer les bêtes affolées. Et la caravane repartit dans un silence nerveux. Les hommes débattaient à voix basse de la course des deux cavaliers et Aspel crut comprendre que les esclavagistes craignaient une attaque de bandits. Il fut décidé d’allumer des torches supplémentaires autour des chariots. La nuit était sombre et les esclavagistes espéraient que la vue de leur nombre et de leurs armes dissuaderait tout voleur de leur tendre une embuscade.

Les hommes de tête allumaient des torches et les faisaient passer à l’arrière du convoi lorsqu’un troisième cavalier surgit de la nuit en galopant dans la même direction que les deux fuyards. Les esclavagistes interpellèrent cette fois le voyageur, mais il les évita adroitement et les ignora. Aspel eut tout juste le temps de reconnaître le nomade qu’il avait vu plus tôt à l’oasis grâce à la lumière des torches. Il allait à une allure bien plus rapide que ceux qu’il semblait poursuivre, presque couché en avant sur sa jument pourpre. Il avait l’air furieux et farouche, autant que les cavaliers précédents avaient semblé affolés et anxieux.

Les murmures des esclavagistes redoublèrent après son passage. Les deux cavaliers de tête tirèrent leur épée et levèrent leur torche pour scruter les ténèbres. Aspel vit Lykaïos, le chef de la caravane, s’entretenir avec son éclaireur qui partit en avant, disparaissant dans la nuit.

La caravane se remit en marche à un rythme beaucoup plus lent. Les chevaux s’effrayaient au moindre bruit et les hommes avaient peur. Les esclaves scrutaient également la nuit, craignant et espérant tout à la fois que la caravane fût attaquée et qu’une chance de s’enfuir leur fût offerte.

Au bout de plusieurs longues minutes, qui ne calmèrent pas l’agitation des chevaux, un homme de tête poussa une exclamation de surprise et Lykaïos le rejoignit immédiatement à l’avant du convoi.

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