Sur ses ailes
450 pages
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Sur ses ailes , livre ebook

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Description

Connie, jeune Anglaise pauvre du Black Country de la fin des années soixante, et Jimmy, son demi-frère français, agrégé d'histoire et junkie, sont ensorcelés par ce qu'ils considèrent comme le plus grand groupe de rock du monde, Icarius. Avec d'autres, ils partagent de façon intermittente la vie joyeuse, folle, malade, glorieuse, parfois tragique des quatre musiciens, sous le regard tantôt fasciné, tantôt désespéré de la narratrice et compagne de Jimmy.
Les personnages, y compris les musiciens, grandissent en même temps qu'Icarius. Embarquée dans la vie déjantée du groupe pendant plus de dix ans, découvrant le travail acharné des musiciens, la groupie énamourée se transforme peu à peu en artiste peintre, conceptrice des pochettes de disques d'Icarius. Jimmy, lui, se brûlera les ailes...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 juin 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414089239
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0112€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-08921-5

© Edilivre, 2017
I Jimmy
Mon père aurait appelé ça une musique de barbares, enfin je crois qu’il ne l’aurait pas imaginée, je m’arrangeais pour qu’il n’entende pas ces choses, lui qui n’aimait même pas les symphonies, lui qui disait que les sucreries des Beatles c’était pour les sauvages, « On n’en parlera plus dans cinq ans, et dans dix on ne saura plus qui ils sont ! », il affirmait, un coin de rire au bord de l’œil, il disait ces mots et j’avais quinze ans ? Dix-huit ? Je ne sais plus… Il exaspérait ma sœur et ma mère, quant à moi…
Moi, dans le noir, sous les étoiles, j’allume ma cigarette, je viens de revoir Loulou , je m’applique à écouter ces sons, sorte de blues je suppose, si je me souviens bien de ce que disait Jimmy, et j’ai le blues, je chasse les larmes qui viennent, je suis comme les minables babes des chansons qui passent, pleurant leurs pauvres types aux illusoires rêves de liberté absolue.
La liberté du vide, les longs fils bleus taillés dans l’ocre, ces routes qui vrillent les déserts américains, j’en pleure qu’il se soit fait berner par ces mirages : les road movies, c’est des histoires de pauvres mecs, j’enrage et je crache la fumée, là, sous les étoiles, les road movies, c’est pour les pauvres.
Jimmy. Il me parla des étoiles une seule fois – je m’étonnais de ses paroles bizarres, un peu candides sorties d’une bouche aussi terrestre – il imaginait que dans l’immensité de l’univers vivait une autre Terre avec les mêmes hommes, les mêmes bêtes, les mêmes langues, seule l’Histoire était légèrement différente et les noms changeaient, par métamorphose, précisait-il, mais pendant des années il me submergea de la vie trépidante de Connie, dans une ville des Midlands en 1967 ou quelque part dans cette décennie.
– Tu imagines, disait-il, qu’elle a vécu les prémices, les commencements, ce qu’il y a de plus fort, tout s’est noué, là, sous ses yeux…
Je me moquais de cette ferveur pour une épiphanie  : des cercles de l’enfer sidérurgique des Midlands étaient nés des héros, nous menant jusqu’au ciel, comme des anges. Il m’entendait à peine, ce n’était pas l’essentiel, il me parlait de Connie, tentait de m’attacher à elle, mais cette gamine british aux fades cheveux crêpés, aux yeux de poisson mort, aux tricots roses, même pas du shetland, comme ceux purs papiers de verre que j’avais achetés à Londres avec maman, un rouge, un noir, j’ai détesté Connie, cette fille de pacotille, groupie de bazar et de banlieue, saoulée de bière dans des pubs miteux en face de terrains vagues où traînaient ses frères accrochés à leurs guitares volées, je la maudissais à m’arracher le fond de l’âme, Connie, la pauvre gosse qu’il adorait, « des yeux très pâles d’anglaise », Connie, qui l’habitait tout entier. J’ai pleuré. Il la transforma en fée, parée de longues robes fleuries, elle dansait, s’attachant aux pas d’un banshee aux longs cheveux d’or, et il dévidait le fil d’un récit baroque noyé de musique au bord de l’eau et des scènes de concert, qu’il ne ramena plus beaucoup au cœur des Midlands qu’elle avait désertés. J’avais désiré ces histoires, pourtant parfois je le fuyais, l’abandonnant à son délire.
Et je revenais et il m’arrivait de lui demander encore des histoires de Connie, je suis une enfant du remords, j’ai haï Connie au début mais j’aimais Jimmy, sa splendeur m’émerveillait, me fascine quand j’y songe, même s’il n’était plus le même archange aux cheveux de corbeau quand il s’est éclipsé, non, il avait des rides, du gris dans ses mèches noires, plus le même visage parfait, le menton moins dessiné, un peu noyé, mais j’ai en moi ce sourire désenchanté, son sourire de sorcier, balancé les derniers jours, juste avant que… Le CD s’arrête et ma cigarette s’est consumée sans moi, je vais rentrer, choisir autre chose, toujours les mêmes chansons qui me rappellent Jimmy, une autre cigarette.
La nuit est si tendre, une grande enveloppe noire, argentée… Je dois baisser le son, je ne suis pas sûre que la musique dérange les voisins, pas sûre qu’ils entendent, je le baisse car les enfants dorment, les parents peut-être aussi à minuit… J’écoute et chaque note, chaque mot, compris ou non, chaque riff pénètrent en douce malgré les cris du screaming banshee en écho aux éclats de la guitare de Patrick Jones, je m’imprègne encore de ce qu’écoutait Jimmy, en boucle les derniers temps avant qu’il ne s’évade, des chansons de guerre, des chansons de sexe, des chansons d’amour, qu’importe les contradictions, ce sont des mots de chansons différentes, qui se suivent presque, seulement des chansons, je ne comprends pas tout, juste l’âme, Jimmy affirmait qu’il valait mieux, ne pas déflorer, garder le mystère frissonnant, il riait, je me moquais.
– C’est ridicule ! On dirait que ce sont des dieux pour toi : c’est juste du rock !
– C’est préférable de ne pas tout comprendre.
– Pourquoi ? Les paroles sont ignobles ?
Il haussait les épaules, redevenu sérieux, un peu sombre.
– Parfois ignobles ou poétiques ou obscures, quelquefois stupides et on s’en fout : on a la voix de Rowdy, magnifique, et les arrangements somptueux de Brady.
Cette façon qu’il avait de parler d’ Icarius , ce maudit groupe que j’écoute en cet instant, malgré tout, malgré la nuit qui s’acharne et vient de ranger ses étoiles, cette façon de surnommer les membres du groupe comme s’il avait coutume de leur taper sur l’épaule ou de boire un verre en compagnie de Rowdy , Perry , Judy , Brady , la voix de Rowdy et la guitare de Perry, Perry , surnom absurde pour Patrick Charles Jones .
* *       *
– Tu connais Jimmy, toi ?
– Ouais… Je l’ai rencontré deux ou trois fois à la fac, mais je le connais d’avant, c’était mon voisin.
– Ne le regarde pas trop, s’il te plaît.
– Et pourquoi ça ? Dis-moi ?
– Il est trop beau, les filles de la section en sont toutes entichées.
Nous étions au Florence, à côté de la fac de lettres et c’est ainsi que Thomas me présenta Jimmy.
Sa remarque me plongea dans l’hilarité, à un point tel que je dus me pincer, serrer les dents, incapable de dire un mot, il me regardait perplexe, puis irrité, vexé, je voyais son front se plisser, ses yeux rétrécir, enfin carrément fâché, mais ses reproches cinglants n’eurent aucun effet.
– On m’avait dit que tu étais une idiote égoïste et plein d’autres choses sur toi. En te voyant rire comme une conne, je me demande si…
– Si les imbéciles qui t’ont parlé de moi aussi gentiment n’avaient pas raison ? – et le rire finit par s’éteindre parce que j’étais vexée à mon tour, blessée par des médisances que j’ignorais – oui, il faut les croire !
Il s’est pourtant cru obliger d’inviter Jimmy qui buvait seul à se joindre à nous, un signe, « Hé ! Jimmy ! Tu viens ? »
Je me souviens de ce moment avec une précision étrange, un souvenir net, parfaitement dessiné dans ses moindres détails, les longs cheveux noirs de Jimmy en mousse bouclée sur ses épaules, son visage mince, les cils ombrant des yeux clairs, très grand, il se leva et s’assit à côté de Thomas, apportant son verre de coca, il ne buvait que des sodas à l’époque, du moins quand il ne faisait pas la fête.
– Tu attends qui ?
– Personne. Je me suis disputé avec Sonia. Elle est partie hier soir, j’ai hérité de son chat, je ne sais pas quoi en faire, tu le voudrais pas toi ?
La question directe s’adressait à moi, ses yeux m’ont détaillée, se sont plantés dans les miens, j’ai détesté ce regard et ce drôle d’insolence, j’ai compris aussi l’inquiétude de Thomas.
Nous avons bavardé sans penser aux mots échangés, j’étais assez vide, déçue sans trop savoir pourquoi, j’entendais les voix et voyais les visages, je ne savais que faire de cet instant-là, la main de Thomas posée sur la mienne, je ne t’appartiens pas, va pour ce soir, cette nuit, demain je reprends mes jeans, je les entasse dans ma petite valise, j’irai consoler Jimmy du départ de Sonia, je connais vaguement cette fille, elle est en lettres, deux ou trois ans de plus, je la croise parfois, éthérée dans ses grandes robes fleuries, Jimmy sera heureux que je vienne, je sais cela, je le sais… Je me souviens de tout avec la précision du diable.
Je quittai Thomas une fois la valise remplie de vêtements, difficile à fermer, mes livres, je comptais sur lui pour qu’il les range dans deux ou trois cartons que je viendrais chercher plus tard, mais l’apprivoisement de Jimmy ce fut une autre affaire, beaucoup plus compliquée, ainsi je subis la jubilation de mon ex-petit ami, ses moqueries et ses provocations mauvaises.
– Alors ? Tu es retournée chez maman ? Jimmy ne veut pas de toi ? Pour qui tu te prends ? C’est le mec le plus beau de la fac. Il t’a juste proposé un chat, pas son lit.
Thomas et nos amis – en fait les siens, puisque après l’avoir quitté, la plupart se détournèrent – n’imaginaient pas, à cette époque-là, à quel point j’étais forte et, par conséquent, déterminée à pénétrer quoi qu’il en coûte dans la vie de Jimmy. Dans un premier temps, mes parents furent ravis de mon retour à la maison, ils étaient du genre tranquille, sans états d’âme superflus, juste contents de moi, de me voir, de mon visage serein et j’avais ce visage sans nul doute le jour où je revins chez eux.
– Te voilà donc, ma fille, me dit mon père, Thomas n’est pas le bon. Je m’en doutais un peu, pas assez rock and roll pour une comme toi.
Cette expression, peu usitée en ces années qui pourtant l’étaient plus qu’aujourd’hui, mon père l’employait avec malice, un plaisir évident, saisissant au vol, de sa main raffinée, l’air du temps qui, moi, me glissait – et continue encore – comme du sable entre les doigts.
– Papa… Et j’insistai sur le deuxième a po

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