Tam-Tam de deuil
310 pages
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Tam-Tam de deuil , livre ebook

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Description

« Yagbéni était trempée de sueur. Ses mains pédalaient dans l'air comme les pieds d'un cycliste. À force de s'égosiller, elle était devenue aphone, la tête lui tournait, ses yeux pleuraient de joie, ses joues se gonflaient de fierté maternelle. À deux doigts d'exploser, ses tympans bourdonnaient comme une ruche. Elle arrêta ses contorsions pour reprendre haleine, mais bousculée par des fêtards effrénés, assommée par des décibels criards et assourdissants, elle quitta le salon et franchit le seuil de la porte de sortie. C'est alors qu'elle réalisa instantanément que tous les singes hurleurs du monde réunis n'auraient pas poussé des hurlements aussi effrayants, aussi sinistres que ceux que poussait la jeune fille. Cette fois, elle a vu le diable en chair et en os, murmura l'hôtesse de céans. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 mai 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332812186
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-81216-2

© Edilivre, 2014
1 Grande est ma fureur
Hier, j’ai divorcé, moi Toulia Malipassa, après un an de mariage, quatorze mois très exactement. J’ai divorcé de Valikéngué, mon premier mari.
Tout s’est passé très vite. Les juges coutumiers ne laissent pas traîner les divorces en longueur. Ils n’ont pas à citer et à coucher sur papier une batterie de lois et leurs articles. Leur seul et unique décret est le bon sens. Aussi, quand une personne décide de divorcer, il lui suffit d’invoquer un motif valable pour se voir accorder le divorce.
En un peu plus d’un an de mariage, je n’avais rien à me reprocher. Je me croyais irréprochable. Mais il y a trois jours de cela, l’humeur de mon mari s’était assombrie. Car il avait trouvé dans son plat un iule vivant. Le mille-pattes s’était probablement glissé dans la marmite pendant la nuit, par un trou qui se trouvait dans le couvercle. Mais c’était bien moi qui l’avais servi à mon mari, sans me douter qu’il se cachait sous les feuilles de manioc. J’étais désolée, navrée, et bien que je me fusse confondue en excuses, il me semblait que sa colère enflait comme les crues exceptionnelles de notre rivière. Je tentai de le comprendre en me mettant à sa place. Et je découvris que la vue d’un iule me révulsait, que sa laideur me faisait horreur et l’idée même qu’il se fût trouvé dans mon plat eût suffi à me dégoûter de tous les plats du monde. Je demandai pardon à mon mari, sans chercher à me justifier. C’était un accident. Et ce genre d’accident, bien que notre foyer ne l’eût encore pas déploré, était fréquent dans la région. Parmi les habitants les plus prolixes du bourg, on comptait les iules, les scolopendres et les forficules. On les trouvait partout : sous les pierres, les cailloux, dans les trous creusés par des rats, dans les arbres, les poches des pantalons, les lits et malheureusement, de temps en temps, dans les marmites et les assiettes. Quand il faisait très chaud, ils se retiraient dans leurs repaires pour guetter le crépuscule, la nuit ou une pluie soudaine qui viendrait les tirer de leur torpeur. Le climat, ensoleillé, mais tempéré par la forêt luxuriante et surtout par l’Oubangui qui dessert le bourg, semblait leur convenir à merveille.
Banga Mobay réunissait, outre ses bestioles, assez d’âmes pour être considérée comme une petite ville. Mais l’ombre de la forêt et surtout la prédominance des activités agricoles, pastorales et halieutiques la rangeaient irrémédiablement parmi les gros bourgs du Centramache.
La saison sèche le mettait à deux jours d’autocar de Nguibangbang, la saison des pluies à quatre, voire cinq, six. Bourg frontalier du sud de la République du Centramache, il s’étalait sur trois kilomètres au bord de l’Oubangui et abritait, dans des collines placées dans son dos, une importante colonie de cercopithèques.
La rivière, appelée fleuve par la quasi-totalité des villageois, se voyait, du haut de la colline la plus à l’ouest, s’approcher majestueusement du bourg. Long ruban large et argenté, pagne épais, traîne interminable qui se déploie aux pieds des arbres géants.
Elle va, elle coule, la rivière, entre deux drapeaux au nord et un au sud, entre plusieurs langues qui, nuit et jour, la chantent pour l’encourager à franchir des pièges de rochers comme celui qu’elle franchit en bondissant devant Banga Mobay.
Ces rapides, cœur vivant du bourg, et les collines peuplées de cercopithèques, constituaient la partie la plus charmante de ses curiosités.
Ses boutiques, ses bureaux et ses maisons de fonction tombaient en ruine. Rongés par la rouille, leurs toits de tôles ondulées ressemblaient aux toits de chaumières minés par des termites.
Ses habitations, chaumières grises pour la plupart, redoutaient les crues de la rivière qui leur causaient périodiquement de gros dégâts.
Son chef s’appelait Voundou Adé. Il logeait dans la plus grande des chaumières, à un kilomètre en aval du barrage que les autorités zaïroises construisaient sur l’Oubangui.
Le lendemain de l’accident, mon mari me quitta très tôt, au petit matin, sans me dire où il allait. Je passai la matinée à préparer le déjeuner et à l’attendre… jusqu’à quatorze heures où le planton du tribunal coutumier était venu me dire que mon mari m’attendait chez le chef pour divorcer.
J’étais abasourdie, je croyais à une farce, une plaisanterie de mauvais goût. Mais ce planton, je le connaissais. Il était tout sauf un plaisantin. Plus âgé que mon père et considéré comme un sage, il ne se fût jamais permis de plaisanter sur mon éventuel divorce.
J’avalai ma surprise et, à ma grande surprise, elle me creusa l’estomac. J’avalai ensuite coup sur coup trois boulettes de manioc avant de prendre un air faussement détendu pour demander au planton d’aller informer son tribunal que je répondrais à sa convocation après avoir déjeuné. Il me souhaita « Bon appétit ! », mais je ne l’écoutais déjà plus, je ne le voyais plus : je mangeais, je mangeais comme un cochon affamé. Je voulais que la nourriture occupât tout mon être, tout mon esprit, toute mon âme. Qu’elle chassât de ma pensée le mot divorce et son tribunal qui m’attendaient . Manger, manger comme quatre, me goinfrer. Je pris la part du repas que j’avais réservée à mon mari et je l’engloutis. Ce soir, il cuisinera son dîner lui-même, après avoir fait la vaisselle. Je bus plusieurs verres d’eau, puis je renversai dans mon potager assoiffé par la canicule les deux calebasses d’eau potable que j’utilisais pour mes travaux ménagers. Ce soir, le divorcé ira se baigner dans l’Oubangui, dans le noir, ensuite il ira chercher de l’eau potable à Komodou, à six cents mètres de sa chaumière pour se désaltérer.
Je partis au tribunal vers quinze heures, presque enceinte… de nourriture. Sur mon parcours, je croisai deux iules, à cent mètres d’intervalle. Je laissai partir le premier, mais le second me remplit soudain de fureur. Il me semblait que pour me narguer la cause de mon divorce s’était multipliée sur mon chemin. Je pris un caillou et, les yeux fermés pour ne pas voir l’agonie de cette hideuse créature, je le lui lançai avec suffisamment de force pour qu’il lui disloquât son corps annelé. Le projectile percuta le sol et fit gicler des gravillons à quelques centimètres de sa tête. Il était intact, mais ayant senti l’agression, il s’enroula en spirale comme s’il eût voulu me demander pardon, comme s’il eût voulu se mettre à genoux. Je me détournai de lui et me hâtai pour le tribunal.
Un hangar de chaume lui servait de cadre. Toujours bondé les jours d’audience, il était clairsemé ce jour-là. Outre mes parents, il y avait la famille de mon mari, une douzaine de personnes, trois assesseurs et Voundou Adé, l’inamovible président du tribunal coutumier.
Le chef président Voundou Adé, de son vrai prénom Emile, était un homme de petite taille, toujours vêtu, quand il officiait, d’un tee-shirt blanchâtre et d’un pagne multicolore. Il avait autrefois fait des études de comptabilité et travaillé dans plusieurs boutiques de la région avant de revenir, six mois après sa retraite, relever son frère cadet à la tête de la chefferie. Il était brun, imberbe et chauve. On le disait rancunier. Ses lèvres paraissaient soudées : il ne riait ni ne souriait. Mais curieusement son visage n’inspirait aucune crainte. Il paraissait ouvert et respirait le calme qui émanait de tout le personnage.
– Ton mari voudrait divorcer, me dit-il après que je me fus installée entre mes parents. Il vient, dans une longue déclaration, de nous donner ses raisons. En gros tu ne sais pas faire à manger, tu ne sais pas faire la vaisselle, tu ne sais pas faire la lessive, tu ne sais pas faire des enfants et… et… tu n’étais pas vierge le jour de ton mariage. C’est beaucoup de défauts pour une jeune fille, commenta-il, en interrogeant du regard ma mère.
– Je sais, papa Voundou Adé, que c’est beaucoup de défauts pour une jeune mariée ! lui répondit ma mère. Je sais aussi que plusieurs jeunes filles de chez nous ont divorcé pour moins que ça. Vous voyez que je ne cherche pas à la défendre, puisqu’elle est déjà condamnée. Elle s’est elle-même condamnée au divorce en refusant d’appliquer tout ce que je lui ai appris, en refusant de faire tout ce qu’elle faisait à la maison : la vaisselle, la lessive et les repas. Si je devais défendre quelqu’un, ce serait moi.
Père Voundou Adé, vous avez semblé, en m’interrogeant du regard, me mettre en accusation. Je me défends, car moi, sa mère et son modèle, je ne suis pas une paresseuse. C’est moi qui fais tout à la maison. Quand elle était avec nous, elle m’aidait, c’est vrai, en apprenant ses tâches de femme au foyer. Mais depuis son mariage, c’est moi qui suis redevenue la bonne à tout faire de mon foyer. Mon patron, pardon, mon mari est là pour le confirmer.
Papa avait souri timidement et murmuré : « Nous sommes ici pour parler de Toulia. »
– … de Toulia et de son mari, avait complété le chef Voundou Adé avant d’interpeller mon futur ex. Mon cher Valikéngué, vous venez de nous aligner cinq motifs dont chacun est susceptible de vous accorder le divorce. Avec votre permission, nous allons en examiner deux. Premièrement : celui qui accuse votre femme d’être mauvaise cuisinière. Vous avez mis plus de douze mois pour vous en apercevoir ! Est-ce bien raisonnable ?
– J’ai été très patient, papa Emile, trop. Chaque fois qu’elle me présentait une mauvaise nourriture, je l’excusais en espérant qu’elle s’améliorerait le lendemain. Mais c’était toujours pire le lendemain. Si j’avais divorcé plutôt, vous avez raison, je ne me serais pas retrouvé avec un iule dans mon petit déjeuner.
– Deuxièmement : le dernie

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