A la frange des lumières
304 pages
Français

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Description

10 mars 1939, banlieue est de Rouen. Pour Thérèse, tout commence bien. Mais six mois plus tard, la guerre éclate. Elle a quinze mois lorsque son père, officier, est fait prisonnier. Direction l’Oflag IIB, en Pologne. Avec sa mère et son frère, Thérèse quitte la zone occupée et rejoint Montpellier. Au-delà du cercle familial, le monde paraît fou, la France sombre dans la collaboration. Hiver 1945, à Arnswalde, trois colonnes de neuf cents hommes, amoindris après cinq années de privations, quittent définitivement le camp sous une tempête de neige et entament à -12 °C un long périple. Leur errance durera près de trois mois... S’accrocher à la vie, espérer que la vie reprenne un jour son cours... Pour la fillette de six ans, tout reste à construire...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 février 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748398755
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

A la frange des lumières
Thérèse-Françoise Crassous
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
A la frange des lumières
 
 
 
 
« L’enfance est un couteau planté dans la gorge, on ne le retire pas facilement. »
Incendies de Wajdi Mouawad
 
 
 
« Parfois privée de source ou d’estuaire, notre histoire s’est forgée d’éclats miroitants. »
 
 
 
 
Avertissement
 
 
 
Tous les noms présentés dans cet ouvrage ont été changés.
 
 
 
 
Quelle drôle de ligne de vie !
 
 
 
L’homme en blanc, souriant devant moi, m’annonce que je dois me faire mettre une prothèse au genou gauche. Je reste estomaquée un moment.
En un éclair passent ces pensées moroses : et si ça ne marche pas ? Si moi, Marie-Henriette, je deviens impotente, quelle sera mon existence, assise sur mon fauteuil devant la fenêtre, à regarder éternellement les passants et la vraie vie ?
Le chirurgien, au visage poupin derrière ses lunettes aux montures fines d’homme d’affaires, s’ingénie à me rassurer tandis que je me remémore l’hécatombe des amis ou connaissances de ma génération depuis quelques années. Moi qui trottais, avant ces douleurs atroces au genou, comme un petit lapin, arpentant la ville à pied pour l’exercice, j’ai pris un sacré coup de vieux après mes soixante-dix ans, réduisant mes mouvements au gré des bus et du tram. La voiture ne sort plus que tous les quinze jours pour la réunion à Fabrègues et les courses à l’Intermarché du quartier, avenue Georges Clemenceau. Moi qui n’étais jamais malade ou si peu, une petite grippe soignée avec du miel et du lait, ne plus être autonome ?
Ce serait ma mort ! Mais, cette opération est devenue indispensable. Quel calvaire avait été le pèlerinage en Terre sainte au printemps dernier ! J’avais souffert et je souffre dès que je marche… un tant soit peu.
Quel sera mon avenir, mon « espérance de vie » ?
Je ne peux m’empêcher de regarder mes mains gonflées par l’arthrose, tachées de points bruns de vieillesse, et de scruter sur ma paume ces petites lignes hachurées et à mi-chemin coupées de trois grands traits. Des chocs d’après la cartomancienne qui, à mes quinze ans, m’avait prédit l’avenir et s’était exclamée, la main soudain devant la bouche en un geste effaré : « Quelle drôle de ligne de vie ! »
Je dois reconnaître que jusqu’à maintenant, la vie ne m’a pas épargnée. Pourtant, au début, cela avait bien commencé. Je suis née au XX e  siècle, juste avant la guerre, un an et un jour après mon frère aîné, comme ma mère le précisait à chaque fois. C’était le 10 mars 1939 à vingt heures. Le printemps n’avait sans doute pas pointé le bout de son nez et je ne voulais pas sortir trop vite ; peut-être étais-je paresseuse ou trop bien au chaud ? (Est-ce pour cela que j’ai toujours commencé à vivre vraiment le soir ? J’aime la nuit et l’ai toujours aimée.) C’était un vendredi, juste avant le week-end et les sorties.
 
À Amfreville-la-Mivoie en Seine-Inférieure (76) au 181, route de Paris, banlieue est de Rouen, la famille habitait dans une grande maison de fonction attribuée au directeur, bâtisse de briques rouges sûrement fabriquées dans la région. Le département fut renommé plus tard Seine-Maritime pour ne pas que les habitants soient complexés par rapport aux autres : Seine, Seine-et-Marne et Seine-Saint-Denis.
 
 
 
Amfreville-la-Mivoie
 
 
 
Je fus le jour même ondoyée.
Puis quelques mois plus tard, le 30 juillet 1939, on me baptisa avec pour marraine Marie, ma grand-mère paternelle et comme parrain, mon grand-père maternel, Julien qui sont venus en train de Montpellier et de Lille. Étaient présents ce jour-là François, le grand-père paternel, les frères et sœurs de Charles, mon père : Henri, Odette et Fernande ; et ceux de Jacqueline, ma mère : Jean-François et Alain.
Hors du cercle de famille, les choses étaient moins paisibles : au pouvoir depuis quatre ans, élu homme de l’année 1938 par le Time s en Amérique, Hitler régnait et préconisait la pureté de la race. Il prononçait un discours en ce début d’année 1939, annonçant que « la guerre à venir entraînerait la destruction de la race juive en Europe. »
L’Europe avait une natalité débordante sauf en France où elle stagnait ; le pays, de ce fait, vieillissait. De plus, ses industries devenaient désuètes.
Par contre, les Allemands avaient augmenté la production dans tous les domaines, en particulier le charbon et l’acier. Ils avaient fait un effort énorme en matière de matériel militaire (le plus grand cuirassé, le Bismarck fut inauguré à Hambourg), d’aéronautique et de chemins de fer. L’armée créait de nouvelles divisions. L’État avait la mainmise dans nombre de pays sur les matières premières, par la prise de contrôle de l’IRI (Institut de reconstruction industrielle) dont les usines étaient implantées sur les cinq continents.
L’idéologie fasciste avait gagné les pays limitrophes de la France. Mussolini avait pris le pouvoir en Italie. En Espagne, Franco avait fomenté la guerre civile et beaucoup d’émigrés se réfugiaient en France (camps d’Argelès et des Milles). La Chine et le Japon étaient déjà en guerre ; ce dernier avait annexé l’île de Hainan et fait le blocus des concessions françaises et britanniques. Les escarmouches de ses alliés ont dû conforter le Führer, qui se voyait déjà le maître du monde. La France n’avait comme alliés que la Grande-Bretagne gouvernée par Chamberlain, et les États-Unis menés par Roosevelt.
Le Pape Pie XI décéda le 10 février et le 2 mars, le cardinal Eugenio Pacelli le remplaça sous le nom de Pie XII.
Était-ce de bon augure ?
 
Venue au monde sous le signe astrologique du poisson dans l’horoscope occidental, je pouvais prétendre à une vie heureuse car ne dit-on pas « heureux comme un poisson dans l’eau » ? Est-ce parce qu’on pense qu’il n’a pas de cervelle, ou qu’il a l’air trop stupide à tourner toujours en rond dans son bocal ?
Plusieurs autres maximes auraient pu m’aider à passer « tranquillement » les années ; également « fuyant comme l’anguille, grosse comme une baleine, plat comme une limande, vif comme une ablette, tranchant comme un espadon. » Et le requin alors ?
Comme eux, j’ouvrais la bouche, mais on ne m’entendait pas. Pourtant, les poissons ont inspiré nombre de musiciens : Schubert est devenu célèbre avec sa Truite .
En horoscope chinois et vietnamien, je serais un chat et pour les Japonais, un lapin. Hériterais-je des qualités et des défauts de ces sympathiques animaux ? Mais, on verra plus tard ! Ces préceptes asiatiques n’avaient pas la cote encore en ce temps-là.
 
J’étais une belle petite de 3,490 kg, aux yeux bleus, cheveux châtain foncé et je ressemblais à mon frère d’après les inscriptions relevées sur mon album de bébé. Pour tout le monde, une vraie petite poupée et d’une sagesse, on ne m’entendait pas. D’ailleurs, on m’appelait « Poupinette ».
La vie en ce temps-là, malgré les annonces alarmantes de guerre avec l’Allemagne, était, pour mes parents, souriante. Ils avaient eu le choix du roi, comme ils disaient souvent en riant : un garçon en premier, puis une fille.
Quel bonheur !
 
Mon père, Charles, avait été embauché, après de brillantes études à l’École centrale, comme ingénieur de fabrication chez Bozel-Malétra et nommé à l’usine de Savoie. Lui, de Montpellier, s’était marié le 18 mai 1937 avec Jacqueline, de Lille : un gars du Midi et une fille du Nord, aux habitudes diamétralement opposées selon leurs familles. Lui, héritier de la bourgeoisie déjà ancienne de province méridionale ; elle, issue d’un milieu de médecins militaires, ayant gagné leurs places dans la société par leurs carrières et leurs mariages.
 
 
 
Une union singulière
 
 
 
Mon père, Charles, d’une famille installée à Montpellier depuis 1632, avait vécu une enfance heureuse auprès de ses parents, François et Marie. Il naquit boulevard Victor Hugo, puis ses parents déménagèrent hors des murs et agrandirent la maison avec jardin du 10, rue Marceau. Vivaient aussi dans cette grande bâtisse la sœur de François, veuve de guerre de 14-18, et des cousins. Monique était l’aînée des enfants de cette famille nombreuse. Elle sera la première dans l’Hérault à conduire une automobile et, plus tard, entrera au couvent des Dames de l’Assomption ; venaient ensuite Charles (mon père), Henri (il deviendra ingénieur), puis Hubert (qui sera lui aussi ingénieur), et une dernière sœur, Colette dite « Câline » (future Petite Sœur de l’Assomption).
Les garçons allaient à Saint François Régis et les filles à l’Assomption, écoles réputées sévères, ce qui ne les empêcha pas de vivre ensemble des moments inoubliables. En face de la nouvelle maison, hors des murs de la ville, se tenait une entreprise – « Aux forges des Cyclopes » – qui la journée faisait un boucan d’enfer lorsqu’on y façonnait le métal. On peut encore voir à l’entrée cette enseigne. Sortaient sur la rue les roues cerclées des charrettes et les outils de jardinage. On s’habituait au bruit. Deux ou trois maisons plus loin, habitait le docteur Auguste, frère de Julien (le grand-père maternel), dont les filles et les garçons allaient ensemble aux mêmes écoles que les leurs en une joyeuse bande. Mon père qui, en garçon, faisait figure d’aîné entraînait cette jeunesse riante et sportive. Les vacances les réunissaient souvent dans les maisons de campagne avec leurs cousins (en ce temps-là, on recevait beaucoup la parentèle des départements voisins). Plus tard, il fit du ski et alla à la chasse, toujours avec les mêmes de son âge, par

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