Barbe Vigne
414 pages
Français

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Description

Londres, mars 1851
Chère Mary,
Vous vous plaignez du ton froid, ironique et distant de mes lettres. C’est que, voyez-vous, je n’ai pour l’instant aucune envie d’être affable et tendre. Pendant des mois, je n’ai eu qu’une idée fixe écarter de ma tête le souvenir de votre famille d’où j’ai été ignominieusement chassée. Croyez-moi, c’est une grande preuve d’amitié que je vous donne en acceptant de correspondre avec vous.

« Ayant hérité de nombreux papiers de famille j’ai consacré plusieurs années à les dépouiller et à écrire l’histoire des miens. De mon arrière-grand-mère Henriette Barbe, je ne possédais que l’état civil : naissance à Nancy en 1829, mariage à Calcutta en 1860, décès à Alger en 1894. J’ai été intriguée par son destin et j’ai comblé les pointillés de sa vie. » (Christiane Buret.)

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 avril 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414040568
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-04054-4

© Edilivre, 2017
Barbe Vigne
 
Chère Mary,
Oui, j’ai bien reçu vos lettres. Non, je n’y ai pas répondu. C’est par égard pour Mrs Jennings que je rédige ce mot qu’elle vous remettra. Comme – cédant à vos folles prières – elle a entrepris le pénible voyage jusqu’à Londres dans le seul but d’avoir de mes nouvelles et de vous les transmettre, il m’est difficile de refuser de faire ce geste.
Mais que les choses soient claires entre nous : en aucun cas je n’accepterai d’entretenir avec vous une correspondance clandestine. Il n’est pas question que j’offre à vos parents l’occasion d’avoir contre moi un grief légitime.
Je n’ai pas de raisons de vous en vouloir personnellement. Si vous tenez à ce que nous échangions des nouvelles, que ce soit au grand jour et avec l’accord de Madame votre mère. Peut-être pouvez-vous mettre en avant le désir que vous avez manifesté de continuer à vous perfectionner en français. Si vous en avez l’autorisation, nous pourrions nous écrire dans cette langue.
En ce qui me concerne, je suis correctement installée ici et je me porte bien.
Votre dévouée
Henriette
L ONDRES, DÉCEMBRE 1850
Chère Mary,
Je vois que vous n’avez pas changé et que lorsque vous avez une idée en tête vous êtes capable de beaucoup d’obstination pour arriver à vos fins. Quel dommage que vous ne mettiez pas une telle volonté au service d’un projet plus noble que celui de vous entretenir avec moi.
Donc, je suis d’accord pour échanger une lettre avec vous, une fois par mois par exemple. Votre lettre devra être rédigée entièrement en français et non pas une phrase toutes les cinq lignes, comme dans votre dernière missive. Et si vous ne connaissez pas un mot français, ouvrez votre dictionnaire au lieu de mettre le mot anglais à la place. D’ailleurs c’est simple, je ne lirai que ce qui sera écrit en français. Ne craignez rien, je comprendrai même si c’est incorrect, et si vous vous obstinez, je déchirerai les lettres sans les lire et sans y répondre. Si vous respectez la consigne, je vous ferai, dans ma réponse, des remarques sur les fautes les plus graves que vous aurez pu commettre. En vous appliquant, vous ferez des progrès rapides.
Vous me faites part de votre intention de continuer à lire du français. « Parce que cela me rapproche de vous », dites-vous. Si je vous inspire des activités telles que celles-ci, continuez à penser à moi, vous en tirerez grand bien. Vous pourriez commencer par relire Atala , que nous avions expliqué ensemble et qui vous avait tant attendrie. Avant mon renvoi, j’avais commandé à Paris René , du même Chateaubriand. Il a dû arriver. C’est un roman assez court dans lequel René raconte à son tour l’histoire de sa vie. Il me semble que vous pourriez, avec un peu de patience, arriver à comprendre ce texte.
Votre description de Miss Bradley m’a d’abord amusée. Vous la faites avec beaucoup de talent et d’humour. J’aurais mieux fait de pleurer. Se trouver à 45 ans dans une famille inconnue, en proie à deux gamins turbulents qui font de l’opposition et à une jeune fille morose et boudeuse, quelle tristesse ! Et qu’il est facile de la ridiculiser alors qu’on la met en difficulté. Quant à votre frère, il m’importe peu de savoir s’il est remis, ni ce qu’il devient. À l’avenir, puisque vous souhaitez que nous restions bonnes amies, évitez totalement de faire allusion à lui, s’il vous plaît.
Vous voulez que je vous parle de ma nouvelle vie. Je m’occupe de deux enfants : Frédéric, 9 ans et Alison, 7 ans. J’ai la chance d’avoir une petite chambre personnelle, sous les toits. Cela me donne la possibilité de lire le soir, avant de m’endormir, et de vous écrire en toute quiétude.
Votre dévouée
Henriette
L ONDRES, JANVIER 1851
Chère Mary,
Toutes mes félicitations. Vous voyez que c’était possible, d’écrire une longue lettre en français. J’ai parfaitement compris tout ce que vous m’avez raconté. Je reprends sur une feuille à part quelques-unes de vos phrases et de vos expressions qui ont besoin d’être rectifiées, mais je le dis encore une fois, c’est vraiment très bien pour un début et je suis sensible à l’effort que cela a dû vous demander. Il ne reste plus qu’à continuer. Votre suggestion d’utiliser, d’une part le français pour me parler de votre travail et de vos lectures, d’autre part l’anglais pour parler du reste, est tout à fait perverse. Il n’en est pas question. Nous nous en tiendrons à notre convention. Et vous avez prouvé qu’avec un peu de travail, vous arrivez très bien à parler de tout en français. Je crois que le rythme d’une lettre par mois est très bon. Pensez au temps qu’il vous faut pour l’écrire, surtout si vous le faites avec soin.
J’ai appris avec plaisir que vous aviez entrepris la lecture de René . Bravo ! Vous verrez que vous allez être séduite par ce jeune homme encore plus que par Chactas et qu’il vous fera verser quelques larmes. Je compte sur votre persévérance pour ne pas vous arrêter au bout de trois pages.
Ainsi vous allez faire votre entrée dans le monde au printemps. Quelles éblouissantes toilettes en préparation ! Votre scrupule tardif est tout à fait superflu : cela ne m’attriste pas du tout de savoir que vous aurez tant de belles robes. Je m’en réjouis puisque cela semble vous causer un tel plaisir. Pour moi, c’est bien le dernier de mes soucis. Que ferais-je d’ailleurs de ces toilettes ? Mes préoccupations, pour l’instant, sont bien ailleurs. Continuez à me décrire vos activités en détail.
Votre dévouée
Henriette
L ONDRES, FÉVRIER 1851
Chère Mary,
Encore des félicitations pour votre dernière lettre. Non, je ne suis pas un bourreau mais puisque l’objet officiel de notre correspondance est de vous perfectionner en français, je tiens absolument à ce qu’elle serve à cela. Le rythme d’une lettre par mois me semble tout à fait suffisant. Pensez au travail que cela vous demande. Et moi, je dispose de très peu de temps pour lire vos missives, faire les corrections et vous répondre. Je ne veux pas donner ici l’impression que je consacre du temps à quelqu’un d’extérieur à la maison. Cela ne plairait certainement pas à Mr et Mrs Prescott. L’arrivée d’un courrier trop abondant ne ferait pas bonne impression non plus. Je vous signale en passant que l’usage du français entre nous est une sauvegarde car personne ne le comprend ici.
Vous vous plaignez de ce que je ne vous parle pas de moi. Vous ne savez rien de ma vie ! Que voulez-vous que je vous dise ? Ma vie est celle d’une institutrice prenant complètement en charge deux enfants et les contraignant à étudier. Frédéric est un gros garçon joufflu, horriblement gâté – comme on dirait que le sont tous les aînés des familles anglaises. Par contraste, Alison est frêle et renfermée. Je ne vois pas l’intérêt de me livrer à la description de mes employeurs. Ils habitent une grande maison austère d’un quartier excentrique. Je n’ai eu ni le temps ni les moyens de me rendre au centre de la ville ; je ne peux donc vous parler de Londres.
Vous n’avez plus fait allusion à vos toilettes. Est-ce qu’elles sont terminées ? Sont-elles à votre goût ?
Vous ne me parlez pas non plus de René . Avez-vous déjà renoncé à faire sa connaissance ? J’espère que non.
Votre dévouée
Henriette
L ONDRES, MARS 1851
Chère Mary,
Vous vous plaignez du ton froid, ironique et distant de mes lettres. C’est que voyez-vous, je n’ai pour l’instant aucune envie d’être affable et tendre. Pendant des mois, je n’ai eu qu’une idée fixe : écarter de ma tête le souvenir de votre famille d’où j’ai été ignominieusement chassée après trois ans de bons services. Croyez-moi, c’est une grande preuve d’amitié que je vous donne en acceptant de correspondre avec vous.
Je vis dans une ville sinistre, ou plutôt dans un quartier sinistre d’une ville que je ne connais pas, dans une maison lugubre, sombre et mal chauffée, occupée par une famille aux idées étroites, avec des enfants sournois.
Voilà où m’ont conduite la frivolité et l’inconséquence de votre frère et l’injustice totale de vos parents. Aussi, ne m’en demandez pas trop. Je dois reconnaître pourtant que je prends un réel plaisir à la lecture de vos lettres et qu’elles me procurent un des seuls bons moments que j’aie actuellement. Elles me manqueraient beaucoup si je ne les avais plus. Continuez donc à m’écrire et parlez-moi de vous , c’est ce qui m’intéresse.
J’ai apprécié la description de votre pique-nique champêtre, presque comme si j’y étais. Quel enfant facétieux qu’Ernest ! Quelle imagination ! J’espère qu’Eliza est remise de son émotion.
Attention, votre dernière lettre était moins soignée. Vous n’avez guère ouvert votre dictionnaire, j’en ai eu l’impression. Et n’oubliez surtout pas : je ne lis que le français . Prenez attentivement connaissance des remarques ci-jointes.
Votre dévouée
Henriette
L ONDRES, AVRIL 1851
Chère Mary,
Oui, je suis exigeante. C’est par mon exigence que j’arrive à enseigner quelque chose aux enfants qu’on me confie. C’est par mon exigence envers moi-même que j’arrive à survivre. Et constatez comme, grâce à mon exigence, vous faites des progrès en français.
Ce que je craignais un peu est arrivé. Si je me mets à parler de moi, vous imaginez tout de suite un tableau très sombre de ma situation. Pourtant cela me fait du bien de pouvoir entrouvrir mon cœur. Pouvez-vous me promettre de garder pour vous seule ce que je vous confierai ? Serrez soigneusement mes lettres, ou mieux détruisez-les après les avoir lues. Ne tenez pas de propos inconsidérés sur mon compte avec les uns ou les autres. Je ne voudrais surtout pas qu’il arrive aux oreilles de Mrs Jennings que je ne suis pas heureuse. Elle a eu

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