Chroniques du Tortugas
358 pages
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Chroniques du Tortugas , livre ebook

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Description

L’auteur de ces chroniques raconte depuis Le Caire, où il est installé depuis une vingtaine d’années, ses huit mois passés naguère comme premier maître sur le Tortugas, un misérable cargo en fin de vie qui sombra peu après son départ dans des circonstances qu’il aimerait éclaircir. Ses souvenirs, de même que ses tentatives pour retrouver la trace de l’énigmatique capitaine du navire, sont évoqués tout au long des deux ans qui suivent les débuts, en 2011, de ce qu’on a appelé le « printemps arabe ». Le récit donne ainsi une large place à la vie quotidienne du narrateur au Caire, évoquant les soubresauts de cette période troublée aussi bien que les petits agréments et désagréments de la vie de tous les jours dans l’étourdissante mégalopole.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mars 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332870254
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-87023-0

© Edilivre, 2015
Avant-propos
Le Caire, septembre 2011
Je ne suis pas nostalgique. Je n’ai rien contre la nostalgie, mais ma mémoire est bien trop mauvaise pour jouir de cette agréable distraction. C’est d’ailleurs à cause de ma pauvre mémoire que je préférais déjà les mathématiques à l’école, parce que les mathématiques on peut les déduire, les refaire à partir de presque rien. Tout le contraire des souvenirs, pour lesquels aucune logique ne vous permet de nager à contre-courant pour les rattraper.
C’est peut-être aussi à cause de cette faiblesse que depuis longtemps je prends des notes, de manière plus ou moins régulière, sur tout et sur rien. Bien sûr je ne les relis jamais. Et en général je les perds.
Et puis il y a quelques mois je suis tombé par hasard sur un de ces carnets de notes, vieux de presque quarante ans. En fait c’était le cahier dont je me servais sur le Tortugas pour rapporter mes observations quotidiennes au sextant. Tous les calculs de navigation y étaient soigneusement notés en détail, des colonnes de longs chiffres, logarithmes et trigonométrie, valeurs de longitude et de latitude. Comment avait-il survécu tout ce temps à mes multiples déménagements, je ne sais trop. C’était peut-être simplement son format inhabituel qui m’avait fait hésiter chaque fois à le mettre à la poubelle comme presque tout le reste. Ou alors le fait que les inscriptions sur sa couverture étaient en russe, ce qui m’avait rappelé ce voyage « inoubliable » en Union Soviétique au cours duquel je l’avais acheté, mais dont bien sûr je ne me rappelle plus rien.
Les fois précédentes je ne l’avais sans doute même pas ouvert, me contentant de le remettre dans une de ces quelques boîtes en carton que je garderais encore pour un temps. Pourquoi ai-je eu envie de l’ouvrir cette fois-ci ? Pourquoi ai-je pris le temps de le faire ? Cela avait peut-être quelque chose à voir avec le fait que je venais de fêter mes 60 ans.
Quoi qu’il en soit, en le feuilletant j’ai découvert avec étonnement que j’y avais ajouté au jour le jour des anecdotes, de petits événements de la vie courante, quelques impressions. Ce qui m’a surtout frappé, c’est à quel point presque tout ce qu’il évoquait s’était effacé de ma mémoire. Quant aux faits dont la lecture évoquait en moi quelque souvenir, c’était comme s’il s’agissait de choses que l’on m’avait déjà racontées à propos de quelqu’un d’autre. Impossible de m’identifier avec l’auteur de ces notes, de sentir une quelconque continuité à travers toutes ces années entre ce jeune homme et moi.
Cela m’a franchement agacé. Nostalgique ou pas, je n’étais pas prêt à donner comme ça mes dix ans de vie de marin à quelqu’un d’autre. À laisser un tel trou derrière moi.
J’ai donc décidé de me réassembler un passé, faute de vraiment m’en souvenir. Ou du moins un petit bout de passé, ces huit mois sur le Tortugas au milieu des années 70. En recollant les morceaux à partir de ce petit cahier russe, des réminiscences de Louise, des quelques photos de ce temps-là que j’ai retrouvées. Et en remplissant bien sûr les espaces ici et là avec du plausible.
Par scrupule, je ne me suis pas résolu à parler de ce jeune blanc-bec à la première personne. Mais qui sait, je finirai peut-être par me familiariser assez avec les détails de son histoire pour me persuader que c’est bien la mienne ?
Note : D’après Aristote j’ai tort de me tracasser avec ce fameux problème d’identité : le célèbre bateau de Thésée, dont on avait pourtant changé absolument toutes les pièces au cours des années, était toujours le même bateau, il avait un argument pour ça. De même que si, comme on le dit maintenant, quarante ans de traversée dans cette tempête microbiologique qu’est la vie suffisent amplement pour remplacer tous les atomes de mon corps par d’autres, cela ne veut pas dire que je me sois perdu moi-même en chemin. Je suis toujours moi. Merci Aristote.
Chapitre 1
Québec, 22 septembre 1974
Du fond de sa chaise, le gardien à l’entrée du port dévisageait le jeune homme devant lui comme s’il arrivait de la lune. Ou comme si sa question était véritablement extraordinaire. L’air ricaneur, affichant sa nonchalance, il tardait à répondre, se donnait de l’importance. Irrité, Michel se demandait bien ce qui faisait croire à ce gros fanfaron qu’il était autre chose qu’un simple portier.
Sans même tourner la tête, comme pour mieux continuer de l’observer, le bonhomme se décida finalement à dire, pointant du pouce par-dessus son épaule :
– Le Tortugas ? Quai numéro deux, drett devant toé ti-gars.
Se moquait-il de lui ? Michel avait beau regarder droit devant lui, il ne voyait, au loin, qu’un quai inoccupé. Il n’aimait pas être traité de la sorte, mais il savait qu’il n’avait aucune chance au jeu de la répartie avec ce genre de type. À 23 ans, et malgré sa barbe et ses cheveux longs, ou peut-être à cause d’eux, il savait instinctivement qu’il avait toujours un peu l’air du petit garçon timide qui veut jouer à l’adulte. C’était même parfois ainsi qu’il se percevait lui-même. La proie rêvée pour les gardiens débonnaires et ricaneurs.
Aussi bien donc remercier sans avoir l’air de rien, et marcher par là. Et puis il était de bonne humeur ce matin, il faisait beau, et il avait surtout bien hâte de le voir, ce Tortugas . Au téléphone, le maître du port lui avait dit :
– Je crois que ce bateau correspond parfaitement à ce que tu cherches.
Tout de même il ne fallait pas trop se presser. Il était bien en avance pour son rendez-vous avec le capitaine, et il n’avait pas intérêt à trop montrer son impatience.
Il marchait aussi lentement que possible, mais on ne trouvait pas grand plaisir à s’attarder dans cet affreux désert d’asphalte. C’était encore plus laid le dimanche, sans le tohu-bohu habituel pour vous distraire des taches d’huile et des nids-de-poule. Il voyait tout de même un peu de mouvement au loin sur la gauche : quelques chariots à fourche s’activaient autour d’un grand hangar cachant en partie un cargo de belle taille. Ce devait surement être le Tortugas , c’est là qu’il irait tout à l’heure si, comme il s’y attendait, il ne le trouvait pas en arrivant au fleuve. De cette façon, en flânant encore un peu en longeant le bord de l’eau, il serait à peu près juste à l’heure.
À mesure qu’il avançait, il commença pourtant à distinguer quelque chose qui semblait émerger du quai. Étaient-ce bien des mâts ? Curieux… La forte marée de Québec pouvait bien être à son plus bas, il n’y avait qu’un navire de plaisance pour ne laisser ainsi paraitre que si peu de lui-même ; mais cette section du port n’était pas pour les vacanciers…
L’explication lui arriva comme une gifle en arrivant au quai. Tout en bas se trouvait un vilain bâtiment plat et étroit qui, vu d’en haut, ressemblait plus à une barge qu’à un vrai navire. Avec sa coque cabossée et ses superstructures misérables, il avait bien raison en effet de se cacher ! Manifestement mal tenu, sale, son pont était jonché de câbles et d’outils divers. Sur sa proue les lettres T O R T U G A S, en blanc écaillé sur fond noir rouillé, recouvraient des traces d’identités précédentes.
Malédiction !
Ébranlé, hésitant, espérant peut-être avoir mal lu, il se dirigea vers la poupe pour en avoir le cœur net. On pouvait y lire
TORTUGAS
GEORGE TOWN
CAYMAN
Aucun doute possible, c’était bien lui. Revenant sur ses pas, il longea une nouvelle fois le navire d’où heureusement personne ne se manifestait pour assister à son agitation.
Tortugas … Inconsciemment, ce mot avait dû évoquer pour lui la fameuse ile aux pirates, le romantisme de la mer des Caraïbes, les eaux turquoise et le sable chaud. Jusqu’à cet instant du moins. Il avait maintenant devant lui la bête à l’origine du nom, ce pitoyable animal antédiluvien traînant péniblement sa carapace au ras du sol…
Pouvait-il se plaindre ? Lors de sa requête au maître du port, c’est lui qui avait sottement insisté sur le fait qu’il était davantage intéressé par les tramp ships 1 que par les navires modèles des grandes compagnies. Lesquels, avait-il ajouté, vont et viennent sur les mêmes routes, sans surprise ; tout y est mortellement ennuyeux d’efficacité, et les escales sont trop courtes. L’autre y avait-il vu de l’arrogance ? S’était-il offusqué ? Probablement s’était-il plutôt amusé de tant de naïveté. Le zig était un peu farceur, Michel se l’était fait dire, mais ce n’était que maintenant qu’il voyait toute l’ironie de sa remarque au téléphone. Et qu’il comprenait le sourire narquois du gardien tout à l’heure.
Décidément tout le monde se moquait de lui dans ce métier.
Bon, assez d’apitoiement se dit-il, il faut en finir. Pas question bien sûr de s’embarquer sur cette galère. Sa première impulsion était de simplement tourner les talons et de retourner se coucher. Mais qu’allait-il alors dire au maître du port ? Celui-ci serait évidemment furieux d’apprendre qu’il n’avait même pas eu la politesse de rencontrer le capitaine, le mettant ainsi dans une position embarrassante. Ce petit morveux tout frais sorti de l’École et qui ne sait même pas ce qu’il veut ! Tous les bateaux sont trop beaux ou trop vieux pour lui, pour qui se prend-il ? Comment Michel pourrait-il oser lui redemander de l’appeler quand un autre bateau aurait besoin d’un officier de pont ?
Pas le choix, donc, il fallait monter à bord. Descendre plutôt, et par cette passerelle à l’à-pic vertigineux, sans le filet de sécurité règlementaire, bien sûr, et sans personne pour la garder. Il l’enjamba donc et atterrit sur le toit des logements midship .
Mais pourquoi les superstructures étaient-elles si basses, si

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