De Tanger à ce jour
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De Tanger à ce jour , livre ebook

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Description

Ma mère était née le 31 juillet 1925, à Colmenar, à une vingtaine de kilomètres de Malaga. Travaillant comme femme de chambre dans une maison de condition aisée de Malaga, elle suivit la famille dont le père, pour des raisons professionnelles, dut se transférer à Tanger. Ma mère et mon père se sont rencontrés devant la boîte aux lettres où ma mère devait déposer un courrier. Ils se sont mariés une semaine avant ma naissance. L’idée d’une fille-mère générait l’opprobre de la communauté espagnole. Je n’ai jamais pu retrouver une seule photo de leur mariage : il n’y en a pas eu.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 février 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414377022
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
194 avenue du président Wilson – 93210 La Plaine Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-38154-8

© Edilivre, 2020
Avant-propos
À présent que j’ai « touché l’automne des idées » (C.B.), que j’ai perçu ma première pension de retraite, je me fais un peu plus prudent. Cette prudence s’accroît à l’approche de l’odeur des planches de sapin qui viendra m’envelopper dans quelque temps.
Aussi, j’ai décidé de faire le point avec cet être de moins en moins hypothétique dans mon esprit : Saint Pierre.
J’adresse ma lettre de créance à Jésus-Christ, Dieu le Père. (Mieux vaut s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints.) Elle passera entre les mains, au préalable, de Saint Pierre. Sans ménagement, je lui exposerai dans les plus menus détails tous mes actes de ma vie, y compris (et surtout), ceux que sa Parole réprouve. Je lui demanderai une certaine indulgence et la reconnaissance aussi des joies et bonheurs que j’ai pu procurer à mes contemporains. À Dieu ne plaise. La voici :
Préface
Lettre à Saint Pierre
Cher Saint Pierre,
Je t’envoie ces quelques lignes afin que tu puisses juger de mon aptitude à accéder au Paradis. Je ne t’en voudrai pas si tu m’infliges une courte période de purgatoire …
D’abord, je dois te planter le décor.
La première partie de ma vie, jusqu ’ à l ’ âge de dix ans environ, se déroule dans un environnement espagnol (famille, langue, scolarité, etc.), sur le continent africain et sur un territoire au statut international : la ville de Tanger. Dans la narration, mes observations décrivent ce que je ressentais à ce moment-là et non ce que j ’ éprouve aujourd ’ hui. À cette époque-là, j ’ étais à plus de mille lieues de Paris et de m’imaginer que le français deviendrait un jour ma première langue, car j’étais exclusivement hispanophone.
Dans les années cinquante la population de Tanger, de 50.000 âmes, se composait de 60 % de Marocains autochtones, que nous appelions avec un certain dédain (et je t’en demande pardon) « los moros » ; 30 % étaient de souche espagnole ; 5 % d ’ origine française et encore 5 % d ’ autres pays européens.
La communauté espagnole disposait de ses propres écoles, églises, commerces etc. Personne ne s ’ étonnait de voir des synagogues à l ’ architecture basse, discrète et au toit blanc en forme de coupole, côtoyer les mosquées à l ’ allure élancée, aux façades couvertes de faïence et d ’ arabesques, près d’une église.
La religion musulmane rassemblait le plus grand nombre de fidèles dans les mosquées d ’ où, le soir venu, du haut de leur minaret, de puissants haut-parleurs diffusaient les appels à la prière.
Les différentes communautés ethniques et religieuses cohabitaient en bonne intelligence, même si elles ne s ’ entremêlaient pas. Le respect mutuel des us et coutumes allait de soi pour la tranquillité de tous. Cela permettait cette harmonie. Individuellement, ses membres, toutes obédiences confondues, bâtissaient entre eux de frêles passerelles en partageant les produits de leurs festivités.
Premier chapitre 1951 – 1972
Tanger, la veille du 24 décembre 1951 Onze heures moins le quart…
Le jour se levait à peine. Le vent, ce vent qui, dit-on, rend fou ceux qui lui font face, lui tenait compagnie. Elle était sortie seule sur la cour de terre battue. Le soleil se levait après elle. La pluie venait de cesser. Le ciel ombrageux, orageux, grondait encore. Les minutes lui paraissaient des heures. Puis le vent devint plus doux, rythmé un peu comme le souffle de quelqu’un qui dort, régulier. Le toit en tôle ondulée résonnait encore dans sa tête, toute la nuit il n’avait cessé de vibrer sous les bourrasques du levante et dans le tintamarre des grêlons. Ces bruits et l’angoisse de cet accouchement sans assistance médicale l’avaient empêchée de fermer l’œil de la nuit. Ma mère tremblait d’inquiétude plus que de froid.
La veille, elle s’était encore rendue chez el Jorobaito (ça voulait dire le petit bossu, mais, rassure-toi, sans aucun caractère péjoratif) . Ce praticien l’avait rassurée sur la position du fœtus. « Ce sera pour demain  »  ; ses mots, tels paroles d’Évangile (ce n ’ est qu ’ une expression) , tout comme les diagnostics prodigués à ses malades, n’ont jamais connu de démenti.
Ce lilliputien, rabougri, portait une belle bosse asymétrique. Malgré la petitesse de sa personne et sa disgrâce manifeste, sa personnalité forçait le respect. Chez lui, des cohortes de malades et blessés, adultes ou enfants, arrivaient sans rendez-vous. (En Afrique, encore de nos jours, la plupart des gens ne s’encombrent pas d’un agenda, mot dénué de sens, et préfèrent des rapports plus spontanés ; la notion de rendez-vous existait d’autant moins en ces années-là.)
Les patients attendaient sur une longue file le long du trottoir. Pas de plaque sur sa porte. « Ce praticien est un saint  », chuchotaient-ils. (Ils exagéraient.) Le cruel manque de médecins justifiait son activité clandestine. Les consultations n’étaient pas toujours rétribuées : « Ce sera pour la prochaine fois  », disait-il quand les indigents s’excusaient de ne pouvoir honorer ses émoluments.
Ce praticien, institution unipersonnelle, étendait sa renommée bien au-delà de Tanger intra-muros. Même les almohades venaient des campagnes les plus reculées. Ces femmes arrivaient avec leur grand chapeau de feuilles de palmiers tressées, duquel pendouillaient des pompons blancs. Une large écharpe à bandes rouge et blanc maintenait à leur tête leur encombrant sombrero. Ces femmes emmenaient sur leur dos leur petit malade dans une couverture de laine écrue tel un hamac. Elles payaient en nature, elles apportaient à leur guérisseur des grands fromages de chèvre frais, enveloppés dans des feuilles de palmiers tissées.
Nous y voici. Demain est enfin arrivé. En quittant le baraquement en compagnie de mon père, car c’était une baraque qu’habitaient mes grands-parents et qui abritait aussi mes parents (pour te dire le degré d ’ indigence dans lequel ils se trouvaient) , ma mère prit un vieux parapluie auquel il manquait plusieurs baleines. Elle ne l’ouvrit pas.
Le ciel de Tanger ne transige pas longtemps dans la demi-mesure : ou il pleut à verse ou il devient limpide et lumineux. À mesure qu’ils avançaient, le vent, ce vent du levant qui donne le frisson, qui ne voulait pas manquer l’événement, se manifesta par sa fraîcheur et son impétuosité. Ce matin-là, il poussait les vagues à déferler de très haut sur la plage.
Mes parents s’étaient mis en chemin, emportant une pauvre valise sans anse et bouclée par une ficelle de jute. La veille, ma mère y avait mis quelque layette usagée, une petite serviette mitée, un morceau de savon de Marseille et un gant de toilette que le Secours catholique lui avait donnés. C’est à pied qu’ils gagnèrent le dispensaire distant de huit kilomètres.
Dans un nuage de fumée noire, l’autobus dégingandé les dépassa au bout d’un bon moment de marche. Ils n’avaient pas les moyens de le prendre. Tant pis, ce n’était pas la première fois qu’ils empruntaient ce chemin à pied. Un détail dans leur vie miséreuse. Au bout de deux heures de marche lente, ils arrivèrent à la paroisse du Sagrado Corazón de Jesús (Sacré-Cœur de Jésus).
Sur la partie arrière de l’église, une salle de travail équipée du strict nécessaire recevait les futures mamans pour procéder aux accouchements. Une nonne vint l’accueillir dès qu’elle se présenta sur le parvis. Une autre, la sage-femme, formée sur le tas (car l’on s’occupait bien plus de la santé de l’esprit que de celle du corps), désinfectait, dans une boîte de fer blanc, quelques ustensiles métalliques avec de l’alcool enflammé. Bien entendu pas de médecin, et peu de médicaments.
Allongée sur un fin matelas recouvert d’un drap blanc, ma mère aperçut le bout d’un de ses gros orteils noirci par la saleté, à cause d’un trou dans sa chaussure. Il devint le principal de ses soucis : «  Mais que va-t-on penser de moi, que je ne me suis pas lavée les pieds   ? » , se demanda-t-elle. Ce détail ajoutait à l’anxiété de ce moment sans précédent. « Pauvre mais proprette  », c’est ainsi qu’elle tenait à se montrer.
Tout se passa très vite. Aux alentours de 11 heures mes poumons se remplirent de l’air tangérois, de cet air iodé et sans cesse brassé tantôt par l’océan Atlantique, tantôt par la mer Méditerranée.
« C ’ est un garçon   ! » , s’écria la sage-femme. Joaquín Bernal Olmedo vint au monde jaune comme un citron. « Ton bébé est jaune parce que tu as mangé trop de citron   ! » , s’exclamera tata Nina avec emphase, une des sœurs de mon père, dont l’intelligence n’était pas flagrante (ce que j’ai toujours trouvé normal pour une tante), venant nous rendre visite. Par l’unique petite fenêtre de cette petite salle, Candelaria regardait avec un certain émerveillement les palmiers du petit parc entourant l’église, qui balançaient leurs grandes palmes comme pour saluer l’événement et la fin de cette appréhension qui précède tout accouchement.
Mon père attendait dans la nef l’autorisation d’entrer. (Comme tu t ’ imagines, mon bon Saint Pierre, il était impensable qu ’ un homme assiste à l ’ accouchement de sa femme, la morale l ’ interdisait formellement.) Dès qu’il me vit, il partit en courant et en sautillant de joie. Il voulait annoncer la Bonne Nouvelle au tout Tanger.
Mon père, qui ne buvait jamais d’alcool, alla dans le premier bar venu pour fêter, à sa manière, l’avènement de sa paternité. Grisé, il vociférait : « J ’ ai un petit garçon, j ’ ai un petit garçon   ! » , comme un putois déambulant et titubant dans les rues pentues de la ville. Son frère Joaquín , de deux ans son cadet, réussit à le retrouver et à le ramener à la « maison ».
La coutume voulait que l’on fête les grands événements en « se b

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