Je suis un enfant qui rêve depuis quarante ans
232 pages
Français

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Je suis un enfant qui rêve depuis quarante ans , livre ebook

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Description

Août 2018. Deauville. Yaouenn, enseignant rêveur, lunaire et autiste Asperger, se réveille à moitié nu dans le bungalow que son épouse Céline et lui ont loué avec leurs deux enfants.



Comme chaque année, le professeur s’échine à se sociabiliser davantage en essayant d’imiter les comportements des gens ordinaires. Mais ses tentatives maladroites et ses névroses existentielles (la déportation de deux de ses aïeux, l’histoire tourmentée de sa grande famille pied-noire maternelle, la pré-éclampsie de sa dulcinée, son métissage atypique...) l’amènent systématiquement à se réfugier dans ses rituels d’ursidé désabusé.



Chaque jour, il n’attend qu’une chose : le coucher du soleil. Ainsi peut-il continuer à boire et retrouver ses étoiles, ses feuillets, ses médicaments, ses souvenirs d’enfance dans la région niçoise ou dans le pays breton, mais surtout le silence, son seul véritable ami.



Chaque nuit, il enfile ses plus beaux habits d’écrivailleur naïf et plonge, sans masque ni tuba, dans une eau mouvementée avec le dessein de réaliser ses rêves de réussite littéraire qu’il finit régulièrement par saborder en se noyant dans un nuage de fumée bleutée ou dans un baril d’éthanol afin de fuir la vraie vie. Puis il jure devant Dieu de pratiquer une sobriété bienheureuse afin de retrouver sa dignité et l’amour incandescent dans les yeux de ses proches. Paroles d’ivrogne ...



Mais le réel resurgit brusquement dès l’instant où la police lance un avis de recherche : Lisa, adolescente de quatorze ans, l’aînée de la famille, a disparu sans laisser le moindre indice.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 mars 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414527250
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Cet ouvrage a été composé par Edilivre
Immeuble Le Cargo, 157 boulevard Mac Donald – 75019 Paris
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com
 
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
 
ISBN numérique : 978-2-414-52726-7
 
© Edilivre, 2021
CHAPITRE 1 § PRESENTATIONS
« – Papa, t’as deux euros ?
– Pour ?
– Un coca.
– Avant de manger ?
– Oui. Allez, c’est les vacances !
– …
– S’il te plaît, papa… J’ai pas le diabète !
– Demande à ta mère si… »
Elle détale aussitôt. Dans sa lancée, Lisa salue des flopées de gens qui lui répondent avec le sourire. Je ne connais personne d’aussi sociable. Pourtant, cette adolescente audacieuse qui file chercher sa dose, c’est ma fille. Nos principes de base ont tendance à s’émousser avec la parentalité. Pour être cohérents, il faudrait montrer l’exemple. Or, feindre la perfection relève de l’inconcevable sur la durée. Ce constat génère d’abord une gêne conséquente puis l’on s’accoutume aux contradictions qui jalonnent notre parcours d’éducateurs et l’on finit même par s’accorder un peu de bienveillance.
Le va-et-vient des vagues sur les pontons résonne dans nos cœurs alanguis par une journée entière passée sur le sable à tweeter pour dégourdir nos pouces, à rêvasser, à parler pour ne rien dire ou trottiner dans les dunes comme des astronautes patauds. Nous avons délaissé les romans pour feuilleter des magazines qui finiront tôt ou tard dans le fond d’un sac de plage, les pages ondulées comme du papier peint mal posé. Nous avons régulièrement déplacé nos serviettes en fonction des rayons du soleil pour pouvoir bronzer correctement. Nous avons retrouvé une certaine innocence en frappant dans des balles en mousse qu’il fallait parfois aller rechercher en catimini sur des corps assoupis pour ne pas déranger les âmes qui les habitaient. Nous avons renoué avec une forme d’insouciance en plongeant la tête la première dans la mer pour nous persuader qu’elle n’était pas si froide que cela, cette eau. Nous avons secrètement comparé nos ventres et nos fesses, nos poils et nos pieds, nos maillots et nos enfants. Nous avons savouré des glaces à l’italienne sans leur laisser la moindre chance, nous avons dévoré des churros pailletés de cristaux de glucose, perlant sur nos joues pour ensuite tomber sur nos cuisses comme des grêlons. Nous avons fait valser des frisbees. Nous avons échangé quelques mots avec nos voisins de serviettes, partagé quelques verres entre autres secrets de Polichinelle. L’essentiel était que nous étions bel et bien vivants aujourd’hui, beaucoup moins engourdis par les normes qu’à l’accoutumé, baignant dans une sorte de relâchement décomplexé, nageant dans nos paradoxes et nos imperfections. Nous étions au cœur de ce moment suspendu de deux semaines par an où le pays tout entier s’arrête de tourner et les convenances se déchirent aux entournures. Je vous parle de cette période où même les révoltés s’autorisent une parenthèse de vide, cette période où marcher torse nu à deux heures du matin dans la vieille ville à la recherche d’un panini décongelé devient normal. Vous connaissez bien cette quinzaine estivale où les gens se remettent à parler entre eux comme avant, où même les chaînes d’informations ralentissent leur cadence en nous proposant une France plus moelleuse dans laquelle la météo des plages fait tache d’huile et prend toute sa place, cette période où l’on se mélange davantage au fil des retrouvailles se terminant par des apéritifs improvisé, cette période blanche de l’année où tout redevient soudain possible et où l’on peut vite se surprendre à vouloir refaire le monde sur un bout de nappe en papier, attablé à la terrasse d’une restaurant, les épaules encore tourmentées par le soleil, cette période où rien n’est finalement si grave car nous sommes tous en vacances ou presque. L’alcool aidant, nous sommes tous frères, tous copains comme cochons, du moins jusqu’au lendemain matin. Elle m’indispose, cette période. Et je dois vous avouer qu’elle me fait même un peu peur. J’en suis navré. Néanmoins, je m’efforce de rectifier le tir chaque année en interagissant davantage en société car je veux fonctionner comme tout le monde : sourire ou m’indigner quand il le faut, parler lorsque c’est à mon tour de donner mon avis s’il coïncide avec l’air du temps et m’enthousiasmer lors d’événements fédérateurs. Faire semblant d’être normal est finalement devenu une posture machinale.
Nous repartons dans trois jours. Il reste encore du sel sur nos jambes. Les voisins sont rentrés eux-aussi. On entend leurs écrans. Il paraît que le vent va battre des records cette nuit. Ce ne sont pas les anciens du bourg d’à côté mais la station météo du bungalow qui l’annonce. Des rafales à plus de cent-vingt kilomètres heure, semblerait-il. Je suis ébahi par la précision avec laquelle des machines peuvent évaluer des phénomènes physiques aussi désincarnés que le vent. Ce dernier poursuit sa complainte aoûtienne à travers les branchages qui agitent leurs bras élastiques tels des mimes entamant une gigue.
Les enfants ne dorment toujours pas. Les premières étoiles se manifestent enfin. Elles sont toujours aussi ravissantes. J’ai passé tellement de nuits à m’émerveiller devant la délicate perfection de ces agencements géométriques. Je les connais toutes une par une. Par leur petit nom. Seul sur un transat, allongé sur le sable ou autre part, armé de patience et d’excitation, je traquais les faiblardes, les effrontées mais surtout les filantes, qui souvent deux par deux, venaient brouiller les cartes de ces tableaux parfaits de constellations avec une telle grâce qu’on pouvait tout leur permettre. J’assistais au spectacle et j’en redemandais. Caresses volatiles. Effleurements fragiles d’une toile de fond si dense. Eclats furtifs de poussière scintillante. Je pourrais vous parler du ciel pendant des heures. Il a tellement d’histoires à nous conter, ce grand voûté. Quand je me trouve dans une grande surface, je regarde systématiquement au-dessus de moi parce que j’y surprends des moineaux bousculant les luminaires que les volatiles utilisent comme des balançoires. Ils vont et viennent d’un rayon à l’autre, échafaudant des plans pour dénicher des trésors. Il arrive également que des rayons de soleil viennent se poser précisément sur un sac de granulés entrouvert, sur un melon abîmé ou sur une poire piquée comme si le cosmos accordait aux oiseaux une sorte d’autorisation divine en leur indiquant précisément les endroits où ils avaient le droit de picorer. Leur manège me subjugue. Enfant, j’aurais rêvé devenir chasseur d’images ou reporter animalier mais les choses ne se sont pas passées comme elles l’auraient dû. A vrai dire, rien n’était vraiment prévu. Les gitans et les peuples qui savent encore vivre dehors ont gardé ce rapport privilégié au céleste. Les pixels de nos téléphones, les éclairages nocturnes et les enseignes publicitaires font de l’ombre aux étoiles, invisibles dans la plupart des villes du globe. Néanmoins, cela ne m’empêche pas non plus d’assumer une fascination pour les écrans, les photos et le design ciselé de certains logos. Mais pas tous. Par exemple, la barre manquante du A de SAMSUNG m’agace : ce V renversé depuis 1993 me perturbe. Alors, je peste souvent contre le choix des designers de Séoul sous le regard amusé de mes proches.
Les dernières cigarettes se consument à l’air libre et les causeries du soir s’estompent. Dans l’air, demeurent quelques braises vocales : on peut encore entendre les rires camouflés d’adolescents enfouis dans la jovialité des premières expériences addictives. D’ailleurs je me tracasse pour Lisa : elle n’a que treize ans, elle est sagement étendue sur son couvre-lit avec une bande dessinée plus large que ses épaules mais je vois bien qu’elle change, ma mignonne. J’aimerais tant qu’elle reste encore quelques années à bouquiner le soir ou à écrire des poèmes sur les fous de Bassan. Et dire qu’on va lui offrir un portable en septembre pour son anniversaire.
Alors que la plupart des volets se ferment, les portières des voitures des noctambules s’ouvrent une à une et absorbent des demoiselles très maquillées, court vêtues et visiblement alcoolisées. Elles sont escortées par des bancs de jeunes loups décoiffés, fermement décidés à séduire la gente féminine pour la plupart mais surtout à passer une soirée complètement déconnectée de la réalité. Le cliquetis des poubelles de verre que l’on remplit de vide rebondit sur les terrasses des bungalows. Au loin, derrière la forêt qui borde la départementale, on entend déjà les basses venant des autres villages vacances alentours, plus festifs et moins familiaux que le nôtre. Je reprends un cognac et avec mon épouse, nous ouvrons un second paquet de cigarettes.
Pourtant, ce n’est pas une nuit d’été comme les autres. Céline est prévenue. Je vais écrire un livre. D’une traite ! Vous pouvez constater que j’ai déjà pris un peu d’avance sur mon rêve. C’est un besoin que je traîne depuis longtemps. Après quarante années passées dans l’indécision, je vais enfin passer à l’acte. Oui mais comment faire ? Je n’ai ni le talent pour inventer des histoires ni la virtuosité nécessaire pour créer des personnages. Je dois vous confesser que j’ai maintes fois trempé dans des affaires de création romanesque toujours avortées par respect pour les grands auteurs. En étant plus honnête avec vous, j’admets surtout que je me suis trouvé jusqu’alors beaucoup excuses pour ne pas finaliser mes projets. Il était tellement plus facile de ne pas prendre de risques en adoptant l’attitude de l’enseignant aigri qui ne jure que par les classiques. Je ne suis qu’un instit de province qui n’a jamais rien publié. Peut-être alors qu’il serait temps de m’autoriser à rêver un peu et reprendre confiance en mes aptitudes ? Je vais l’écrire, ce livre ! C’est décidé !

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