L Éternel Révolté
202 pages
Français

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Description

« Pas un souffle. Une chaleur de haut-fourneau. Tout geste semblait figé par la fournaise qui coiffait d'une vapeur grise la capitale léthargique. Et c'est ce jour de 1922 que je choisis pour naître, prématurément, loin du Périgord de mes ancêtres. Marthe Giraud, ma mère, dont l'accouchement était prévu au début du mois de juillet, rendait une courte visite à la tante Victorine, renégate qui, après avoir bazardé le bien qu'elle possédait au pays, régnait présentement sur un bistrot de la rue des Plantes. Appel irrésistible de la nature : la vie ! Ma vie, curieuse et pressée, frappait de toute sa vigoureuse fragilité à la porte du temple maternel. »

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Informations

Publié par
Date de parution 05 juillet 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342008852
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0071€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'Éternel Révolté
Jean-Marie Pop-Cheber
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
L'Éternel Révolté
 
 
 
À Claudette Cheber, mes remerciements chaleureux pour ses encouragements et sa précieuse collaboration.
 
 
 
 
Au hasard de la génétique, une graine de révolte a germé dans le ventre maternel. La graine a grossi pour devenir le fruit de la révolte. Avec la maturité, ses manifestations extérieures se sont assagies mais, en dépit de l’âge, il n’a rien perdu de sa virulence et demeurera, jusqu’au bout… l’éternel révolté !
 
 
 
 
 
 
Première partie. Une graine de révolte
 
 
 
18 juin ! Non, pas celui-là ! Pas encore. Il viendra plus tard, beaucoup plus tard.
Le 18 juin en question est bigrement plus important pour moi !
L’après-midi torride s’écoulait péniblement. Le soleil chauffait à blanc les toits noirâtres et confisait les feuilles des arbres le long de leurs membres engourdis. Pas un souffle. Une chaleur de haut-fourneau. Tout geste semblait figé par la fournaise qui coiffait d’une vapeur grise la capitale léthargique.
Et c’est ce jour de 1922 que je choisis pour naître, prématurément, loin du Périgord de mes ancêtres.
Marthe Giraud, ma mère, dont l’accouchement était prévu au début du mois de juillet, rendait une courte visite à la tante Victorine, renégate qui, après avoir bazardé le bien qu’elle possédait au pays, régnait présentement sur un bistrot de la rue des Plantes.
 
Appel irrésistible de la nature : la vie ! Ma vie, curieuse et pressée, frappait de toute sa vigoureuse fragilité à la porte du temple maternel.
J’étais le dernier d’une famille où s’échelonnaient deux filles et deux garçons : Louise, Augusta, Charles et Vincent.
Quand ma mère revint de voyage, chacun fut étonné de ses rondeurs disparues et du balluchon agité qu’elle serrait contre son giron.
— Regardez le petit frère ! Comme il est chevelu et robuste ! Et quelle voix tonitruante, déjà ! Sans doute il sera grand et costaud comme le pépé Jean !
Je suis plutôt petit et mince, comme le pépé Louis…
 
Pour faire plaisir aux grands-pères, mes parents me prénommèrent Jean-Louis.
Si, durant mon enfance, je manquais souvent du nécessaire – nous étions pauvres – on me procura, à foison, tendresse et affection. Ma sœur Louise, de plusieurs années mon aînée, me servait de seconde nourrice. Elle me dorlotait et me choyait plus que de raison. Lorsqu’elle me pressait sur son sein vide de fillette et que je suçotais goulûment le tablier à carreaux, elle ne se fâchait jamais. Je crois bien, au contraire, qu’elle en éprouvait une malicieuse délectation !
 
— Dès que votre père posait son pantalon sur le lit, je me retrouvais enceinte !
Combien de fois j’entendis cette phrase, lorsque je fus adulte. Phrase banale, en apparence, mais qui recelait dans sa formulation lapidaire, toute la stoïque détresse, toute la souffrance silencieuse, toute la résignation poignante, toute la fatalité subie par les femmes d’alors, sans que rien ne modifiât leur destin inéluctable de reproductrices passives.
 
Donc, j’arrivai, semence indésirable, au beau milieu d’un champ en friche.
— Je t’assure, Léon, qu’il n’y en aura plus d’autres ! dit péremptoirement madame Giraud à son mari.
De ce jour, elle refusa d’accomplir « le devoir conjugal » !
 
 
Mon père, qui s’absentait souvent avant même ma naissance, déserta de plus en plus le foyer. Des notes discordantes troublèrent le chant relativement harmonieux de leur union, mais ma mère ne revint jamais sur sa décision…
Tout le monde s’accordait à dire que c’était elle qui portait la culotte et que monsieur Giraud se laissait mener par le bout du nez. Bon et tolérant, il s’efforçait de nous inculquer de généreux principes à une époque où la morale était encore de rigueur, tout au moins chez les gens de condition modeste.
Bien que n’ayant été, ni très régulièrement, ni très longtemps à l’école, sa vive intelligence lui laissait percevoir tout ce qu’on apprend ordinairement dans les livres.
 
Je grandissais sans problème notoire. Les couches-culottes et autres « Pampers » n’existant pas, comme tous les enfants de la campagne, je me traînais à même le sol poussiéreux de la cour ou des chemins boueux environnants avec, entre les cuisses, une couche faite de morceaux de draps usagés, le visage barbouillé et les mains crottées de farfouiller la terre grasse.
Pendant la première année de ma vie, je fus, pour Louise, sa petite poupée vivante, cette poupée qu’elle n’avait jamais eue. Des journées entières, elle me promenait, inlassablement, tantôt dans ses bras – et ma bouche toujours quémandeuse fleurissait sa blouse de suçons humides – tantôt dans une poussette estropiée offerte par des voisins plus argentés.
Mes frères et mes sœurs me gâtaient tous. Mais Louise se surpassait. Sa complicité vigilante réduisait à néant les punitions infligées au garçonnet capricieux, coléreux, forte tête et frondeur, dont le caractère s’affirmait avec les ans.
 
— Jean-Louis, tu seras privé de dessert ! Je n’aime pas les enfants effrontés !
Mes yeux se baissent, fixent attentivement les monts et les vallées de la purée jaune qui fume dans l’assiette, afin de mieux cacher mon regard triomphant !
« Il ne faut surtout pas que Maman s’aperçoive qu’elle parle dans le vide ! Cela lui mettrait la puce à l’oreille ! »
En effet, comme je me moque de ces mots souventes fois répétés. Je sais que tard dans la soirée, quand toute la maisonnée sera endormie, ma sœur aînée viendra m’apporter une orange épluchée et quelques noix.
 
Des pas feutrés, le craquement des lattes du palier, le bruit imperceptible du bouton de la porte qu’on tourne et Louise dépose au creux de l’édredon son menu larcin plus un baiser ventouse sur mon front.
— Ne fais surtout pas de tapage !
J’ai l’habitude. Avec mille précautions, je glisse une à une les noix sous un des pieds du lit et je pèse de tout le poids de mes six ans pour les écraser.
 
Dès le réveil, je prendrais soin de faire disparaître la moindre coquille. Cette scène se reproduira de nombreuses fois car le dessert me passait souvent sous le nez. Il faut dire que la plus petite injustice – que je ressentais déjà inconsciemment malgré mon jeune âge – me rendait si insolent ! Dans le ventre de ma mère avait germé une graine de révolte ! J’en avais hérité au même titre que les gènes qui conditionnèrent la couleur de mes yeux ou de mes cheveux.
Cette révolte innée, qui se manifestait souvent à tort et à travers et de façon désordonnée, prit la forme de la lutte quotidienne lorsque, devenu homme, j’affrontais le monde du travail.
 
Ma mère aimait à m’emmener en courses. Suspendu au bout de sa main, presque obligé de courir pour rattraper ses enjambées, je faisais l’admiration des passants qui se retournaient pour me regarder tant j’étais un joli bambin. Ma longue chevelure très noire et très bouclée me faisait ressembler à une petite fille. Pour parvenir aux belles anglaises élastiques, qui rebondissaient sur mes épaules, Louise, munie d’un fer à friser qu’elle mettait à chauffer sur le coin de la cuisinière, accomplissait ce long travail avec une patience minutieuse. Souvent, je hurlais car le fer brûlant me grillait la peau du crâne !
 
On dit que l’embryon, durant la gestation, subit les agressions, les émotions, les désirs, les répulsions éprouvés par la mère. Ai-je senti, fœtus déjà récalcitrant, que je n’étais pas désiré ? Et est-ce pour cela qu’inconsciemment je cherchais, à tout prix et par n’importe quel moyen, durant mes jeunes années, ce que je pourrais inventer afin qu’on s’intéressât à moi, qu’on me remarquât ?
J’imaginais un tas de tours pour me distinguer : je cachais les chaussures de mon père dans la cheminée, je jetais par la fenêtre certains vêtements qui ne me plaisaient pas car, en ce temps-là, l’avis des enfants n’était pas sollicité sur ce qu’ils désiraient porter. Seuls les parents décidaient.
Une fois, pourtant, ce fut seulement par imprudence que je semai la panique. Dans notre logement banlieusard, nous nous chauffions au moyen d’une salamandre alimentée par des boulets, le charbon de qualité étant trop onéreux pour nous. Ces boulets laissaient beaucoup de résidus et il fallait, toutes les quatre ou cinq heures, surtout après la nuit, procéder au curage de la grille et au ramassage des cendres.
Un matin, bien nettoyé, sa porte grande ouverte pour lui donner de l’oxygène, le poêle ronflait de plaisir jusqu’à en rougir, je me levai en douce et me collai presque contre sa panse en fonte, ma chemise de nuit formant une large corolle aspirée par la douce chaleur qui montait entre mes cuisses. Mais, brusquement, le tissu s’enflamma !
Le feu au derrière, je me mis à courir à travers la pièce. Ma mère, sans perdre son sang-froid, se précipita, m’enroula dans une couverture et mit ainsi fin à cet embrasement.
Brûlé dans le dos et au bras gauche, je souffris pendant plusieurs mois avant la guérison complète, malgré les soins qu’on me prodigua et qui ne purent éviter des cicatrices indélébiles.
 
Ce n’était pas la plus grande peur que je fis à ma famille. Nous habitions encore dans le Périgord et, un jour que j’avais été grondé et que je jugeais cette réprimande injuste, je décidai de trouver quelque chose pour me venger.
À plusieurs reprises, j’avais entendu parler de la disparition d’enfants due à des rapts et je voulais faire subir ce tourment à mes parents.
Malheureusement, je n’avais que six ans et peu de flair pour m’orienter. Après avoir marché longt

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