La folie que c est d écrire
112 pages
Français

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La folie que c'est d'écrire , livre ebook

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Description

La folie que c'est d'écrire est un hurlement de colère contre la condition féminine, dans le quotidien d'une femme qui, après avoir procréé, rangé sa maison, mouché ses enfants et nourri son mari, espère, envers et contre tout, créer.
"Je ne suis pas une femme, je suis un écrivain. Je ne suis pas un sexe, je suis une somme de mots, de termes, de terminaisons, d'accords. Je refuse d’être comme tous ceux qui se targuent d'être ce qu'ils ne sont pas. Je veux que, pour moi, la question de ce que je suis ne se pose pas, plus, jamais. Je veux qu'on écoute et qu'on lise ce que j'ai à dire et à écrire. Je veux que l'on se taise quand mon tour sera venu comme je me suis tue toutes ces années en acquiesçant aux autres. J'ai besoin que l'on me donne de l'importance. Je veux écrire. Ecrire ou mourir."

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 juillet 2019
Nombre de lectures 1
EAN13 9782363158543
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0005€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La folie que c est d écrire


Alexandra Bitouzet

2019
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
Chapitre 1
 

 
Vingt-deux minutes, pile poil. Vingt-deux minutes, c’est le temps qu’il me faut pour rejoindre le bureau, vingt-deux minutes. Je suis à vingt-deux minutes de la normalité. Secrétaire médicale, coefficient 260, catégorie non cadre, ancienneté onze ans. Onze longues années. Un tiers de ma vie. Putain. Un tiers de ma putain de vie. Six heures vingt, se réveiller. Six heures vingt, ne pas pouvoir se lever. Douze minutes plus tard, mettre un pied devant l’autre. Douche. Pisser dans la douche en se lavant les dents. Puis, rincer ses cheveux en se rasant les aisselles. Prendre garde à ne pas confondre vitesse et précipitation. Vérifier l’heure, le cœur château branlant toutes les trois minutes. Se farder, verrouiller les cernes, camoufler la frustration. Une couche. Puis deux. Ressembler à une autre. Bourrer dans son sac une bouteille d’eau minérale d’un demi-litre, entamée, à moitié vide, avec un peu de chance, un reste de jambon. Une pomme. Avoir envie de chier. Ne pas pouvoir y aller. A vingt-deux minutes de la normalité, il est l’heure de partir. Sept heures trente-huit. Mettre le contact et sentir le palpitant s’emballer. La nausée. Tout du dedans, un grand chambardement. Vingt-deux minutes de la normalité, descendre la voix creuse. Inspirer. Chausser ses lunettes, parce que dans cet axe le soleil embrase les yeux. Chausser ses lunettes juste pour cette pirouette. Ensuite il sera dans le dos et reflétera dans le rétroviseur. Expirer. Tourner à gauche, éviter les poids lourds, rester vigilante. A la vitesse. Aux radars fixes. Aux radars mobiles. Aux cendres de cigarette. Entrebâiller la fenêtre et souffler la fumée. Resserrer le sphincter. Maîtriser ses entrailles. Seize minutes de la normalité, tourner à droite, passer devant le cimetière. Sourire à mamie. Sourire à papy. Sourire à tonton. Avaler sa salive et au rond-point, prendre la deuxième sortie. Passer sous le pont à neuf minutes de la normalité. Rester vigilante en sortant un petit bout de papier pour gribouiller illisiblement une idée de génie. Quatre minutes de la normalité, prendre à droite au feu rouge. Maudire les voitures sans permis, les tracteurs, les flics, les putes et les fainéants. Maudire l’humanité toute entière. Deux minutes de la normalité, tourner à gauche, puis encore à gauche. Marche arrière. Marche avant. Frein à main. Une minute de la normalité, ouvrir la grille, baisser la tête, lorgner le bout de la basket. Trente secondes de la normalité, jeter dans le vestiaire le sac à main bourré jusqu’à la gueule de littérature et dans le frigo, les pâtes de la veille. Dix secondes de la normalité, allumer la lumière, les ordinateurs, couper le répondeur. Inspirer. Cinq secondes de la normalité, ouvrir la porte, retourner derrière le comptoir. A sa place. Pas bouger. Sept heures à tenir, figée dans le décor. Deux secondes. Expirer. Une seconde. Être dans la normalité. 
 
Chapitre 2
 

 
J’ai calculé qu’à raison de vingt-deux minutes aller, vingt-deux minutes retour par jour, deux-cent vingt-cinq fois par an, j’avais passé pas moins de mille huit cent quinze heures dans ma voiture. Soit soixante-quinze jours. Soit deux mois et demi. Deux mois et demi d’idées de génie. J’aurais pu écrire un sacré roman avec tout ce temps. Ou au moins les trois premiers chapitres. En tout cas, c’est certain, en deux mois et demi, j’aurais pu faire le plan. Au lieu de ça, depuis onze ans je fais le trajet aller/retour. J’écoute les diabètes, scrute les cirrhoses, explore les cholestérols. Je souris, je dis ça va passer. Parfois je touche des mains sans faire semblant, parfois, ils me donnent même envie de les serrer dans mes bras. Pas tout le temps. Pas souvent. Mais parfois, c’est déjà ça. La plupart du temps, je maudis ce job, les patients, mon mari, mes mômes, la société, le trou perdu dans lequel j’habite. La plupart du temps je hais les gens et je dois avouer qu’ils me le rendent bien. Ça règle les problèmes de culpabilité. Je vis dans un état de confidence que je refuse, je sais les FIV, les HIV douteux ou positifs, je connais les visages de ceux qui se font dépister régulièrement, ceux que l’infidélité a rattrapés. Ceux qui cherchent à procréer en vain, ceux qui boivent, fument ou tentent d’arrêter, ceux qui vont mourir et le savent et ceux qui n’en ont aucune idée et qui vont mourir aussi. Je sais cela comme une amie intime. Et parfois même avant eux. J’entends les bébés qui en silence se meurent, les corps qui s’épuisent d’absences de blancs, de trop de rouges, les douleurs muettes des infertiles, ces femmes aux ventres aussi vides que les couilles de leurs mâles, le respect des amazones modernes, le chagrin des mères orphelines et l’entêtement des bien-portants à se dégotter une pathologie. Je me sens prisonnière de confidences auxquelles je ne veux plus participer et j’imagine ne pas avoir le choix.
 
Hier je discutais, via messagerie internet, avec un ami écrivain, que je n’ai jamais rencontré, un ami écrivain publié neuf fois, je précise puisqu’autour de moi tout le monde semble écrire. Ma voisine, accompagnée de son mari, que j’ai retrouvée dans mon jardin à deux heures du matin et qui me regardait danser complètement éméchée, essayant de faire mouvoir ma crinière de vingt centimètres de long, m’a avoué qu’elle aussi écrivait. Depuis longtemps. De la science fiction. Ou de l’horreur. Je ne sais plus, j’avais bu trop de vin. Elle en a, paraît-il, des cartons pleins chez ses parents. Elle kiffe ça l’écriture, m’a-t-elle dit. Je l’ai écoutée comme j’ai pu, à cause du vin rouge. Ou grâce à lui. Quelqu’un qui kiffe l’écriture ne peut pas être sincère avec moi. Parce que par exemple, je kiffe les gratins de macaronis, les chips au vinaigre et les séries policières. Mais la littérature, c’est quand même autre chose, elle se foutait forcément de ma gueule alors, avant de ne plus l’écouter, j’avais décidé de lui expliquer. Que la littérature est comme un ciel étoilé. Un abîme sans fond. Un refuge sans nom. Le vin aidant, je poursuivais. Elle voulait parler mais je poursuivais. La littérature est comme le ventre d’une mère. Digne de respect. Elle faisait une nouvelle tentative que je stoppai net. Elle voulait me répondre, me parler de sa mère, sans doute. Alors je me servis un autre verre puisque j’avais deux mains et je lui dis que la littérature était l’origine de tout, que grâce aux mots, on pouvait accéder à la vie, on pouvait voyager, s’imaginer ailleurs, avec un autre homme, dans un autre monde. On pouvait être fleuriste ou aficionado. Vivre au dix-huitième siècle comme au vingt-deuxième. Tout recommencer. Je lui expliquai ce qui me plaisait tant. Je lui chantai que les mots étaient comme des notes, que les phrases étaient des refrains et les virgules des pauses. Je lui dis que lire était comme écouter une musique nue face au monde, debout, les bras tendus, sur une falaise ardente. Elle faisait oui avec sa tête et j’étais certaine qu’elle ne comprenait pas un traître de mes mots. Elle parlait puisque ses lèvres bougeaient, mais je ne percevais qu’une syllabe sur deux et une syllabe sur deux c’était toujours une de trop. Un dialogue de sourdes. Alors je me suis versé un nouveau verre, il n’y avait autour de moi aucune raison pour que je reste sobre. J’ai bu. Encore et encore. En dansant. En titubant plutôt. J’ai monté le son et la voisine continuait de parler. A un moment, je suis allée me coucher et sans trop savoir comment, je suis parvenue jusqu’au lit. Le sol était mouvant et mes gestes désordonnés. J’ai vu mes mains au mur s’agripper et le lit, au fur et à mesure de mon avancée, se faufiler entre les lames du parquet. J’ai étendu mon corps. Comme j’étais sur le dos et que dans cette position le vin semblait stagner dans mon œsophage, j’ai entrepris de me retourner, m’arrêtant à mi-chemin. Je suis restée comme ça, sur le flanc gauche, accrochée au sommier, fixant les chiffres à quartz rouge du radioréveil. Bercée par ma respiration, je me suis endormie. A mon réveil, elle était partie. Ça n’était pas trop tôt.  Je me suis payé une gueule de bois jusqu’au soir, mais enfin elle était partie.
 
Je livrai donc mes états d’âme à cet ami écrivain. Je lui dis dans ce mail combien je

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