Le Petit Vélo
148 pages
Français

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Le Petit Vélo , livre ebook

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Description

Le Cambodge des Khmers rouges, puis le Viêt Nam. L’exode d’une famille soudée autour d’un petit vélo, qui en est le point de ralliement, est raconté par Chhor Hoa, alors enfant. De la fuite de Phnom Penh, aux temples séculaires et empreints de spiritualités, en passant par les routes poussiéreuses et la jungle, c’est l’histoire d’une fuite pour la survie qui nous est ici rapportée, poignante et bouleversante.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 mai 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334152280
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-15226-6

© Edilivre, 2015
A mes parents qui m’ont sauvé la vie
Ma mère Chu Lan
Mon père Cheng Hai
Le pont de fer
Cambodge, Phnom Penh, le 17 avril 1975
Il fait encore nuit, et elle est silencieuse, encore un peu. Je profite de ce moment privilégié où je flotte entre deux mondes, celui du rêve, et celui de la réalité. Celui-là va reprendre possession du monde dans peu de temps. Allongé sur mon lit, sous la moustiquaire, je me remémore les derniers événements qui ont secoué le pays, et mon quartier.
Hier, les hélicoptères ont envahi le ciel, tout le ciel, en un ballet ininterrompu, dans un bruit assourdissant qui n’a laissé aucun répit à notre quartier. Tous les voisins étaient aux balcons pour assister à la fuite des indésirables, lançant des invectives, ou applaudissant devant leur lâcheté. Les ennemis du pays s’étaient donné rendez-vous dans les airs. Le vent les a emportés loin de nous, dans le ventre des gros hélicoptères.
Puis, la nuit est venue, le calme avant la tempête, l’œil du cyclone qui m’a regardé toute la nuit. Je n’ai pas beaucoup dormi, trop excité par tous ces événements extraordinaires qui se déroulent autour de nous. Nous sommes au cœur de l’action, nous voyons notre pays se transfigurer, et un grand espoir nous soulève l’âme et transporte notre cœur.
Le soleil se lève, et la radio se met à hurler dans tous les appartements. Tout le monde veut avoir les dernières informations. Par le balcon, je vois un hélicoptère, seul, incongru, se poser sur le toit d’un bâtiment. Le pilote en descend à vive allure, et je le reconnais, c’est un voisin de ma professeur de Français.
J’appelle ma mère pour voir ça, c’est moi qui ai une information de première main :
– Maman, viens voir, il y a encore un hélicoptère et on connaît le pilote !
Ma mère accourt pour voir le spectacle. Elle s’arrête derrière moi, et me prend par les épaules :
– Tu as raison ! Chhor Hoa, je l’ai déjà croisé dans la cage d’escalier de cet immeuble en t’amenant chez ta professeur !
La femme du pilote et ses cinq enfants surgissent de nulle part. Ils s’engouffrent dans l’appareil qui reprend aussitôt son vol. Evacuation réussie. Des Cambodgiens, mais des privilégiés.
Le tout dernier hélicoptère. Aujourd’hui, c’est la joie universelle, la liesse populaire, l’espoir fou d’une nation qui se révèle, qui se relève. Hier et avant-hier étaient dévolus aux hélicoptères. Tout le quartier occidental, en deux jours, a été évacué vers les porte-avions américains. Ainsi que les dignitaires cambodgiens, leur famille, leurs amis, leurs relations, politiques, industrielles, intellectuelles.
Aujourd’hui, c’est tout le peuple Khmer qui espère et se reconnaît dans ces nouveaux soldats du peuple qui arborent fièrement le foulard rouge et blanc, l’emblème national. Mon père nous a rejoints, un sourire aux lèvres. Lui aussi partage la joie de tout un peuple, ce suprême élan communicatif. Il nous regarde longuement, et ne peut s’empêcher de rire. Nous rions aussi avec lui, car du balcon, nous les voyons enfin de loin, ces fameux soldats du peuple.
Ce matin, enfin, nous les découvrons. Tous les voisins sont aux balcons, autour de nous, en face de nous, Phnom Penh est aux fenêtres pour voir les glorieux vainqueurs des Américains, les libérateurs du peuple, car c’est pour nous qu’ils se sont battus.
Les Khmers rouges débarquent dans la ruelle, à pied, très nombreux. Ils n’ont de rouge que la couleur politique, car je ne vois que des colonnes noires, on les regarde comme des curiosités d’un autre monde. Mon père, du balcon, nous fait signe d’approcher, pour les voir.
Ils sont tous très jeunes, armés de gros fusils mitrailleurs, des Kalachnikovs me dit mon père, du matériel Russe, habillés de noir, une casquette brune vissée sur la tête. Seul tranche le foulard traditionnel Khmer, à damier rouge et blanc, enroulé autour du cou. Bizarrement, ils ne montrent ni joie ni gaîté, ils ne regardent pas plus en l’air les habitants de la capitale qui les saluent par de grands appels.
Les haut-parleurs diffusent un cri de victoire : « Le pays est libéré, jetez toutes les armes dans les rues, vous n’en avez plus besoin, nous assurons votre sécurité ! ». Je me demande si mon couteau de poche en fait partie. Je décide que non, il me sert trop, et jamais je ne pourrais tuer quelqu’un avec un si petit couteau. De toute manière, je n’ai pas l’intention de tuer quelqu’un…
Nous jetons un coup d’œil dans la ruelle. Nous ne voyons d’abord aucune arme. Puis les objets se mettent à chuter en bas des immeubles, formant des tas disparates d’armes à feu, de machettes, de couteaux. Même en bas du nôtre, il y a un gros tas d’armes blanches, de revolvers, même une arme automatique. Je ne pensais pas que mes voisins étaient aussi bien équipés. Je regarde plus loin dans la ruelle, c’est un véritable arsenal qui se trouve au pied de chaque immeuble.
Les gens aussi, se sont jetés dans les ruelles et les avenues, souriants, riants, heureux d’un espoir nouveau, de la fin des bombardements, de la fin d’une époque, du début d’une ère et d’un nouveau bonheur . Ils applaudissent les Khmers rouges, les libérateurs, les hommes en noir qui défilent dans nos rues, ils s’embrassent entre eux. C’est la fin de mois et de mois de bombardements, Phnom Penh s’est trouvée écrasée sous les bombes, puis les quartiers périphériques de la ville ont suivi. Enfin, ce long martyr est terminé, la ville va pouvoir se relever.
Du balcon du deuxième étage, depuis deux jours, j’attends leur arrivée imminente. On savait qu’ils arrivaient, les rouges. Dans la nuit, les balles traçantes ont dessiné le visage de la mort d’un régime, les tirs d’AK47 ont précipité la fin d’un règne. Pendant que le Vietnam était en train d’être abandonné par les Américains, c’était au tour du Cambodge de sombrer dans le communisme. Après le Roi Norodom Sihanouk, après le Général Lon Nol, voici que s’imposait Saloth Sâr, rebaptisé en ce jour glorieux « Pol Pot » par ses Khmers rouges.
Mon père, descendu voir de plus près, arrive précipitamment. Il ne rit plus du tout, et au contraire, il a la mine soucieuse. Il nous demande de prendre nos affaires, d’en faire un paquet, et de le suivre immédiatement et sans discussion :
– Les Khmers rouges vont faire évacuer la ville, je ne sais pas pourquoi… Devant l’hôtel Phnom, j’ai vu une vingtaine de blindés de l’armée, des chars américains AMI 13. Et puis, un peu plus loin, un partisan Khmer tout seul, vêtu de sa tunique noire. Lentement, il s’est avancé vers le convoi… Alors, j’ai vu les soldats du premier tank hisser un chiffon blanc sur l’antenne. Et puis les autres les ont imités. Un peu ébahi, le petit homme en noir est monté sur le premier char. Les hommes lui ont serré la main, ils ont jeté leurs casques, tout le monde s’est mis à rire, les gens qui observaient la scène en silence se sont mis à applaudir, des gamins sont montés sur les blindés, qui sont partis vers le centre de la ville, comme à la fête… Partout, j’ai vu les mêmes scènes se reproduire. Sur l’avenue Prachei Tipatei, les gens applaudissaient les partisans.
Il se tait soudain, et nous considère d’un air contrarié :
– En revenant, j’ai entendu des tirs et des explosions, il faut faire vite, la ville doit compter encore deux millions d’habitants, on va tous se retrouver dans la rue au même moment…
De la fenêtre de la cuisine restée ouverte, une voix donne raison à mon père, la voix tonitruante des haut-parleurs qui aboie et ordonne : « Toute la population doit évacuer Phnom Penh qui va être bombardée par les Américains. Exécution immédiate », le tout en boucle toutes les cinq minutes.
Mon père nous regarde comme si une vie venait de se briser, celle que nous avions vécue jusque-là. Ma mère semble paralysée. Les voisins du dessus piétinent furieusement et font tomber de gros objets sur le sol. Ceux d’à côté se disputent à propos de ce qu’ils doivent emmener. L’immeuble entier est en pleine effervescence.
Mon père fronce les sourcils, et attrape notre petit vélo blanc. Il nous le montre comme si c’était le dernier de la terre, et il s’adresse à nous d’un ton sans appel :
– Regroupez quelques vêtements et mettez-les dans un petit sac. Ensuite, venez l’accrocher sur le vélo, il nous servira à transporter nos affaires.
Il regarde ma mère, l’air toujours aussi déterminé :
– Prends tout le riz et le poisson séché que tu pourras, de l’eau aussi, et accroche ça au vélo.
Ma mère sort de sa stupeur, et tout le monde s’exécute rapidement. Je prends deux chemises et un short, des sous-vêtements et des chaussettes, que je fourre dans mon cartable après l’avoir retourné pour le vider plus vite. Le vélo disparaît sous les sacs. Mon père l’attrape par le guidon, et se dirige vers la porte. Il jette un œil par le judas, et nous fait signe d’attendre un peu. Apparemment, la cage d’escalier est envahie par nos voisins qui se sont donné le mot pour partir tous en même temps.
Nous entendons des voix familières qui hurlent à cause des Khmers rouges qui sont en train de faire sauter l’entrée de l’immeuble à la grenade. Une sourde explosion fait trembler l’immeuble. J’échappe un instant à la vigilance de mes parents, et je vais jeter un œil par le balcon. Dans la ruelle, je les vois tirer en l’air de joie, ou bien pour créer plus de panique, je ne sais pas exactement.
Nous ne comprenons absolument pas ce qui se passe. Cette journée devait être celle d’une grande libération, d’une joie nationale. Et voilà qu’elle tourne au cauchemar, à l’incompréhensible. Le monde vient de se retourner d’un seul coup contre nous, contre le peuple de la ville, nous les habitants de Phn

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