Les Débuts d une débutante
150 pages
Français

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Les Débuts d'une débutante , livre ebook

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Description

À l'âge de vingt-deux ans, je débutais ma carrière de professeur de philosophie. Lors de ma première année d'enseignement, je fus confrontée à une classe composée essentiellement de Maghrébins. Après la mésentente profonde et le cauchemar des premiers mois, nous avons appris à nous connaître, à nous apprécier, à nous aimer.

Cette expérience inoubliable m'a apporté, tout au long de ma carrière, la force de surmonter l'ingratitude de ce métier. Cette rencontre tumultueuse avec cette jeunesse difficile soulignait déjà les tensions religieuses existantes, et vingt-cinq ans plus tard, cette incompréhension est plus que jamais d'actualité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 mai 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332926340
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-92632-6

© Edilivre, 2015
Les Débuts d’une débutante
 
 
Orléans, le 20 octobre 2009.
« Madame Estrangin, vous ne pouvez plus y aller. Vous rendre là-bas avec ce vertige de ne plus rien savoir, avoir du mal à trouver le trou de la serrure de la salle de classe tant vos mains tremblent… Vous n’allez pas au lycée pour l’instant, vous y rampez. Prenez un temps de repos, un long temps de repos, un temps pour vous, pour vous soigner. »
Hébétée, je sors du cabinet de mon psychiatre. Comment vivre sans enseigner ? Certes, ce métier m’épuise et m’atteint parfois, il est aussi ce qui me tient debout.
Les mois qui suivirent, je me suis enfoncée dans un état dépressif sévère. Je fus mise en congé maladie pendant deux ans pour tenter de stabiliser un désastre mental terriblement invalidant. Pendant cette traversée du désert, j’ai eu la force, mais aussi l’envie, de jeter un coup d’œil à ce journal que j’avais écrit lors de ma première année d’enseignement. Je lis. Je m’enfonce doucement dans cette lecture du temps de ma « splendeur », de mon inépuisable énergie.
Lille, le vendredi 12 septembre 1992.
Mon cher cahier,
Ma coupable négligence a pu te faire croire à un oubli qui est loin d’exister. Aussi est-ce avec empressement que je saisis l’occasion que m’offre la particularité de ce jour pour rompre le silence qui est venu assécher ma soif d’écrire si vive autrefois. Si les apparences sont contre moi, crois-moi, il a fallu des occupations bien absorbantes pour me faire négliger cette étroite relation qui existait entre toi et moi.
Puis, comme toujours quand on est resté quelque temps sans écrire, on diffère de jour en jour, on remet la page à écrire au lendemain et ce lendemain s’éloigne tellement qu’on n’ose plus mettre le projet à exécution. Bref, me voilà à nouveau devant toi après ces mois d’absence et j’écris par un temps maussade où les nuages de cette ville de Lille jouent à cacher la nudité d’un soleil pudiquement avare à exhiber ses attraits.
Pardon d’une telle salade… J’essaie de parler de tout, de rien, d’adopter un ton serein et léger, mais je suis en réalité dans un état de panique avancée.
C’est la rentrée, la vraie, la mienne, la première. Je ne suis plus dans ce Paris, protégée de tout, où je vivais en famille. Je ne verrai pas aujourd’hui cette foule, ce métro à huit heures du matin où les gens se rendent à leur travail. Il en arrive de toutes les directions et tous ces gens se fondent en un large fleuve qui se ramifie à nouveau avant de plonger dans les couloirs du métro. Les portes automatiques vomissent sans discontinuer des hommes et des femmes qui s’engouffrent dans ce trou immense pour se déverser dans la station à intervalles réguliers. Les rames absorbent leur part de voyageurs et aujourd’hui je ne suis pas parmi eux.
Aujourd’hui, je ne retourne pas à l’université :
Bonjour, bonsoir, comment ça va ? On se connaît à peine où on ne se connaît pas. Je me replonge un instant dans cette atmosphère étudiante : du bruit, du bruit, du bruit… Un coin là-bas où l’on raconte apparemment des choses très drôles ; de l’autre côté au contraire, de jeunes gens discutent sur un ton pénétré d’un livre de Kafka. On manque parfois de se faire assommer par un livre lancé à toute volée à travers l’amphithéâtre. On fait circuler des tracts catholiques ou communistes que chacun lit d’un œil blasé et, dans ce brouhaha, dans cette ambiance automnale de la rentrée universitaire, chacun se laisse aller à ce flux, à ce mouvement des choses qui semble nous commander.
La rentrée qui m’attend en ce vendredi n’est pas une rentrée passive. Je me suis levée ce matin avec les mains glacées, l’estomac noué et encore maintenant j’ai des crispations musculaires, des convulsions nerveuses, des gestes brusques. Je suis sortie tout à l’heure pour faire les cent pas afin de me détendre un peu, mais à chaque adolescent que je croisais, j’étais désorientée et affolée. Aujourd’hui, les jeunes me font peur. Je ne suis pourtant pas cette femme âgée craignant la jeunesse, parce qu’elle n’aurait plus aucune commune mesure avec ce que fut la mienne. Non, j’ai vingt-deux ans et je fais ma première rentrée scolaire, mais cette fois-ci, dans la peau d’un professeur. Je rentre à l’école pour la première fois. Ma peur est infinie. D’autant plus que j’ai été prévenue par un autre professeur stagiaire, au courant de tout ce qui se passe dans la région du Nord, qui m’a laissée entendre que, dans le lycée où j’étais affectée, les jeunes professeurs avaient systématique­ment des classes dépotoirs, dites les classes « poubelles ».
Qui sont-ils ? Quelles classes m’a-t-on réservées ? Je ne sais rien. Je sais juste que je dois enseigner dans deux classes de terminale D, que je dois les faire travailler et les intéresser à cette discipline considérée comme mineure, voire inutile dans les sections scientifiques : la philosophie.
Soir : me voilà exténuée. J’ai fini de rentrer. Cette année va être catastrophique et je sais déjà que je ne vais pas m’en sortir.
Ils nous ont prévenus pourtant… Lors de la première année d’enseignement, on doit suivre des cours de formation. Des professeurs de philosophie sont là pour nous guider et chaque stagiaire a un tuteur, c’est-à-dire un professeur qui doit aider, soutenir, surveiller, inspecter quelquefois les professeurs novices que nous sommes.
Ils nous ont prévenus :
« Attention, le premier cours est déterminant. En une heure, tout se fait. Vous réussissez à vous imposer ou non. De cette première heure peut dépendre toute votre année. Dès le début, vous devez donner le ton. Alors soyez fermes et préparez bien votre premier cours. »
Dieu sait si je l’avais bien préparé ce premier cours et j’avais aussi la ferme intention, me sachant très rapidement familière, de vouvoyer mes élèves et de les appeler par leur nom de famille.
J’ai donné mes deux heures de cours et j’ai loupé ma rentrée. La première heure, j’ai eu affaire à la TD4.
Avant d’arriver à l’étage où se trouve ma salle, je regrette déjà de ne pas m’être vieillie. Je croise des dizaines d’élèves et, à leurs regards posés sur moi, je vois bien qu’ils me prennent pour une élève et non pour un professeur. J’aurais tellement dû ne pas arriver avec ce petit pantalon, ces chaussures à lacets et ce trop grand pull d’adolescente. Pourquoi ne me suis-je pas attaché les cheveux au lieu de les laisser traîner sur mon visage ? Pourquoi ne pas avoir pensé aux chaussures qui font du bruit, aux chemisiers distingués, aux jupes longues et austères, au maquillage pizza ? Mais, en même temps, je voulais me présenter à eux telle que j’étais. Ce fut fait…
Quand j’arrive près de la salle, ils sont groupés et bruyants. Ma venue ne change en rien leur attitude. Arrivée à la porte, je leur demande très vite de rentrer dans la salle de classe et de s’y installer. Des visages se retournent surpris et déjà moqueurs. Je souris vaguement tout en essayant d’ouvrir la porte et le festival de catastrophes commence ici : la porte est fermée et je n’ai pas les bonnes clefs. Je redescends les deux étages pour me présenter au bureau du CPE et le personnel a visiblement beaucoup à faire. L’un d’eux me voit et me lance sur un ton agressif :
– Qu’est-ce que tu veux toi ?
Ça y est, même auprès d’eux je ne suis pas crédible. Je m’explique :
– Je suis professeur stagiaire et je ne parviens pas à ouvrir ma salle de classe. N’auriez-vous pas les clefs ?
Il me regarde, s’excuse, dit qu’il a beaucoup de travail. Ne trouvant pas la bonne clef, il me confie une autre salle.
Je remonte les deux étages et conduis les élèves vers cette autre salle. Nous entrons enfin et cette peur au ventre qui ne me quitte plus depuis mon réveil s’accentue. La première chose qui me frappe, c’est le bruit. Ce bruit fou qu’ils font quand ils s’installent, s’assoient, parlent et rigolent. Dans ce brouhaha constant, je suis devant eux, assise à mon bureau et maintenant prête à faire l’appel.
Presque aussitôt, un professeur d’un certain âge entre furieusement sans frapper dans la salle et dit d’un ton sévère en se tournant vers les élèves :
– Pourquoi êtes-vous là ? C’est ma salle et vous n’avez rien à faire ici. Et puis d’abord où est votre professeur ?
Se retournant alors vers le bureau, il me lance sèchement :
– Qu’est-ce que tu fous là, toi ? À quoi tu joues ?
Les élèves éclatent de rire. À présent, je passe pour un élément perturbateur qui prend un malin plaisir à imiter ses professeurs ! Je me lève, je m’approche de ce collègue et lui explique :
– Je suis professeur de philo et c’est ma première année.
Il se met à rougir, se morfond en excuses, puis quitte sa salle pour en trouver une autre.
J’élève un peu la voix pour obtenir le silence, mais J’ai du mal à croire en moi, en mon autorité. Pendant une heure, le silence ne se fera pas et j’ai la sensation de hurler mon cours. À la fin de l’heure, je leur donne déjà une première dissertation à faire à la maison : « Le temps est-il pour nous un ennemi ou un allié ? » Presque aussitôt, une voix se fait entendre sans qu’au préalable il y ait évidemment un doigt levé :
– Le temps, c’est quoi ? De quel temps parlez-vous ?
– Et bien, je parle du temps qui passe.
– Ah ouais, donc c’est sans rapport avec la météo ?
Personne ne rit, le propos est donc sérieux. Je m’explique à nouveau sur le sujet et la cloche retentit. Ils s’en vont. Je suis déjà épuisée et j’attends ma seconde classe : la TD3.
Ils ne tardent pas à venir. Ils sont encore plus bruyants, encore plus durs et me regardent avec des yeux écarquillés et rieurs. Je les sens agités, nerveux, prêts à bondir sur n’importe quoi. Je ne

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