Les nuits diaprées
144 pages
Français

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Description

A bdellatif El Bayati est un artiste hors pair. Comment prétendre énumérer les diverses qualités de celui qui, ayant très tôt perdu la vue, a été confronté aux dures épreuves de la vie, sans jamais fléchir ? Aujourd'hui, intellectuel accompli, digne successeur d'Al-Maari, il peut se raconter. Dans son autobiographie, Les nuits diaprées, il transcrit ses souvenirs, bons ou mauvais, retrace un parcours riche et original. Peu lui importe que soient dévoilées ses erreurs ou ses faiblesses passées ; l'essentiel est d'avoir réussi une écriture limpide, spontanée, sincère. Les nuits diaprées révèle un conteur et un poète. Aux critiques littéraires d'interroger ce beau texte.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9789954213490
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les nuits diaprées
Récit autobiographique
ème4 édition Editions
© Marsam - 2014
Collection dirigée par Rachid Chraïbi
6, rue Mohamed Rifaï (Place Moulay Hassan ex. Pietri) Rabat
Tél. : (+212) 537 67 40 28 / 67 10 29 / Fax : (+212) 537 67 40 22
E-mail : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Site web : www.marsam-editions.com
Compogravure flashage
Quadrichromie
Impression
Bouregreg - Salé
Dépôt légal : 2014 MO 0699
I.S.B.N. : 978-9954-21-349-0Abdellatif El Bayati
Les nuits diaprées
Récit autobiographique
ème4 édition
Traduction :
Touria Ikbal Je remercie ma femme et mes enfants qui m’ont aidé
à réaliser ce travail en le revêtant de leur touche artistique…
Abdellatif El Bayati
Couverture
Photo de l'auteur vu de dosÀ tous ceux qui ont été privés d’apprécier lumière et obscurité
délices de la vie et essence de l’existence
À vous tous, j’adresse ces confidences
espérant parvenir à l’harmonie du cosmos
et, par la lumière de Dieu, à la guidance. 7
Préface
On dit que les artistes sont doués d’une sensibilité au
second degré. Cette sensibilité, on l’appelle le «don», entrée
initiatique au secret de l’art.
Mais l’art est une expérience-limite, une épreuve
suprême, si bien que Nietzsche a affirmé maintes fois que l’art, à
lui seul, justifie la vie. Il la justifie, la transforme, en libère
les forces cachées.
Lorsque, pour la première fois, j’avais écouté El Bayati
jouer du luth, c’était chez moi, au bord de l’océan, où je le
reçus avec quelques amis. Au fur et à mesure que la soirée
fériale se déroulait et se développait, je m’aperçus peu à peu
que c’était moi, en réalité, qui était son invité, l’hôte de sa
musique.
Je connaissais sa renommée, je savais aussi qu’il était un
artiste masqué par une cécité précoce. Aussi ai-je admiré
cette substitution de la vue par l’oreille et la magnifique
métamorphose d’un corps orphelin de vue. Tel quel, un
équilibre nouveau entre les sens, comme une «seconde
vue» qui pourvoit cet artiste d’une perception fine,
nuancée, violente parfois.
J’ai lu ces pages autobiographiques avec une grande
émotion, dans un grand silence. Nous habitons tous deux
le même village, au bord de l’Atlantique. Nous sommes en
quelque sorte des Atlantes envoûtés par le rythme de la
mer, par la respiration de ses vagues, qui se reproduit Les veillées8
comme des touches de luth sur la mémoire de notre ouïe.
Ces pages autobiographiques sont marquées par une
vérité nue, sévère. Elles sont l’expression d’un destin.
Lisez-les avec sollicitude.
Abdelkebir Khatibi
9
1
Lors d’un de ces nombreux moments de lucidité, qui submergent
souvent les non-voyants, je me suis surpris à caresser les cordes de mon luth
en chantant un vers d’un poème survenu dans ma mémoire sans raison
précise :
Si un lieu me nie ou si je le renie
en compagnie de l’épervier
je le déserte, tout de noir vêtu
Sitôt, mes doigts s’arrêtèrent de jouer sous l’écho du sens de ce vers
qui ne cesse de résonner dans mon for intérieur, comme si j’étais dans un
mont désertique où vibrent avec stridence les parages, bouleversant mes
sentiments et agitant mes pensées. Mais ce qui me toucha le plus, c’est
cette immense noirceur que le poète, dans un état d’extrême chagrin,
ressentait avec moi, et, qui chevauchant sa monture, s’aventurait vers
l’inconnu d’une nuit sans lune.
Ma mémoire me conviait à un retour à mon enfance de voyant, dans
une tentative de déceler la vérité du temps noir et blanc dans une période
qui ne dépassa pas une dizaine d’années de ma vie.
J’essayai d’y entrevoir couleurs, formes, personnes meublant mon
entourage. J’y découvris ce que l’on voit sur une flaque d’eau lorsque les
images s’y reflètent et disparaissent aussitôt qu’un léger mouvement en
touche la surface immuable.
Je la fixais encore et encore, en vue de capter ce temps fugace, alors
que je suis là, assis dans mon fauteuil, sur la terrasse de ma demeure à
Harhoura, en face de la mer qui me berce. Sa fraîcheur, caressant mon
visage, annonce l’avènement du crépuscule. Ces émotions et ces pensées Les veillées10
d’aujourd’hui me donnent envie de réaliser un vœu qui m’a habité des
années durant, celui d’écrire l’histoire de ma vie.
J’entrepris immédiatement de la dicter, chevauchant à mon tour mon
cheval ailé, non moins accablé que le poète, non moins déterminé que lui
à d’investir l’inconnu, cette obscurité qui n’a cessé de m’envelopper
depuis quarante- quatre ans d’une vie que j’ai passée comme Dieu l’aura
décrétée.11
2
Ma famille situe ma naissance aux alentours de 1942, au lendemain de
1la 2ème guerre mondiale, à la Qalaat Sgharna qui était à l’époque un
petit village émergeant fréquenté par les habitants des tribus avoisinantes.
Parmi ses habitations, il y avait notre modeste maison construite dans le
2style traditionnel talouaht et composée de deux pièces, une petite alcôve
faisant office de grenier, une cuisine, une étable et un poulailler.
Dans ce modeste logis de ce village, j’étais entouré de mon grand-père
Si Benaïssa, de ma grand-mère Lalla Khaddouj, de ma mère Lalla Rabia,
que j’ai l’habitude d’appeler depuis toujours Hbibti et de mon jeune oncle
maternel Abdelfettah.
Je ne me rappelle point les couleurs ni les formes que je pourrais leur
attribuer. De Qaalat Sgharna, très peu de choses sont restées ancrées en
moi.
Ayant perdu la vue à dix ans, ce que je garde en mémoire ne sont que
des scènes apparaissant chaque fois que je les convie, mais se voilant
aussitôt pour sombrer dans cette noirceur qui me hante et que j’habite. Elles
m’apparaissent, dans les meilleurs des cas, comme un monde plein de
failles, de protubérances, d’obstacles, de marécages, de sons brusques et
effroyables occasionnés par cette force inconnue toujours prête à me faire
déchoir, à m’évacuer de tous les lieux et à m’infliger une gifle ou un coup
de pied à tout instant.
Avant mon entrée dans l’âge de l’obscurité, je me souviens que j’étais
doué et intelligent, animé de beaucoup de courage et de clairvoyance.
C’est ainsi que les gens me décrivaient. Mais ce que je ne puis point
oublier, c’est mon avidité à apprendre et à découvrir. C’était comme si je
m’empressais de réaliser ce qui était encore à ma portée, avant que toutes Les veillées12
les brèches vers la connaissance dans mon corps ne soient à jamais
verrouillées.
Je me souviens encore de ce soir-là et du matin suivant… Je m’en
souviens clairement et je me souviens du juste après, et de la manière dont la
main du destin est venue tracer cruellement le clivage entre une enfance
insouciante, éprise du processus de développement des instincts et des sens
et du reste d’une vie contrainte à mener un combat contre la fatalité.
Je me rappelle clairement comment le voile est venu intercepter la
lumière qui éclairait ma conscience et mon existence dans cette modeste
maison, dans le giron d’une mère divorcée, de retour chez ses parents
avec son fils unique qui n’avait pas encore un an, moi, le mignon petit
garçon Abdellatif et dont le nom sous-tend l’attente, envers celui qui le
porte, d’être toujours infiniment subtil et élégant. Et ce fut d’ailleurs
toujours ainsi. Car malgré sa situation, ma mère était extrêmement attentive à
faire de moi un garçon propre, distingué des autres villageois par sa
coiffure frisée et sa tenue particulière. C’est pourquoi ses amies me quali -
fiaient de "bouquet de fleurs" pour ma grâce, et de "petit diable" pour
mon hyperactivité et mon intelligence. Si ma mère faisait de son mieux,
elle ne pouvait pas aller au-delà de ses capacités. Elle ne pouvait pas par
exemple m’inscrire à la seule école du village, ouverte alors
exclusivement aux enfants de notables.
Je me rappelle, parmi mes souvenirs de ce soir-là et du matin suivant,
l’aventure que j’ai entreprise : aller à l’école dont rêvait ma mère, elle qui
voulait faire de moi l’homme qui compensera ses pertes passées et
futures.
Je fis irruption chez l’instituteur français :
3— Bojour missieu, afak dakhlni nqra .
De l’étonnement de l’instituteur et de son geste caressant ma tête, je
compris qu’il m’autorisait à entrer. Il me donna une plume et m’invita à
m’asseoir sur un banc, à côté d’un des enfants de la classe, qui n’étaient
pas plus d’une dizaine. 13
Ce soir-là je suis rentré chez moi, fier de cette aubaine qui allait faire
de moi l’homme qui compenserait les pertes passées et futures de sa
mère. Admirative et heureuse de mon exploit, celle-ci m’embrassa
partout.
Mais le lendemain, après mon retour, sautant de joie, imitant les sons
de la cloche et répétant ma première phrase apprise en français, je
rencontrai mon grand père Benaïssa en compagnie de Si Kabbour, l’adjoint
du Caïd Ahmed Tougui. Je revois encore son image ou du moins ce qui en
reste, avec ses yeux exorbités, ses sourcils épais et ses cils pointés comme
des épines dans ses paupières. Je les saluai tous les deux, en leur
embrassant la main.
— C’est mon petit-fils Titif, que Dieu le garde, il est intelligent et bien
débrouillard.
— Tu vas à l’école, petit ?
— Oui
— Mais qui l’a inscrit ?
— Il est parti tout seul, n’est-ce pas étonnant que le français l’ait
inscrit !
— Petit diable ! Un vrai petit renard cet enfant !
A peine franchi le seuil de la maison, je sentis une terrible douleur
dans ma tête et mes yeux, une douleur qui m’a empêché à jamais de revoir
cette mystérieuse école avec ses bancs, son instituteur français, la plume,
le cahier, la cloche. J’en étais définitivement privé.
1 Petit village à 80 Km de Marrakech, devenu une ville prospère aujourd’hui
2 Style de construction à base de bois, anciennement utilisé dans les villes et les campagnes
3 Bonjour Monsieur, s’il vous plaît, pouvez-vous m’accepter dans votre classe ?

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